Yvelines (78)

Audrey Rochelle, détective privé : « Si les gens sont confinés, on ne peut plus les suivre ! »

Publié le 06/11/2020

Le métier de détective privé est une profession libérale encadrée par la loi du 12 juillet 1983 relative aux professions de sécurité. L’article L. 612-14 du Code de la sécurité intérieure rappelle par ailleurs que « l’autorisation d’exercice ne confère aucune prérogative de puissance publique à l’entreprise ou aux personnes qui en bénéficient ». Atout essentiel pour la constitution de preuves face aux tribunaux, le détective privé n’a pas grand-chose à voir avec l’image populaire véhiculée dans les films ou séries. Audrey Rochelle, installée depuis 2013 à Versailles (78), évoque surtout l’attente, assise dans son véhicule ou debout dans la rue. Elle a accepté de partager avec les Petites Affiches son quotidien pendant la pandémie.

Audrey Rochelle, détective privé : « Si les gens sont confinés, on ne peut plus les suivre ! »
Photo : ©AdobeSTock/Simone_n

Les Petites Affiches : Comment êtes-vous devenue détective privée ?

Audrey Rochelle : Il existe aujourd’hui quatre formations en France. Pour ma part, j’ai fait une faculté de droit  – je suis diplômée en droit privé et en criminologie – et j’ai également fait une licence professionnelle : Sécurité des biens et des personnes mention « enquêtes privées », à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. C’est un diplôme en deux ans reconnu par l’État.

LPA : Était-ce votre premier choix de carrière ?

A. R. : Au départ, je voulais entrer dans la police, mais cela ne s’est pas fait. À l’époque, les formations étaient chères et privées. C’est ensuite par hasard que je suis tombée sur la formation proposée par l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Donc je suis retournée à la faculté en 2011, cinq ans après mon diplôme de droit. J’étais motivée par le côté investigation et le fait d’être sur le terrain. C’est un peu plus solitaire que le métier de policier, même s’il y a des ressemblances. Une fois le diplôme obtenu, j’ai ouvert mon agence et attendu l’agrément. Je suis sous le statut d’auto-entrepreneur. Je traite des dossiers directement avec des clients mais je fais également de la sous-traitance, c’est-à-dire que je suis collaboratrice pour des confrères et que je réalise la mission sur le terrain pour eux.

LPA : Vous êtes installée à Versailles. Ce lieu a t-il été choisi en considération de votre profession ?

A.R. : J’habite à côté et j’ai effectivement ciblé une certaine clientèle.

LPA : À quoi ressemble votre journée de travail ?

A.R. : Je n’ai pas de bureau, je suis quasiment toujours sur le terrain. Parfois, des filatures ne donnent rien, ce sont alors de longues heures d’attente sans résultat. J’ai eu un stagiaire pendant six mois cette année et je lui ai fait comprendre que c’était une vocation. Lorsqu’on découvre la réalité du métier, on se rend compte que les conditions sont parfois difficiles avec le froid, la pluie, l’impossibilité de manger ou d’aller aux toilettes. Le but est de rester le plus discret possible, se fondre dans la masse.

LPA : Est-ce pour cela que vous n’avez pas de photographie sur votre site et que vous êtes absente sur les réseaux sociaux ?

A.R. : Je fais beaucoup de terrain donc je ne me mets pas en avant. La discrétion est primordiale.

LPA : Le fait de devoir porter un masque a-t-il modifié votre approche ?

A. R. : Le masque ne facilite pas les choses. Puis avec le mauvais temps qui approche, les capuches, les bonnets, cela va se compliquer davantage. Concernant les photos, d’autres éléments viennent en général corroborer qu’il s’agit bien de la personne surveillée donc il est difficile de le contester. En revanche, pour nous, détectives privés, les masques sont au contraire un plus pour se fondre dans la masse !

LPA : Quelles sont les affaires que vous traitez le plus souvent ?

A.R. : Le soupçon d’adultère est un type de dossier récurrent, à égalité entre hommes et femmes. Souvent, les clients n’ont que très peu d’éléments de départ, par conséquent, les investigations peuvent être longues. Pour les entreprises, j’enquête sur des faux arrêts maladie, des cas de concurrence déloyale, des vols de marchandises, etc. Je peux également réaliser, à la demande des parents, des surveillances sur des enfants mineurs afin de vérifier leur emploi du temps ou leurs fréquentations. Il m’arrive également de faire des recherches de débiteurs ou de parents biologiques (pour ces derniers, leur consentement à la transmission de leurs coordonnées est indispensable).

LPA : Y a-t-il des cas que vous n’acceptez pas ?

A.R. : Je n’accepte pas lorsque ce n’est pas légal, légitime et moral. Tant que ça reste dans le droit et la morale, je fais mon travail. Il y a des demandes que je sous-traite car je n’ai pas les compétences ou le matériel adéquat, comme le « dépoussiérage » (détection de micros, caméras cachées, etc.).

LPA : Vous travaillez parfois avec des avocats ou des huissiers, vous arrive-t-il de collaborer avec la police ?

A.R. : Je ne collabore pas avec la police. Un détective privé peut réaliser une contre-enquête pénale lorsqu’une affaire est jugée et totalement close. Je travaille avec des avocats lorsque le client a engagé une procédure devant les tribunaux. Mon rapport d’enquête est alors transmis à l’avocat qui le présente au juge. Concernant les huissiers, il m’est arrivé de réaliser des missions en amont de leur intervention.

LPA : Être une femme est-il un avantage ou un inconvénient dans ce métier ?

A.R. : Je n’ai eu aucun obstacle lié au fait d’être une femme. Tout le monde est sur un pied d’égalité. Mais il est vrai que j’ai gardé mon prénom pour mon agence afin qu’on voit que je suis une femme, ce qui peut être un critère de sélection. Certains clients pensent qu’on a une approche différente, notamment pour les questions de couple. Les clients se sentent plus à l’aise. Dernièrement, un client a demandé explicitement des femmes pour réaliser une filature. L’image d’un détective femme est moins répandue dans les esprits, donc pour certaines filatures, c’est parfois plus confortable. Être une femme est même un atout dans la profession.

LPA : Vous faites partie de l’Office national des détectives (OND), un syndicat. Quelles sont vos revendications ?

A.R. : Notre métier est agréé par l’État, c’est ce qui nous différencie du citoyen lambda. Cependant, nous n’avons ni de prérogatives spéciales ni d’accès particuliers à certains services. On aimerait avoir accès à certains fichiers administratifs (par exemple les cartes grises ou le service foncier). Nous espérons un assouplissement de la réglementation à notre égard. Les syndicats tentent, depuis des années, d’obtenir plus de reconnaissance de notre métier mais sans grand résultat. Notre profession est réglementée et contrôlée mais nous n’avons pas de droits spécifiques. Notre profession est souvent associée aux sociétés de sécurité privée, gardiennage, garde rapprochée ou transports de fonds alors que nous sommes plus proches des auxiliaires de justice.

LPA : La pandémie a-t-elle eu un impact sur la clientèle ou les affaires ?

A.R. : Depuis le confinement, j’ai plus de demandes d’enfants recherchant leurs parents âgés. Il y a un mois, un homme cherchait son père qu’il n’avait pas vu depuis 50 ans. Je l’ai retrouvé, ils habitent en fait à 15 kilomètres l’un de l’autre ! Le père cherchait également son fils de son côté. C’était très émouvant. Récemment, j’ai eu à nouveau la même demande, une femme qui n’a pas vu son père depuis 1975.

Avant le confinement, la recherche de personnes concernait essentiellement les débiteurs. Le couvre-feu ou le confinement est cependant un problème pour notre travail : si les gens sont confinés, on ne peut plus les suivre ! Et même si on peut suivre des personnes autorisées à sortir, en termes de filature, on est forcément plus visible dans des rues quasi vides, que ce soit en véhicule ou à pied.

X