Vœux de la Chambre nationale des huissiers de justice : vers une année de transition

Publié le 15/02/2018

Depuis les salons Concorde de l’Automobile club de France, où se tenait les vœux de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ), la vue sur la grande roue majestueuse pouvait symboliser l’ambition des huissiers pour l’année à venir, celle de continuer à faire tourner une profession au cœur de nombreuses évolutions.

Patrick Sannino, débute son discours devant une salle comble, comportant de hautes personnalités comme Dominique Perben, ancien garde des Sceaux, ou encore Henri Nallet, ancien ministre de l’Agriculture et de la Justice. Les voix baissent d’un ton, l’attention se porte sur le président de la CNHJ, qui, loquace, débute sur une touche d’émotion particulière, puisque souligne-t-il, l’année prochaine les vœux seront prononcés au nom « de la Chambre nationale des commissaires de justice ». En effet, la loi Macron du 6 août 2015 a entériné la fusion entre les professions de commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice. L’une des tâches de la CNHJ cette année sera d’ailleurs de préparer l’installation de cette nouvelle chambre. « C’est une tâche ambitieuse car elle rassemblera deux professions, dont l’organisation professionnelle est pour le moins différente. Il nous faudra donc trouver le juste et bon équilibre, pour assurer à nos consœurs et à nos confrères les mêmes droits et les mêmes garanties qu’aujourd’hui. Mais vous le savez bien, sur ce sujet comme tous les sujets abordés aujourd’hui, il n’est pas pour moi question d’une année de rupture, mais d’une année de transition, voire de continuité », a-t-il affirmé, rassurant.

La profession est actuellement soumise à de nombreuses évolutions, dont le président a décidé de se pencher sur trois principales : l’évolution territoriale, l’évolution économique et l’évolution de l’identité de la profession. Sur l’évolution territoriale, il a souligné l’arrêté du 28 décembre dernier, qui a déterminé les zones dans lesquelles la libre installation est possible, avec une certaine dubitation. « Je ne reviendrai pas sur les critères qui ont motivé ces choix, mais il me semble pour certains très éloignés des réalités des offices que j’ai déjà eues l’occasion de voir », a-t-il glissé. Ainsi a-t-il préféré se concentrer sur les conséquences concrètes.

Les enjeux du territoire

La profession aura, dès le 1er février prochain, à accompagner les nouveaux arrivants dans leurs démarches. « Cela ne signifie en aucun cas favoriser certains par rapport à d’autres, seulement apporter des réponses aux questions, éviter les chausse-trappes dans notre intérêt commun à tous », a recommandé le président. Les membres de la profession auront aussi à « accueillir ces primo accédants dans [leur] communauté professionnelle au niveau local comme au niveau national, et à veiller aux conséquences de ces nouvelles installations sur l’équilibre des offices existants, en termes de développement pour les nouveaux ». Fédérateur, Patrick Sannino a précisé que « ces nouvelles conditions d’entrée dans la profession ne doivent pas nous diviser, elles ne doivent pas diminuer la solidarité territoriale de notre profession ». Et jouant d’un peu d’humour, il a ajouté : « On peut faire de très bons vins en mélangeant les cépages », suscitant des rires amusés dans la foule.

Il a souhaité insister sur le fait que les « nouveaux confrères dans la profession et sur le territoire ne sont pas responsables des choix politiques qui ont conduit à leur arrivée. Ils ont droit, comme nous, à la solidarité de leurs pairs, et ils sont en retour garants de la cohésion totale de notre profession ». Cet enjeu territorial est également au cœur de la réflexion sur la carte judiciaire avec les conséquences que cela pourrait avoir sur notre profession, mais « il est encore trop tôt pour en tirer des conséquences ».

Aux yeux de Patrick Sannino, l’huissier « est et doit rester le juriste de proximité ». Or parmi les fractures, la fracture territoriale est peut-être la plus profonde, estime-t-il. « Les élections présidentielles l’ont montré avec force, et nous attendons beaucoup des annonces qui ont été récemment faites par le gouvernement. J’ai pour mémoire d’avoir écouté, il y a quelque temps, le Premier ministre à Cahors avec notamment le soutien de la Caisse des dépôts pour apporter un soutien à la territorialité. D’ailleurs, nous sommes au quotidien au contact des inégalités, des difficultés sociales et du sentiment d’exclusion de certains territoires. Notre mission nous impose cette proximité, notre ADN territorial doit donc être préservé ».

Le numérique au cœur des préoccupations

Le mois dernier, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, a rappelé le rôle indispensable de l’huissier de justice en termes de signification et de caractère irremplaçable de l’acte d’huissier, s’est réjoui Patrick Sannino. « Ce rôle central n’est absolument pas remis en cause par la dématérialisation des procédures. Au contraire, la dématérialisation est une opportunité de valoriser nos savoir-faire juridiques, économiques. (…) Le numérique ne doit pas accentuer la fracture numérique, bien au contraire. De nombreuses propositions que nous avons portées ont d’ailleurs été reprises par les rapporteurs : développement des modes amiables de résolution des conflits, généralisation de la signification au détriment de la lettre recommandée, renforcement de notre rôle dans l’exécution forcée, et mise en place d’une plate-forme numérique commune aux juridictions, aux avocats et aux huissiers de justice ». Là encore, une touche d’humour a ponctué son discours : oui, « avocats et huissiers, ensemble », c’est possible !

La CNHJ affiche une politique volontariste en faveur du numérique, en développant des solutions innovantes : « constitution de preuves, signalement sécurisé au sein d’une entreprise, règlement de différends lorsque l’enjeu ne justifie pas le coût d’un procès, simplification d’une procédure connexe grâce à notre expertise comme tiers de confiance et surtout, demain, sur d’autres champs d’action, qu’il s’agisse de nos métiers traditionnels et de nouvelles compétences ». Patrick Sannino a également insisté sur l’intérêt porté aux réflexions au sein de l’État sur le numérique, comme avec la question de l’intelligence artificielle (v. les travaux de la Cnil et de Cédric Villani), sur l’identité numérique, avec la recherche d’un parcours simple, pour les particuliers et les entreprises, enfin sur le blockchain ». Ces évolutions, la profession n’a pas hésité à les embrasser, et à l’instar de l’Alice de Lewis Caroll, « ici il faut courir pour rester à la même place ».

Cette stratégie numérique a d’ailleurs un écho dans notre action internationale, a affirmé le président de la CNHJ, en valorisant « le cadre juridique dans lequel nous exerçons, notre profession, également notre expertise de la numérisation dans les instances et les procédures ». Le numérique est également un enjeu central de l’action européenne des huissiers, pour la mise en place d’échanges sécurisés entre professions du droit. « C’est pourquoi, nous avons créé une fondation, celle de la Chambre européenne des huissiers, qui permettra d’amplifier notre action internationale et européenne, par des financements et des partenariats nouveaux ».

La fusion avec les commissaires-priseurs

Revenant à la profession de commissaire de justice, Patrick Sannino s’est voulu, là encore, encourageant. « Cette culture commune de l’innovation [partagée avec les commissaires-priseurs, NDLR] doit nous servir de ciment, malgré nos différences qui sont réelles. Ils sont 400, nous sommes 3 200. Vous êtes très majoritairement parisiens, nous sommes présents dans tous les territoires. Je l’ai rappelé, notre CNDJ est au cœur des questions de territorialité. Nous avons cependant des points communs : notre culture juridique, notre esprit d’entreprise, la confiance accordée à nos constatations, l’activité des ventes volontaires, judiciaires ».

Afin d’accompagner la fusion, la CNHJ a d’ailleurs « développé ces derniers mois de nouvelles formations, à destination de nos confrères, sur le numérique, sur les formes d’exercice, puisqu’il en est de notre devoir d’accompagner la profession face à l’évolution des ressources et des besoins, sur l’ensemble des dispositions ». Très attendue, la publication du décret formation-passerelle, qui garantira à termes l’équivalence des compétences entre nos deux professions, qui ira de pair avec une réflexion sur la formation initiale commune.

Dernier point abordé, le changement d’image de la profession. Pour ce faire, il faut combattre « les idées reçues, et convaincre les entreprises, les particuliers, de nous faire confiance ».

2018 s’annonce comme une année pleine de défis à relever, mais aux yeux de Patrick Sannino, il faudra à tout prix éviter l’écueil des « petites alliances », des « manœuvres (…) qui nous affaibliraient tous ». Il a ainsi appelé à l’union, en vue des mêmes objectifs. Il s’est également réjoui de voir la relève assurée, avec la présence des lauréats de l’examen professionnel d’huissiers de justice, dont les dix meilleurs étaient récompensés pour la première fois — et sans doute pas la dernière. Christophe Raymond a pris la tête du palmarès, avec un total de 205, 5 points et une mention bien. Une belle performance qui a clos les discours sur une touche ambitieuse, à l’image des enjeux de l’année à venir.

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