L’Île-de-France c’est 50 % d’espaces agricoles et 25 % d’espaces naturels
Des parcs naturels, des initiatives culturelles et sociales et une richesse patrimoniale encore insoupçonnée… C’est pour lever un autre voile sur l’Île-de-France que celui d’une banlieue paupérisée et bétonnée qu’Enlarge your Paris informe depuis 8 ans. Renaud Charles, son cofondateur, défend une vision ni angélique ni caricaturale du Grand Paris.
Les Petites Affiches : Pourquoi avez-vous créé Enlarge your Paris ?
Renaud Charles : Enlarge your Paris est un média que nous avons lancé avec plusieurs journalistes en 2013. Nous sommes partis du constat qu’il y avait un manque d’informations sur la banlieue. Depuis nos rédactions parisiennes, nous savions qu’il s’y passait beaucoup de choses, puisque nous recevions des communiqués de presse tous les jours, mais personne n’en parlait vraiment. Nous avons donc voulu combler ce défaut d’information sur la banlieue, et plus largement sur le Grand Paris, en créant notre propre média.
Il paraît nécessaire parfois de rappeler que l’Île-de-France, c’est 12 millions d’habitants, dont 2 millions à Paris. C’est plus que la Grèce ou le Portugal, et autant que la Belgique. Nous sommes donc sur un territoire régional peuplé comme un pays membre de l’Union européenne et qui pour autant n’a pas de presse écrite dédié à son actualité. Il y a certes France 3 Paris Île-de-France ou France Bleu pour la télévision et la radio, ou de la presse spécialisée comme Le journal du Grand Paris, mais pas de presse grand public au format écrit.
LPA : Quelle est la ligne éditoriale d’Enlarge your Paris ?
R.C. : Nous avons débuté avec un fort prisme culturel. C’est ce qui nous intéressait le plus. En tant que journalistes et habitants de la banlieue, nous voulions savoir ce qui se passait à côté de chez nous. Nous nous sommes ensuite projetés sur des initiatives et des acteurs qui faisaient vivre le Grand Paris à travers l’écologie et l’économie sociale et solidaire. Ainsi avec ce triptyque – culture, écologie, économie sociale et solidaire – nous couvrons toutes les actualités qui permettent de créer du lien entre les habitants du territoire et leur environnement. Nous portons également un regard attentif au thème de la nature.
En réalité, les Franciliens connaissent très peu leur région. Dès que les beaux jours et la chaleur reviennent, les mêmes phénomènes se répètent. Instinctivement, les habitants se tassent dans les parcs et les jardins parisiens, c’est-à-dire dans l’une des villes les plus denses au monde. Or il y a en région parisienne de nombreux espaces verts, accessibles en quelques arrêts de RER ou de coups de pédale, et qui permettent d’éviter la promiscuité, surtout en période de crise sanitaire. Pour nous, ces informations-là sont fondamentales, elles sont d’intérêt public. Nous travaillons donc à les faire connaître à travers nos balades sur le terrain et nos sélections.
L’enjeu est également de changer l’image de la région, plus verte et naturelle qu’on ne pourrait le penser. Et pour y parvenir nous publions sur le site des « bons plans » et informations pratiques mais aussi des enquêtes sur des sujets de société comme le zéro déchet, la mode éthique ou la gentrification dont on parle tant. Nous ne sommes pas, à ce propos, bardés d’angélisme, ni caricaturaux, nous essayons, à notre mesure, de raconter la réalité des habitants du territoire.
LPA : Vous insistez sur la notion de « marche ». Est-ce le moyen de porter aussi un autre regard sur la région ? En la parcourant à pied, et non en voiture ou en transports en commun ?
R.C. : La marche est un prolongement du média Enlarge your Paris. Nos articles permettent à nos lecteurs de découvrir la région à travers ses paysages, ses lieux et ses acteurs. Ils peuvent ensuite s’approprier ces informations en réalisant des sorties en famille ou entre amis. Mais ils peuvent également nous accompagner grâce à des randonnées que nous proposons. Là, il s’agit alors d’une autre approche. À 50 ou 60, nous faisons vivre le média in situ. La marche est un excellent moyen pour réfléchir, parler avec d’autres habitants du Grand Paris. C’est une façon pour nous aussi d’animer notre communauté de lecteurs et de les inviter à penser leur environnement autrement. À apprendre à le connaître également.
En décembre dernier, un groupe d’Argenteuillais a organisé une balade sur la Butte d’Orgemont à Argenteuil (Val-d’Oise) qui offre une vue saisissante sur le Grand Paris. Un bon nombre de participants, pourtant eux-mêmes habitants de la ville, ne connaissaient pas ce lieu pourtant stupéfiant. Pour vous donner une idée, et les habitués du lieu ne pourront me contredire, la Butte d’Orgemont pourrait être un lieu touristique au même titre que la Butte de Montmartre tant la vue sur place est surprenante. Il y a quelques années, un sondage révélait que 51 % des Franciliens méconnaissaient leur région. Cela laisse à réfléchir. Et on peut s’interroger par ailleurs sur le niveau réel de connaissance de la moitié restante.
LPA : Quels autres sites pourriez-vous nous conseiller ?
R.C. : Le plus étonnant, il me semble, c’est la richesse naturelle de l’Île-de-France. Habituellement, quand on pense à la région capitale, on pense urbanisation et bétonisation. Or ce n’est pas que cela. L’Île-de-France c’est 50 % d’espaces agricoles et 25 % d’espaces naturels. Beaucoup de ces espaces naturels sont accessibles par l’une des 380 gares de banlieues. À titre d’exemple, les quatre parcs naturels régionaux couvrent à eux seuls 18 % du territoire francilien (2 800 km²) et font près de 30 fois la taille de Paris. Ces quatre parcs sont la Haute Vallée de Chevreuse, le Vexin français, le Gâtinais français et l’Oise-Pays de France. Chacun est fort de ses richesses bien sûr. Le Parc naturel du Vexin, situé dans l’Oise et les Yvelines, est composé de nombreux sites touristiques : Auvers-sur-Oise où sont enterrés Van Gogh et son frère, le château de La Roche-Guyon ou encore le domaine de Villarceaux. Le Parc de la Haute Vallée de Chevreuse abrite lui la forêt de Rambouillet, aussi grande que Paris, les châteaux de Dampierre, Breteuil et Rambouillet, ou encore les abbayes de Port-Royal des Champs et des Vaux de Cernay. Le Gâtinais français est appelé le « pays des mille clairières et du grès », il est traversé par 3 rivières, abrite la forêt de Milly-la-Forêt avec l’œuvre monumentale et étonnante du Cyclop réalisée par Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle. Enfin, le Parc de l’Oise est formé de trois grands massifs forestiers (Chantilly, Halatte et Ermenonville) et compte de nombreux monuments comme le château de Chantilly, la cathédrale de Senlis ou l’abbaye de Royaumont. Cela permet de planifier de nombreux week-ends.
LPA : Inutile donc de s’exiler pour profiter de l’espace et de la verdure en temps de pandémie ?
R.C. : C’est ce que nous nous efforçons de répéter. Les voyages à l’étranger étant contraints, et les déplacements limités par le couvre-feu, il faut envisager un autre rapport à la proximité. La situation actuelle est vraiment l’occasion de s’intéresser à son environnement immédiat et de planifier des voyages proches de chez soi. Lors des vacances scolaires de février nous avons d’ailleurs remarqué un pic de fréquentation du site. Les Franciliens ont cherché des idées de sorties autour de chez eux, ce qui n’était pas autant le cas en février 2020, juste avant le début de la crise du Covid-19. Il y a un vrai désir d’espace et de nature. Avant le mois de mai 2020, nous étions en moyenne à 70 000 lecteurs par mois. À la fin du premier confinement nous sommes passés à 300 000, un record. Aujourd’hui nous naviguons autour de 150 000 lecteurs par mois. Nous avons donc doublé notre audience du fait du Covid et des conséquences qu’il a pu avoir sur nos déplacements.
LPA : Le moment que nous vivons renforce-t-il vos choix et vos convictions ?
R.C. : Oui, nous le pensons. La contrainte du couvre-feu est aussi une façon de faire la découverte d’une région, l’Île-de-France, qu’habituellement on ne prend pas le temps de regarder. Il n’est pas forcément nécessaire de faire plusieurs heures en voiture, et généralement dans les bouchons, pour ressentir un dépaysement bienfaiteur. Les forêts publiques franciliennes représentent l’équivalent de 91 000 terrains de foot. Nous avons d’ailleurs édité une carte des forêts accessibles en train.
LPA : Vous organisez également des événements…
R.C. : Il y a effectivement les randonnées dont nous parlions. L’été dernier nous avons longé l’intégralité du tracé du futur réseau du Grand Paris Express en partenariat avec la Société du Grand Paris. Nous les proposons aussi aux entreprises du territoire pour que les salariés saisissent mieux les enjeux locaux. En 2018-2019 nous avons organisé les Rencontres agricoles du Grand Paris, un événement qui s’est déroulé sur plusieurs mois.