Rentrée du tribunal de commerce d’Évry : la détermination au menu de l’année 2024

Publié le 22/02/2024
Rentrée du tribunal de commerce d’Évry : la détermination au menu de l’année 2024
JONATHAN/AdobeStock

Retour sur l’audience solennelle de rentrée, avec Nathalie Lasternas, présidente du tribunal de commerce d’Évry.

Dans le hall du sixième étage du tribunal de commerce d’Évry, où se trouvent les bureaux des juges, le décor est austère. Quelques canapés, des cadres de photos en noir et blanc et de dessins de presse d’antan, un poster expliquant la composition de l’institution. Face aux portes de l’ascenseur, une gigantesque pancarte neuve frappe notre regard. Une publicité pour le dispositif APESA (Aide Psychologique Entrepreneur en Souffrance Aigue), détaille la méthode de prise en charge rapide des entrepreneurs en détresse. 92 juridictions en France ont adopté ce dispositif créé il y a dix ans, les sentinelles formées par l’association (5 800 en France, 78 en Essonne) ont permis la prise en charge de 1 172 personnes entre mars et décembre 2023 (60 en Essonne). À la lecture de cette pancarte, nous nous sentons plus dans l’entrée d’un cabinet médical que dans l’enceinte d’un tribunal. En confiance.

C’est sans doute le souhait de Nathalie Lasternas, qui nous ouvre chaleureusement la porte de son corner office, avec vue sur le tribunal judiciaire d’Évry, situé de l’autre côté de la rue. Un bureau qu’elle a agrémenté de plantes vertes, « pour illuminer la pièce ». La nouvelle présidente de la juridiction nous a octroyé une heure de son temps très précieux. Depuis qu’elle a pris ses fonctions en janvier, après quatre années à la vice-présidence, elle n’a pas une minute à elle. Elle ne se contente pas de serrer des mains au sein des institutions de sa circonscription, elle bouleverse régulièrement son emploi du temps pour accueillir dans les 24 à 48 heures des entrepreneurs et chefs d’entreprise en détresse, qui savent que le tribunal de commerce tient plus de la main tendue que de la férule. « Nous sommes une institution au service des entreprises », se plaît-elle à rappeler.

Empathie et professionnalisme sont au rendez-vous avec cette Essonnienne de naissance qui connaît très intimement le monde de l’entreprise. Après être entrée à 25 ans dans l’entreprise familiale de BTP fondée par ses parents, elle a créé plusieurs entreprises dans le secteur de l’industrie et de l’hôtellerie-restauration avant d’entrer en 2010 au tribunal du commerce, formée en qualité de juge par l’ancien président du tribunal Loïc Hamon. Le bénévolat et l’entraide sont pour cette quinquagénaire des valeurs cardinales : elle se dit « passionnée » par son engagement, c’est dans son ADN. Elle reçoit les entreprises qui rencontrent des difficultés passagères dans son département, département tant rural qu’urbain. Malgré ces qualités, la présidente du tribunal ne parle qu’au pluriel de sa position : la présidence du tribunal est une équipe soudée.

Un esprit de corps qui transparaît dans son discours, prononcé à l’audience solennelle de rentrée, en janvier dernier. Quand elle repense à cette première cérémonie en qualité de présidente, Nathalie Lasternas est encore émue. Le procureur de la République, Grégoire Dulin a tenu à faire le discours d’installation de la nouvelle présidente du tribunal de céans, après le départ de Sonia Arrouas.

« Je suis habituée aux audiences à huis clos des dossiers de procédures collectives, comme Toys’R us ou Courtepaille… Ce qui m’a marquée, c’était la bienveillance des nombreux visages dans l’assistance. Cela fait plus de 30 ans que j’œuvre avec les différentes institutions du monde économique et judiciaire de l’Essonne et de les voir rassemblés dans cette même salle d’audience, c’était émouvant ». Le préfet, le président du conseil départemental, les procureurs de la République, la première présidente de chambre de la cour d’appel, le président du tribunal judiciaire, le bâtonnier, les avocats, les administrateurs et mandataires judiciaires, les commissaires de justice, le président du conseil des prud’hommes, le président de la CCI, le président de la FFB Essonne, le président de la FFB Île-de-France, le président du MEDEF, le président de la CPME, les institutions religieuses, tous avaient fait le déplacement.

À l’occasion de la cérémonie, un remerciement pour les engagements en qualité de juge d’Hervé Charlin, promotion 2007, devenu président de chambre en 2014, qui a siégé pendant 17 ans, et de Michèle Wilk-Juilliart, promotion 2010, devenue présidente de chambre en 2016, qui a siégé au tribunal pendant 14 ans : ils ont été dûment salués. Tous deux ont reçu, en assemblée générale, le diplôme et la médaille des juges consulaires, afin de rendre hommage à leur mérite et de leur témoigner la reconnaissance de l’institution consulaire.

« Un tsunami qui n’est pas arrivé »

Dans son discours, Nathalie Lasternas a rappelé la place centrale du tribunal de commerce dans un département où 115 581 entreprises (dont 10 566 nouvelles) sont inscrites au registre du commerce. « Il est en charge de réguler et de faciliter les relations commerciales entre les entreprises, de garantir le respect des lois et des règles qui régissent le monde des affaires. Les entreprises évoluent rapidement, les technologies progressent à un rythme effréné et les enjeux économiques sont de plus en plus complexes ».

Les 55 juges de cette juridiction ont traité, en 2023, 11 582 affaires ; 5 293 décisions ont été signées électroniquement, 5 088 décisions (fond, référés, injonction de payer) ont été rendues en 2023 contre 4 384 en 2022. « Avec 868 procédures collectives en 2023, nous revenons au niveau des 10 dernières années avant Covid », indique-t-elle dans son discours. « Depuis 2021, on nous a annoncé un tsunami pour l’année 2023, qui n’a pas eu lieu. Ce qui montre que la perfusion/protection des entreprises a porté ses fruits », nous précise-t-elle. Les chiffres communiqués par le greffe reflètent la même réalité concernant les jugements prononcés par les chambres de procédures collectives du tribunal de céans, les 2 509 ordonnances des juges-commissaires, les 2 453 ordonnances sur requêtes et les 3 874 autres ordonnances ; les voies de recours sont inférieures à 1 %. Pour les mandats ad hoc, 50 dossiers ont été étudiés en 2023, 78 en 2022, 70 en 2021 et 40 en 2020.

Pour la conciliation, 18 dossiers en 2023 (même chiffre qu’en 2020). Dans son discours, Nathalie Lasternas a insisté sur la conciliation, une culture à promouvoir pour éviter les procédures judiciaires et prévenir un engorgement du tribunal. « Un grand nombre d’entre eux souhaitent une justice apaisée, que la tension tombe, qu’elle soit favorisée par des solutions qui permettent de poursuivre une relation commerciale confiante. Ils craignent le procès qui tranche, qui détruit de la valeur. Cette valeur indispensable à la santé de leur entreprise. La conciliation permet souvent de trouver des solutions satisfaisantes pour toutes les parties et de maintenir des relations commerciales saines et durables », a-t-elle dit. C’est dans cet esprit que, tous les vendredis, des juges conciliateurs sont disponibles pour recevoir les parties qui les sollicitent ou qui sont identifiées par la chambre 2.

Seule la prévention connaît une réelle variation avec 210 dossiers étudiés en 2023 (contre 138 en 2022 et 114 en 2021). Le signe, peut-être, qu’un message est passé ?

Démystifier l’institution, une mission pour 2024

Nathalie Lasternas a une grande ambition pour 2024 : celle de démystifier sa fonction et d’ouvrir les portes du tribunal en grand. C’est pourquoi elle a reçu en 2023, en tant que vice-présidente, 157 dirigeants en rendez-vous, un chiffre qu’elle espère voir s’accroître en 2024. « À cause du mot “tribunal”, les chefs d’entreprise ont souvent peur de nous rencontrer. Ils ne savent pas que nous sommes à leur service, que nous offrons des rendez-vous confidentiels. Nous pouvons leur expliquer les outils qui sont à leur disposition et identifier les potentielles difficultés. En vérité, nous devrions davantage nous appeler “hôpital” que tribunal. Notre rôle est de protéger les entreprises, de trouver des solutions amiables confidentielles (conciliation/mandat ad hoc). Nos auxiliaires de justice sont les sachant de ces procédures, ils s’engagent à les recevoir gratuitement afin de faire un point sur ce qui est possible ».

Alors que 8 dirigeants sur 10 pensent que les juges du tribunal de commerce sont des magistrats, le cheval de bataille de la présidente tout juste installée est de multiplier les rencontres à l’extérieur du tribunal, d’organiser des réunions à la CCI, à la FFB, à l’ordre des experts-comptables ou ailleurs. « Nous ne sommes pas inatteignables, nous sommes des bénévoles au service de la juridiction ». Dans son discours à l’audience solennelle de rentrée, elle rappelait combien les juges consulaires sont « des praticiens de l’entreprise » : « Nous avons cette expérience entrepreneuriale, nous avons tous des parcours différents, ce qui fait la richesse des tribunaux de commerce. Nous savons que nos salariés ou nos collaborateurs constituent une valeur inestimable et irremplaçable au succès de nos sociétés ».

Le tribunal recrute !

Forte de ce nouveau souffle, l’année 2024 risque d’être mouvementée pour le tribunal de commerce d’Évry. L’horizon des Jeux olympiques fait craindre des difficultés pour de nombreuses entreprises du bâtiment : « la fédération française du bâtiment est préoccupée par les impacts éventuels que pourraient avoir certains arrêts limitant l’accès à leurs chantiers ou les interdictions de circulations prévues durant les épreuves ».

Nathalie Lasternas a décidé de partir dès le mois de février à la recherche de nouveaux juges pour accueillir les dirigeants sensibilisés à la mission du tribunal de commerce. Avec ses deux vice-présidents, elle entend prêcher la bonne parole dans les fédérations, la CCI, la CMA, l’ordre des experts-comptables, les réseaux patronaux (MEDEF, CPME), pour créer des vocations. « Cette mission consulaire totalement bénévole nécessite disponibilité, assiduité, probité, équité et humilité afin d’acquérir les compétences nécessaires à leur mandature », a spécifié la présidente dans son discours. Tous les nouveaux juges s’imposent de suivre les 8 premiers modules dispensés par l’ENM. Une dévotion qui, à voir la détermination de Nathalie Lasternas, est récompensée.

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