Rémunération des associés des cabinets français d’avocats indépendants : « les systèmes en place sont souvent le fruit d’une histoire et d’une alchimie complexe »
Hétérogénéité et complexité, tels sont les adjectifs qui caractérisent les modes de rémunération des associés des cabinets français d’avocats indépendants selon une enquête que viennent de réaliser le cabinet de conseil en stratégie et organisation dédié aux professions juridiques Bignon De Keyser et le cabinet MGX d’expertise et de conseil financier. Retour sur les résultats de cette étude avec Michel Gauthier, expert-comptable, associé de MGX, et Patrick Bignon, associé du cabinet Bignon De Keyser.
Les Petites Affiches
Pourquoi avoir fait une enquête sur les modes de rémunération des associés des cabinets français d’avocats indépendants ?
Michel Gauthier et Patrick Bignon
Dans le cadre de nos interventions respectives nous sommes régulièrement confrontés à des questions sur le sujet et à notre connaissance il n’y avait jamais eu une telle étude sur les systèmes de rémunération.
LPA
Quel est son objectif ?
M.G. et P.B.
Le principal objectif était d’établir une cartographie des systèmes existants et de permettre aux cabinets d’avocats participant de mieux comprendre les avantages et les inconvénients de chaque type de système et de pouvoir comparer leur système à ceux des autres.
LPA
Sur combien de cabinets a-t-elle portée ? Et quelle a été la méthodologie ?
M.G. et P.B.
Confidentielle, la liste des cabinets participants qui dépassent la vingtaine, compte plus de 30 % des 40 premiers cabinets d’avocats français indépendants. Les cabinets réalisant plus de 35 M€ de chiffre d’affaires représentent environ 40 % de l’échantillon.
L’enquête a été réalisée de juillet à novembre 2017 par l’envoi d’un questionnaire ciblé suivi d’un entretien.
LPA
Quels sont les enseignements de cette étude ?
M.G. et P.B.
Il en ressort notamment que :
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dans une large majorité des cas et à la différence des cabinets anglo-saxons qui ont plutôt des modèles dérivés du pur « lockstep » ou à l’inverse du « eat what you kill », les cabinets français s’appuient dans 75 % des cas sur des modèles en deux parties, l’une sensée assurer la cohésion du cabinet et l’autre promouvoir la performance individuelle ;
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les écarts de rémunération entre les extrêmes au sein d’un même cabinet sont très différents et dépendent principalement de la volonté des associés et, en particulier, des associés fondateurs ;
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lorsque des critères quantitatifs sont utilisés, il s’agit la plupart du temps de la facturation (encaissée) de l’associé, de plus en plus des apports de dossiers et, parfois, de la marge dégagée, tout en restant prudent ;
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dans la quasi-totalité des cas les associés ne contribuent pas directement au fond de roulement du cabinet et la trésorerie courante est majoritairement assurée par les différés de paiement des rémunérations.
LPA
N’y-a-t-il pas certaines constantes ?
M.G. et P.B.
Il y a des familles de système mais il y a peu de constante, si ce n’est la faible contribution au fond de roulement.
Les 3/4 des cabinets d’avocats interrogés ont choisi un système d’allocation en deux parties.
La première, souvent qualifiée de « fixe » et dont l’objectif est de garantir la cohésion interne, est constituée d’un versement mensuel fixe (pour 58 % des cabinets concernés) ou progressif (42 %) en fonction d’un principe de « lockstep » (progression basée sur l’ancienneté au sein du cabinet) plus ou moins aménagé. La seconde, destinée à récompenser les performances individuelles, est calculée sur la base de formules plus ou moins complexes (dans 58 % des cabinets concernés) ou en fonction d’une décision managériale (42 %) plus ou moins partagée et consensuelle.
Au final, les systèmes de rémunération existants sont quasiment tous différents et la proportion entre ces deux parties est très variable, la part fixe pouvant représenter de 33 % à 90 % du montant total de la rémunération.
1/4 des cabinets du panel appliquent un système basé sur une allocation unique, calculée en fonction d’une règle de répartition des encaissements dans les « compteurs » des associés (pour 25 % des cabinets concernés) ou en fonction d’une décision ou recommandation du management (75 %).
LPA
Les résultats obtenus vous ont-ils surpris ?
M.G. et P.B.
Oui, dans leur grande diversité et souvent en raison de leur complexité.
LPA
Les modes de rémunération des associés des cabinets français d’avocats indépendants sont-ils différents des cabinets internationaux ou étrangers ?
M.G. et P.B.
Les systèmes des cabinets internationaux, qui dans le passé pour simplifier se répartissaient en deux familles, les « locksteps » et les « eat what you kill », ont beaucoup évolué ces dernières années et les systèmes sont l’ensemble des cabinets de plus en plus sophistiqués et multicritères dans l’analyse de la contribution des associés.
LPA
En conclusion ?
M.G. et P.B.
Nous avons rencontré des situations très différentes : les systèmes de rémunération en place sont souvent le fruit d’une histoire et d’une alchimie complexe, ce sont un des facteurs d’équilibre interne, et c’est pourquoi les cabinets hésitent souvent à les faire évoluer, même s’il existe souvent des réflexions en cours – en particulier dans les structures qui commencent à songer à la succession de leurs associés historiques.