Quel est l’impact du décret n° 2017-891 relatif à la procédure d’appel sur le métier de l’avocat ?
Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 marquera l’évolution de la procédure d’appel. Tant attendu, il modifie en profondeur plusieurs points essentiels, notamment en redéfinissant l’objet de l’appel, en supprimant la faculté d’un appel général (sauf exception), en instaurant un principe de concentration des prétentions dès le premier jeu de conclusion en harmonisant les délais et en aménageant la procédure à bref délai. Ces changements imposeront une modification de la pratique des avocats.
Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 publié au Journal officiel le 10 mai dernier relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civil réforme la procédure d’appel. Selon son article 53, il sera en vigueur à compter du 1er septembre 2017 à l’exception de quelques dispositions qui seront applicables au lendemain de la publication du texte, c’est-à-dire le 11 mai 2017. Il s’agit notamment des dispositions relatives à l’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision de première instance intervenue postérieurement à l’entrée en vigueur du présent décret. En d’autres termes, le décret du 6 mai 2017 est applicable aux instances en cours, c’est-à-dire aux décisions rendues en première instance depuis le 11 mai 2017 pour l’aide juridictionnelle et plus généralement à toutes les décisions qui seront rendues postérieurement au 1er septembre 2017. Force est de constater que les avocats, ayant des procédures pendantes en première instance et dont l’appel sera formé ultérieurement, seront rapidement confrontés à ce nouveau décret.
L’objectif poursuivi par les réformes de l’appel est toujours d’ordre économique et ce décret n’y échappe pas. C’est ainsi que l’économie procédurale est devenue un puissant moteur de réformation et d’harmonisation des procédures. Derrière cette volonté économique se cache celle du respect du délai raisonnable prévu par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui malheureusement n’est pas toujours respecté1.
Rappelons brièvement que le double degré de juridiction2 est une garantie fondamentale de bonne justice qui doit impérativement être conservée. Ainsi, le législateur n’a pas simplement réformé l’appel en se dirigeant vers une stricte voie de réforme mais il a emprunté un chemin qui mêle la réformation et l’achèvement. L’article 7 du décret vient modifier la définition de l’appel : « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel »3. Les conséquences de cette définition pour les praticiens du droit sont évidentes : l’appel reste une voie de recours qui permet toujours de remettre en cause les faits et le droit appréciés en première instance : la voie de la réformation est alors privilégiée dans cet article mais contrebalancée par d’autres articles qui seront analysés par la suite.
C’est en ce sens, qu’il faut relever que ce décret tant attendu modifie en profondeur plusieurs points essentiels, notamment en redéfinissant l’objet de l’appel, en supprimant la faculté d’un appel général (sauf exception), en instaurant un principe de concentration des prétentions dès le premier jeu de conclusion en harmonisant les délais et en aménageant la procédure à bref délai.
La disparition de l’appel général est étroitement liée à la recevabilité des nouvelles prétentions et au principe de concentration des demandes : il s’agit des principaux apports du texte qui sont ici développés (I) avant d’évoquer brièvement les nouveautés plus subtiles (II).
I – Les principaux apports du décret
Ce décret fait disparaître l’appel général (A) qui est étroitement lié à la recevabilité des nouvelles prétentions (B) et au principe de concentration des demandes (C).
A – La disparition de l’appel général
L’article 10 du décret n° 2017-891 modifie l’article 562 du Code de procédure civile en précisant que désormais les chefs du jugement de première instance faisant l’objet de l’appel doivent figurer expressément dans la déclaration d’appel. Cet article s’applique à toutes les procédures d’appel (appel principal, appel incident, appel provoqué) ainsi qu’à toutes les parties (appelant, intimé et intervenant forcé). Le principe énoncé par cet article 10 est donc celui de la suppression de l’appel général. Toutefois, une exception est prévue, dans l’article 13 du décret qui vient modifier l’article 901 du Code de procédure civile, car la dévolution s’opère pour le tout si et seulement si l’appel tend à l’annulation, du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. Il s’agit là d’exceptions logiques et classiques qui n’altéreront pas la pratique. Cependant, le principe qui met un terme à l’appel général viendra modifier le contenu de la déclaration d’appel : l’appel est désormais limité au chef du jugement expressément critiqué. À défaut, la sanction encourue est la nullité. Il faudra donc être vigilant quant au contenu des déclarations d’appel à compter du 1er septembre 2017.
B – L’avenir des « prétentions nouvelles »
Le nouvel article 566 du Code de procédure civile constitue le cœur du décret réformant l’appel. Il est la clé de voûte de la réforme car il supprime la possibilité de présenter – devant le juge d’appel – des prétentions virtuellement comprises devant le juge du premier degré. En d’autres termes, selon l’article 563 du Code de procédure civile, les prétentions soumises au premier juge peuvent faire l’objet de nouveaux moyens. Avant le décret publié le 10 mai 2017, il était possible de présenter de nouvelles prétentions en appel sous réserve qu’elles soient notamment « virtuellement comprises » en première instance. À partir du 1er septembre 2017, les parties ne pourront plus ajouter de nouvelles prétentions en appel sauf si les prétentions sont l’accession, la conséquence ou le complément nécessaire à l’affaire. Force est de constater que cet article 11 du décret modifie l’article 566 du code précité en réitérant le principe d’irrecevabilité des nouvelles prétentions tout en réduisant les exceptions, tirées de la rédaction même du texte. Le nouvel article 566 dispose que : « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».
À première vue, dans une approche simplement textuelle, le praticien sera pris au dépourvu eu égard à la restriction des exceptions prévues et à l’ajout du terme « nécessaire ». Cela laisse apparaître en filigrane une interprétation plus stricte qu’au préalable par le juge de la mise en état. Cette réécriture de l’article permet de rappeler aux praticiens qu’il est impératif de maîtriser la procédure civile pour mener à bien leurs affaires et notamment la classique distinction prétention et moyen qui a récemment été rappelée par la Cour de cassation4.
Il ne faut pas se méprendre, cet élément central de la réforme vise à limiter les délais d’appel et atteindre l’objectif économique recherché. Les avocats qui récupéreront les dossiers en cours d’instance seront alors bien mal lotis si leur confrère n’a pas invoqué toutes les prétentions. Cependant, il est à craindre que les avocats, pour se couvrir et limiter la mise en œuvre de leur responsabilité, invoquent le maximum de prétentions en première instance ; ce qui engorgera davantage les juridictions de premier degré et augmentera les délais d’instance.
Nonobstant la suppression des circonstances dans lesquelles une nouvelle prétention pouvait être invoquée en appel, les nouveaux moyens restent illimités et les demandes reconventionnelles possibles sous réserve qu’elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, article 70 du Code de procédure civile. Il est également permis de se demander si la suppression des demandes virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge ne pourront pas partiellement être introduites par la voie des demandes reconventionnelles. Il faudra attendre la pratique pour le savoir.
C – Le principe de concentration à l’épreuve de la procédure civile
Enfin, le troisième et dernier point qui nous semble important de développer ici est relatif au principe de concentration temporelle des prétentions prévu par l’article 22 du décret n° 2017-891. En effet, il s’agit d’un nouveau principe qui sera applicable prochainement devant la juridiction d’appel. L’article 910 du Code de procédure civile est complété par quatre sous-articles (CPC, art. 910-1 à 910-4). C’est le dernier qui instaure à peine d’irrecevabilité, pouvant être relevée d’office, le principe de concentration des prétentions et non des moyens. Ainsi, des nouveaux moyens sont toujours susceptibles d’être développés pendant la procédure via des échanges de conclusions. Le principe de concentration temporelle des prétentions est donc de facto lié à l’article 566 du Code de procédure civile préalablement commenté. Cependant, l’alinéa 2 de l’article 910-4 prévoit une exception en précisant que « demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqué, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièce adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». Il faut regretter le manque de précision de cette exception : à quel moment le fait est-il survenu ou a-t-il été révélé ? Une telle discussion relative à l’interprétation de cette nuance apportée par le second aliéna de l’article aura lieu devant le conseiller de la mise en état qui dispose d’une compétence exclusive en ce domaine.
II – Les apports du décret en conformité avec l’économie procédurale
Plus subtilement, le décret harmonise les délais (A) et aménage la procédure à bref délai (B).
A – L’harmonisation des délais
Le décret ne prévoit pas de changement pour les délais de déclaration d’appel. À titre d’exemple, la déclaration d’appel doit être formée en toutes circonstances dans le délai de forclusion et par voie électronique, à peine d’irrecevabilité selon l’article 930-1 du Code de procédure civile. La cause étrangère permet aux avocats d’adresser à la cour d’appel sa déclaration d’appel par lettre recommandée. Les avis du 5 mai 2017 nos 17005 et 17006 de la Cour de cassation prévoient que constitue une cause étrangère le fait pour un avocat de ne pas pouvoir utiliser sa clé RPVA pour se constituer avocat. En effet, désormais tout avocat peut se constituer devant toute chambre sociale de toute cour d’appel (les règles de la postulation étant exclues).
Les articles 908 à 910, dans leur nouvelle version, harmonisent le délai d’appel à trois mois qui est notamment rendu possible par la modélisation des conclusions. En ce sens, l’article 34 du décret modifie l’article 954 du Code de procédure civile afin de rappeler les mentions obligatoires et de préciser le contenu des conclusions. Dans la pratique, cet article devra être respecté à la lettre et permettra aux avocats de modifier leur cadre de conclusion en appel.
Le décret prévoit une nouvelle cause d’interruption de délai (CPC, art. 910-2 nouv.) lorsqu’une médiation a été ordonnée et ce jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur. Cet apport important est conforme à la volonté de déjudiciarisation qui va permettre de désengorger les tribunaux en faveur des modes alternatifs de règlement des conflits.
B – L’aménagement de la procédure à bref délai
Il s’agit du dernier apport du décret n° 2017-891. Les articles 15 et 17 du décret sont les principaux concernés et ont pour essence d’étendre le champ d’application matériel de la procédure. Désormais, la procédure d’appel à bref délai est également applicable aux décisions rendues « en la forme des référés », conformément au nouvel article 905 du Code de procédure civile.
L’article 905 est complété par deux sous-articles selon lesquels l’appelant dispose d’un délai de dix jours pour signifier la déclaration d’appel à peine de caducité. En outre, l’article 905-1 prévoit expressément certaines mentions obligatoires devant être contenues dans l’acte de signification. À défaut, la signification sera nulle. La réforme prévoit que l’intimé dispose d’un délai d’un mois pour remettre ses conclusions au greffe. Le délai est ainsi divisé par deux, il faudra donc conseiller aux professionnels de rapidement prendre connaissance de ces modifications à peine de caducité. L’avocat devra alors être extrêmement prudent afin de ne pas risquer de mettre en œuvre sa responsabilité. Enfin, l’objectif recherché est de revenir au délai raisonnable tel que prévu par la Convention précitée, néanmoins il serait pertinent que cela ne se réalise pas au détriment des justiciables. Par ailleurs, le raccourcissement des délais est cohérent avec la recherche de l’économie procédurale.
Nous pouvons regretter que le dytique classique du droit principe-exception soit à nouveau instauré par le décret réformant l’appel, surtout en raison de plusieurs imprécisions et difficultés d’interprétation qui viennent d’être mises en exergue. Il est tout de même permis de saluer le respect par le législateur du principe même de l’appel.
Notes de bas de pages
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1.
CEDH, art. 6 : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».
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2.
Ce principe a pour essence de remettre en jeu les questions de fait et de droit.
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3.
CPC, art. 542, tel que modifié par la réforme.
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4.
Cass. 2e civ., 1er sept. 2016, n° 15-16918, PB : D. 2016, p. 1759 ; RTD civ. 2016, p. 932.