Tribunal judiciaire de Paris, un nouveau nom, des nouveaux chefs
Ne l’appelez plus « tribunal de grande instance », depuis le 1er janvier 2020 il se nomme « tribunal judiciaire de Paris » ! Ainsi en a décidé la réforme de la justice qui a fusionné les TGI et les tribunaux d’instance. La nouvelle juridiction a tenu sa première rentrée solennelle le 20 janvier dernier dans un contexte tendu en raison de la grève des avocats contre la réforme des retraites.
Il y a des rentrées solennelles qui parfois tranchent avec l’exercice traditionnel. Celle du tribunal judiciaire de Paris le 20 janvier dernier fut de celle-ci. C’était le troisième lundi du mois et, ce faisant, le début également de la troisième semaine de grève dure des avocats contre la réforme des retraites. Cela se traduit en pratique par des demandes de renvoi systématiques de toutes les audiences civiles comme pénales et par la suspension de toutes les désignations du bâtonnier, qu’il s’agisse de l’aide juridictionnelle, de l’assistance aux mineurs ou encore de la garde à vue. En clair, l’avocat cesse totalement de participer à l’exercice judiciaire à l’intérieur des palais de justice.
Dans la grande salle d’audience du palais des Batignolles, les robes rouges s’installent sur l’estrade, tandis que les invités prennent place sur les bancs qui leur sont réservés. Dehors, un cordon serré de policiers défend l’accès à la salle. On n’y entre que sur présentation d’une invitation ou d’une pièce d’identité. Porteurs de robe d’avocat, de ballon ou de pancarte, s’abstenir ! Il faut dire que deux étages plus bas, dans la salle des pas perdus, des dizaines d’avocats se rassemblent ; ils ont visiblement prévu une manifestation à l’occasion de la rentrée solennelle. Des slogans commencent à fuser « Belloubet démission ! », tandis qu’on gonfle des ballons. L’ambiance est bon enfant mais lorsque le président de l’Association des avocats pénalistes (ADAP), Christian Saint-Palais tente d’accéder au deuxième étage par l’ascenseur, il est refoulé dans la cabine par des policiers. Inutile d’espérer perturber la rentrée solennelle, la police du tribunal veille.
Quatre chefs de juridiction
À l’intérieur, le tribunal expose sa toute nouvelle quadriarchie pour reprendre le mot du procureur national financier Jean-François Bohnert lors de la cérémonie d’installation du président Stéphane Noël le 13 décembre dernier. Cette curieuse déclinaison de la traditionnelle dyarchie désignant le président et le procureur ou le premier président et le procureur général qui dirigent les juridictions est caractéristique de la justice parisienne et des dernière réformes. Avec la mise en place du parquet national financier en février 2014, le tribunal est devenu une triarchie, puis avec celle du parquet national anti-terroriste l’an dernier, une quadriarchie.
Autre spécificité de cette rentrée, les quatre chefs sont nouveaux. Rémy Heitz a pris ses fonctions de procureur de Paris le 8 novembre 2018 et le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard le 1er juillet 2019 ; Jean-François Bohnert remplace Éliane Houlette depuis le 7 octobre 2019, à la tête du parquet national financier et le président Stéphane Noël enfin a été nommé le 13 novembre 2019 en remplacement de Jean-Michel Hayat devenu premier président de la cour d’appel de Paris.
Une nouveauté encore : le tribunal n’est plus tout à fait le même. Depuis le 1er janvier, instance et grande instance ont fusionné pour donner naissance au tout nouveau tribunal judiciaire.
« La justice sans les avocats, c’est la tyrannie »
« La justice sans les juges c’est la barbarie, mais la justice sans les avocats c’est la tyrannie », a attaqué d’entrée de jeu ou presque Stéphane Noël après avoir salué le travail accompli par Marie-Aimée Peyron et Basile Ader, bâtonnier et vice-bâtonnier sortants, puis accueilli Olivier Cousi et Nathalie Roret leurs successeurs depuis le 1er janvier. « Qu’on le veuille ou non nous sommes l’incarnation de la même institution », a encore souligné le président, marquant ainsi une claire volonté d’améliorer les relations entre avocats et magistrats. Toutefois, il y a une ombre au tableau : la grève. Elle a deux travers, d’une part elle désorganise la juridiction en retardant le traitement des dossiers, d’autre part, elle créé des tensions. La semaine précédente, les avocats ont organisé ce qu’ils appellent des opérations de défense massive. Cela consiste à venir défendre à plusieurs les prévenus en comparution immédiate. Ce qui bien évidemment retarde les audiences et force les juges à répondre à une multiplicité inhabituelle d’arguments. « Je regrette les incidents qui ont émaillé certaines audiences ces derniers jours, a déclaré Stéphane Noël. Les revendications sociales portées par le barreau, aussi légitimes soient-elles ne peuvent conduire à certains excès au moment même ou les avocats de Paris ont pu exprimer leurs attentes de nouer avec les services du tribunal des relations empreintes de cordialité ». Il a toutefois indiqué qu’il avait à cœur de construire avec les avocats « une communauté judiciaire apaisée ».
Le prétoire, nouvel espace de débat public
Le président a concentré le cœur de son propos au fonctionnement de la justice civile. Il a rappelé que 168 magistrats sur les 341 que compte le tribunal de Paris sont dédiés à la matière civile, ils ont rendu 47 815 décisions en 2019, ce qui représente une augmentation de 6 %. Il y a eu aussi près de 10 000 ordonnances de référé. Il a indiqué que la médiation constituait un axe déterminant de développement et il a salué à ce sujet l’engagement du bâtonnier Olivier Cousi et de la vice-bâtonnière Nathalie Roret. Concernant la réforme du divorce, il a indiqué que le tribunal souhaitait encourager le développement de la procédure participative. « Les audiences de mise en état devront être rénovées et les plaidoiries discussions développées afin que le temps de la procédure civile soit un temps judiciaire plus dynamique et plus riche d’échanges entre les juges et les avocats. La pratique du rendez-vous judiciaire sera encouragée ».
Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris
Philippe Cluzeau
Stéphane Noël a aussi attiré l’attention sur le pôle de réparation du préjudice corporal qui a « grandement accéléré les délais de traitement des dossiers et a permis une harmonisation de la jurisprudence en la matière dans l’intérêt des justiciables ». Concernant enfin le pôle social installé depuis le 1er janvier 2019, il a traité 14 000 dossiers dont seuls 15 % ont plus d’un an. L’importance du stock, c’est précisément le problème et le défi qu’entend relever le président « pour offrir aux parisiens des délais de jugement raisonnables pour des matières qui touchent leur quotidien ».
Les magistrats davantage intéressés par le pénal que le civil
Et puisqu’il se concentrait sur la matière civile, le président a regretté que la matière attire de moins en moins les magistrats. C’était déjà une préoccupation fréquemment émise par Chantal Arens lorsqu’elle présidait la cour d’appel de Paris. « Sociologiquement, nous relevons que les magistrats sont davantage tournés vers les fonctions pénales et les fonctions dites du soin qui privilégient le contact direct avec le justiciable où le droit et la protection des personnes sont au premier rang », constate Stéphane Noël. Il estime donc important que le ministère engage, en lien avec la cour d’appel, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le tribunal une réflexion sur les conditions de nomination des civilistes. Concernant la formation à l’ENM et sur fond de possible disparition ou fusion avec l’ENA, il a rappelé que l’acquisition de la technicité du syllogisme judiciaire et du raisonnement civil doit être enseigné avant la culture du fonctionnement de l’État. « La préoccupation de former des élites publiques acquises à une culture générale partagée ne doit pas faire oublier, en ce qui concerne la justice, la nécessité pour le justiciable de rencontrer d’abord des juges compétents, impartiaux et diligents ».
Enfin, concernant toutes les réformes qui devront être mises en œuvre en 2020 et qui constituent un « changement de paradigme », tant dans la conduite des affaires civiles que pénales, il s’est demandé si l’institution judiciaire était en capacité de les absorber en même temps : « Malgré leurs contraintes, les juridictions ont souvent fait preuve de génie pour surmonter les obstacles. Mais jusqu’à quand ? ». À la sortie, les avocats avaient suspendu leur robe sur les balustrades. Les invités, quant à eux, étaient conviés à se rendre au cocktail, quelques étages plus haut. Deux mondes, étrangers l’un à l’autre…