Le préjudice d’impréparation et sa réparation, nouvelle précision jurisprudentielle

Publié le 12/04/2019

L’arrêt rendu le 23 janvier 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation statue sur le préjudice causé par le manquement du médecin à son obligation d’information quant aux risques relatifs à l’accouchement de sa patiente. La décision rappelle ainsi qu’une telle obligation est mise à la charge du praticien, même lorsque l’accouchement est réalisé par voie basse, et vient apporter une nouvelle précision quant au régime de son indemnisation, laquelle peut être demandée alors même que le préjudice corporel a été intégralement réparé.

Cass. 1re civ., 23 janv. 2019, no 18-10706

Si le XXe siècle a été sans aucun doute celui de la médicalisation de l’accouchement, il a pu être relevé que « les praticiens du XXIe siècle sont aujourd’hui les témoins du renforcement de deux idéologies (complémentaires ou excluantes) visant d’une part à humaniser encore plus l’accouchement et d’autre part souhaitant une technicité médicale accrue »1. Pour humaniser l’accouchement, le respect du droit des patients et notamment de celui de consentir de manière libre et éclairée aux soins apparaît comme un prérequis. La nécessité pour le médecin de se conformer à son obligation d’information, même lorsqu’il s’agit d’alerter la patiente sur les risques d’un accouchement naturel, a cependant dû être rappelée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 janvier 2019, lequel précise également les conditions de réparation du préjudice d’impréparation résultant de ce défaut d’information.

L’accouchement ayant donné naissance au litige a eu lieu le 1er novembre 2011 au sein d’une clinique toulousaine. La parturiente met au monde une petite fille, par voie basse, l’accouchement ayant été déclenché et réalisé par un gynécologue libéral d’astreinte ce jour-là. Malheureusement, tout ne se passe pas bien. Le recours aux spatules est nécessaire et l’enfant conservera des séquelles liées à une atteinte du plexus brachial.

Les parents de l’enfant imputent au praticien des fautes dans la conduite de l’accouchement et un manquement à son obligation d’information. Plus exactement, ils lui reprochent de ne pas avoir réalisé de césarienne alors même que l’enfant à naître pesait plus de 4 kg (ce qui caractérise médicalement une macrosomie fœtale), et de ne pas les avoir informés de la possibilité de recourir à une telle intervention, ainsi que des risques présentés par l’accouchement par voie basse dans cette situation.

Le 13 novembre 2017, la cour d’appel de Toulouse condamne le praticien à réparer l’ensemble des préjudices consécutifs à l’absence fautive de réalisation d’une césarienne alors même que la macrosomie fœtale l’imposait. Cependant elle refuse toute réparation au titre du défaut d’information, considérant que celui-ci « a porté sur les risques inhérents, non pas à un acte de soins qui aurait été pratiqué sans le consentement éclairé de la patiente, mais à un accouchement par les voies naturelles en présence d’une macrosomie fœtale, il ne saurait être à l’origine pour Mme F. Y, à laquelle seule une information sur les modalités du déclenchement de l’accouchement était légalement due, ni par voie de conséquence pour sa fille et son compagnon, d’un préjudice moral autonome d’impréparation aux complications de l’accouchement qui ne se sont réalisées que du fait de l’absence de recours à une césarienne, absence par ailleurs et principalement imputée à une faute de l’obstétricien ».

Deux questions sous-tendaient ainsi le pourvoi en cassation formé par les parents. D’une part, quelle est l’information légalement due à la future mère accouchant par voie naturelle en présence d’une macrosomie fœtale ? D’autre part, le préjudice d’impréparation résultant d’un manquement à une telle obligation d’information peut-il être indemnisé en présence d’une faute du patricien ayant permis la réparation intégrale du préjudice corporel ?

La décision rendue par la Cour de cassation présente deux intérêts : rappeler qu’une information est due par le professionnel de santé même lorsque les risques sont relatifs à un accouchement par voie basse (I) et préciser le régime de la sanction du manquement à cette obligation d’information en présence d’un préjudice corporel intégralement réparé (II).

I – L’information due lors d’un accouchement par voie naturelle

À la question de savoir si l’obstétricien a manqué à son obligation d’information en ne mettant pas en garde sa patiente contre les risques d’un accouchement naturel, la Cour de cassation répond par la positive.

L’information d’obligation du médecin ne se limite donc pas aux actes strictement médicaux. Sur cette obligation qui pèse sur le corps médical, il peut être rappelé qu’elle est issue de l’arrêt Teyssier de 19422 qui a affirmé le principe du consentement du malade avant de pratiquer une opération et qu’elle prend sa source dans le contrat liant le médecin et son patient depuis l’arrêt Mercier rendu en 1936, lequel a mis à la charge du professionnel une obligation de donner des soins « consciencieux, attentifs, et (…) conformes aux données acquises de la science »3. Ainsi, en manquant à son devoir d’information, le praticien commet une faute contraire à la conscience médicale4. Cette obligation à l’égard du patient trouve désormais son fondement dans les articles 16 et 16-3 du Code civil relatifs aux principes de respect de la dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain5, mais également dans l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 20026 qui consacre le droit à l’information du patient et prévoit notamment que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ».

Il est vrai que la seule lecture de cet article pourrait laisser penser que sont exclusivement concernés par l’obligation d’information les actes de soins, le texte évoquant des « investigations, traitements ou actions de prévention ». Interprétée de manière restrictive, la lettre du texte suggérerait que seul un comportement positif du corps médical – un acte – entraînerait une telle obligation. Il est cependant évident qu’il n’en est rien. Le texte précise d’ailleurs que le droit à l’information est relatif à l’état de santé du patient. Dès lors, quand bien même aucun acte, à proprement parler, ne serait pratiqué par le soignant, le patient est en droit d’être informé. La prévention n’impose d’ailleurs pas toujours un comportement actif. Ainsi, une personne asthmatique peut être informée des risques particuliers du tabagisme pour son état de santé, sans que le praticien ne pratique aucune intervention. L’obligation d’information constitue dans cette situation, à elle seule, un acte de prévention.

C’est sur un autre point qu’était cependant discuté le champ d’application de l’obligation d’information dont est débiteur le médecin. La cour d’appel de Toulouse avait en effet décidé d’écarter toute réparation au titre d’un défaut d’information aux motifs que « celui-ci concerne les risques inhérents, non pas à un acte de soins qui aurait été pratiqué sans le consentement éclairé de la patiente, mais un accouchement par les voies naturelles en présence d’une macrosomie fœtale et qu’était seule légalement due à Mme Y une information sur les modalités du déclenchement de l’accouchement ».

La solution des juges du fond est surprenante en ce qu’elle laisse entendre que l’information sur les risques est due seulement en présence d’un acte de soin. Les mots choisis ne sont d’ailleurs pas anodins. Par la référence à l’aspect naturel de l’accouchement, les juges du fond permettent au médecin de se dispenser de son obligation d’information, cette mise au monde n’étant pas un acte de soin, mais un acte naturel. Mais l’argument selon lequel un accouchement « par les voies naturelles » exclurait toute réparation pour un manquement à l’obligation d’information relative aux risques de ce dernier laisse perplexe. Outre le fait que l’acte de soin est peu aisé à définir, le raisonnement peine à convaincre alors même que les naissances font l’objet d’une médicalisation importante à l’heure actuelle7, et qu’en l’occurrence, l’accouchement a eu lieu dans une clinique, en présence d’un gynécologue, après avoir été médicalement déclenché et que le recours aux spatules a été rendu nécessaire. Surtout, comme cela a été soulevé, la prévention quant à l’état de santé de chaque patient fait partie intégrante de l’activité soignante. Aussi, il est difficile de concevoir que les risques concernant l’accouchement par voie basse n’entrent pas dans le champ d’application de l’obligation d’information. La Cour de cassation affirme donc, en toute logique, et au visa du seul article L. 1111-2 du Code de la santé publique, que « la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ».

En somme, il importe peu que l’accouchement par voie basse ne soit pas un acte de soin. Dès lors que l’état de santé de la parturiente ou de l’enfant à naître laisse apparaître un risque particulier, l’obligation d’information s’impose au médecin.

Il faut, en outre, souligner que la jurisprudence avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question. En 2001, la Cour de cassation avait jugé que manque à son obligation d’information, le médecin qui n’informe pas sa patiente des risques d’un accouchement par voie basse en cas de présentation de l’enfant à naître par le siège8. Plus récemment, le Conseil d’État, dans des termes proches de ceux de l’arrêt du 23 janvier 2019 de la Cour de cassation, a décidé que : « Considérant que la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu’en particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention »9. En l’espèce, le risque consistait en celui d’une rupture utérine, évalué par l’expert à 1 % en cas d’accouchement par voie basse, la mère ayant déjà accouché une première fois par césarienne. Le rapporteur public, Nicolas Polge, avait signalé l’existence dans la jurisprudence des juges du fond de « l’affirmation contestable selon laquelle, la grossesse n’étant pas une affection, et l’accouchement n’en constituant que l’issue naturelle et, quand on le laisse advenir par la voie basse, ne constituant pas un acte médical en soi, il n’y aurait pas d’obligation d’information sur les risques attachés à l’accouchement par voie basse »10, et concluait au rejet du pourvoi, relevant notamment que « dès lors que se présente un “risque fréquent ou grave normalement prévisible” que pourrait prévenir ou réduire une prise en charge appropriée, en particulier en recourant à la césarienne, la femme doit être informée de ces risques et des moyens susceptibles de le prévenir »11.

La cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse était donc attendue sur ce point, la solution ayant déjà été affirmée tant par le juge judiciaire que par le juge administratif.

Par ailleurs, la Cour de cassation explicite dans cet arrêt sa solution, énonçant « qu’en particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention ». Le contenu de l’obligation d’information est donc précisé : la patiente doit être informée non seulement des risques inhérents à sa situation, mais également des options qui lui sont offertes et des risques potentiels attachés à ces dernières. Se retrouve ainsi la finalité de l’obligation d’information pesant sur le corps médical : permettre au patient de bénéficier de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour effectuer un choix éclairé. À la lumière des principes de dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain, le devoir d’information du médecin prend toute son ampleur : il ne s’agit pas simplement de mettre en garde le patient contre les risques présentés par un acte de soin ou son état de santé, mais de le mettre en mesure d’opérer lui-même la balance bénéfices/risques des options possibles pour prévenir ou remédier aux dangers potentiels. Le patient est acteur dans la démarche de soin ou de refus de soin, le médecin ne pouvant prendre seul la décision. Si le praticien, sachant, est en effet en situation de pouvoir, il doit partager son savoir afin que la solution médicale soit choisie ou refusée par le patient. Dans le domaine spécifique de l’obstétrique, la solution est particulièrement bienvenue, l’actualité étant rythmée par des exemples de maltraitances et de violences régulièrement dénoncées par les femmes enceintes12. Reste à mieux former les professionnels de santé quant aux obligations en matière d’information qui pèsent sur eux, un tel manquement au devoir de conscience médicale donnant lieu à réparation, même en présence d’un préjudice corporel indemnisé.

II – La sanction du défaut d’information en présence d’un préjudice corporel indemnisé

Concernant la question relative au droit à réparation ouvert consécutivement au manquement par le médecin à son obligation d’information, la Cour de cassation répond que « Mme Y était fondée, en son nom personnel, à invoquer l’existence d’un préjudice d’impréparation ».

Il importe au préalable de rappeler l’évolution jurisprudentielle relative à la reconnaissance de ce préjudice d’impréparation. Le manquement du médecin à son obligation d’information n’a d’abord donné lieu à indemnisation que sur le fondement d’une perte de chance13, la réparation n’étant possible que lorsque la liberté de choix du patient correctement informé avait été conservée14. Aussi, en présence d’une intervention strictement nécessaire et dans la certitude que le patient n’aurait eu d’autre choix que de l’accepter même en connaissant les risques inhérents à l’acte médical, il ne pouvait y avoir indemnisation. En 2010, la Cour de cassation a infléchi sa position en décidant, aux visas des articles 16, 16-3, alinéa 2, et 138215 du Code civil, que « le non-respect du devoir d’information (…) cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes susvisés le juge ne peut laisser sans réparation »16, qualifiant 2 ans plus tard ce préjudice de « préjudice moral résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle »17, lequel est réparable quand bien même il ne fait aucun doute que le patient, informé, aurait accepté l’intervention. En 201418, les juges de cassation affinent leur solution en retenant une conception subjective du préjudice d’impréparation, c’est-à-dire que la réparation de ce dernier est subordonnée à la réalisation du risque non révélé. Par un arrêt en date du 25 janvier 201719, deux précisions quant à son régime sont clairement énoncées par la première chambre civile de la Cour de cassation : d’une part, ce préjudice est présumé exister dès lors que le risque s’est réalisé, d’autre part, il est possible de cumuler sa réparation avec celle de la perte de chance, sans porter atteinte au principe de réparation intégrale20.

La décision rendue le 23 janvier 2019 vient ajouter une pierre à cet édifice en répondant à une question inédite : est-il possible de solliciter la réparation du préjudice d’impréparation alors même que le préjudice corporel a fait l’objet d’une indemnisation intégrale ? Par un chapeau, la Cour de cassation y répond positivement, affirmant que « le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comportait un accouchement par voie basse ou un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins, auquel il a eu recours fautivement ou non, cause à celui auquel l’information était due, lorsque l’un de ces risques s’est réalisé, un préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies, résultant d’un défaut de préparation à l’éventualité que ce risque survienne ».

Plusieurs remarques peuvent être faites à la suite de la lecture de ce paragraphe. En premier lieu, si les juges de cassation font référence au devoir d’information relatif aux risques inhérents à un accouchement par voie basse, ils prennent le soin d’étendre la solution à tout « acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins ». Dès lors, il ne fait aucun doute que tout manquement d’un professionnel de santé à son obligation d’information obéit au même régime et que la solution posée n’est pas propre aux circonstances particulières de l’espèce.

Ensuite, la Cour de cassation confirme la nécessité de réalisation du risque pour réparer le préjudice d’impréparation, reprenant en cela la solution dégagée par l’arrêt du 23 janvier 2014.

Enfin, il est affirmé que ce préjudice doit être réparé qu’il y ait eu ou non une faute technique du praticien. La solution est cohérente : si l’on peut dissocier la faute contre la science médicale (comprenant la faute technique, mais également la faute dans le choix thérapeutique), de la faute contre la conscience médicale, il n’y a aucune raison de ne pas pouvoir réparer les préjudices découlant de chacune de ces fautes si ceux-ci sont distincts. Les juges du fond avaient procédé à une assimilation des deux préjudices, considérant que les complications de l’accouchement « ne se sont réalisées que du fait de l’absence de recours à une césarienne, imputée à une faute au gynécologue-obstétricien ». Pourtant, le préjudice d’impréparation, préjudice moral causé à la mère, est bien distinct du préjudice corporel subi par l’enfant. Il peut être relevé que certains auteurs s’étaient interrogés sur l’opportunité de la solution posée par l’arrêt du 25 janvier 2017, considérant que le préjudice d’impréparation et le préjudice de perte de chance étaient incompatibles, la réparation de l’un supposant que le patient aurait accepté l’opération, tandis que la réparation de l’autre implique la possibilité pour le patient de refuser l’opération21. Cette objection ne peut s’appliquer au cas d’espèce. En effet, tant le préjudice d’impréparation que la réalisation du préjudice corporel supposent l’exposition au risque, laquelle découle de l’absence d’intervention médicale (l’accouchement par voie basse), contrairement au préjudice de perte de chance qui implique quant à lui la possibilité pour la patiente de recourir à une césarienne.

Si l’indépendance de ces deux préjudices est établie par la Cour de cassation et ne semble pas pouvoir être contestée, le cumul de leur réparation est-il pour autant autorisé ? Tout d’abord, il y a lieu de remarquer que les juges de cassation ont limité le droit à réparation du préjudice moral d’impréparation à la seule mère de l’enfant. Sont donc exclus le père et l’enfant. Leur exclusion est somme toute logique : l’obligation d’information dont est tenu le médecin relativement aux modalités d’accouchement est due à l’égard de la seule patiente, laquelle est en l’occurrence la mère. En conséquence, le principe de la réparation intégrale du préjudice ne sera pas mis à mal en l’espèce. Deux préjudices différents sont réparés : d’un côté, celui de l’enfant qui subit des séquelles physiques, au titre du préjudice corporel, de l’autre, celui de la mère au titre du préjudice d’impréparation. Il est vrai cependant que l’évaluation de ce dernier peut interroger puisqu’elle s’effectue en pratique par référence au dommage corporel, la Cour de cassation rappelant néanmoins dans cet arrêt le pouvoir souverain des juges du fond en la matière : « Il incombe aux juges du fond d’en apprécier l’étendue au regard des circonstances et des éléments de preuve soumis ». Il peut pourtant être remarqué qu’il n’y a rien d’exceptionnel à apprécier un préjudice extrapatrimonial d’une victime indirecte à la lumière du préjudice corporel de la victime directe. Par exemple, le préjudice d’affection est évalué tant au regard de l’existence d’une relation affective réelle avec la victime directe qui aurait été blessée, que de l’importance du dommage subi physiquement par cette dernière. En outre, quand bien même la victime du préjudice d’impréparation subirait elle-même un préjudice corporel, il ne semble pas que le cumul de réparation de ces deux préjudices serait prohibé. Le préjudice d’impréparation est défini par la Cour de cassation comme « un préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies », confirmant ainsi qu’il s’agit de réparer l’impossibilité pour la victime d’avoir pu se préparer psychologiquement à la réalisation du risque encouru22. Ce préjudice serait ainsi réparable pour la victime directe subissant une atteinte à son intégrité physique au même titre que d’autres préjudices extra-patrimoniaux se cumulant avec un préjudice corporel, comme c’est le cas du préjudice d’agrément pour l’évaluation duquel il est difficile pour les juges de ne tenir aucunement compte de la gravité des séquelles physiques23.

La solution de la Cour de cassation doit selon nous être saluée, en ce qu’elle donne sens au rattachement de l’obligation d’information aux droits fondamentaux que sont la dignité de la personne humaine et l’intégrité du corps humain. Le choix des articles 16 et 16-3 comme visas, en sus de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, n’est d’ailleurs pas anodin et fait légitimement écho à l’importance de l’obligation d’information du patient consacrée notamment aux articles 3 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 5 de la convention d’Oviedo.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Clesse C., Lighezzolo-Alnot J., De Lavergne S. et a., « Histoire de l’accouchement en Occident : évolution des connaissances, techniques, croyances, rites et pratiques professionnelles au travers des âges », Devenir, 2018/4, vol. 30, p. 399-417.
  • 2.
    Req., 28 janv. 1942, Parcelier/Teyssier : DP 1942, p. 63 ; Gaz. Pal. Rec. 1942, 1, p. 177.
  • 3.
    Cass. civ., 20 mai 1936, Nicolas c/ Mme Mercier : DP 1936, I, p. 88, rapport Josserand L., concl. Matter P., note Pilon E. ; S. 1937, I, 321, note Breton A. ; Gaz. Pal. 1936, II, 41 ; RTD civ. 1936, p. 691, obs. Demogue R. ; collectif, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 13e éd., 2015, D., n° 162.
  • 4.
    V. égal. relativement à cette obligation d’information, Cass. 1re civ., 19 avr. 1988, n° 86-15607 : Bull. civ. I, n° 107 – et Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n° 97-10267 : JCP G 1998, II 10179, concl. Sainte- Rose J., note Sargos P. ; RTD civ. 1999, p. 111, note Jourdain P. ; D. 1999, p. 145, note Porchy S. ; Gaz. Pal. 16 juin 1999, p. 63, note Pansier F.-J. et Bladier J.-B.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14564 : JCP G 2002, II 10045, note Cachard O. – et Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-18327 : D. 2012, p. 1610, obs. Gallmeister I. ; ibid, p. 1794, note Laude A. ; D. 2013, p. 40, obs. Gout O. ; RDSS 2012, p. 757, obs. Arhab-Girardin F.
  • 6.
    L. n° 2002-303, 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  • 7.
    Il peut néanmoins être noté que la haute autorité de santé a, par une décision du 13 décembre 2017, adopté une recommandation de bonne pratique intitulée « Accouchement normal : accompagnement de la physiologie et interventions médicales » visant à limiter la surmédicalisation de l’accouchement en France (v. sur le site de l’HAS ladite recommandation publiée le 25 janvier 2018, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2820336/fr/accouchement-normal-accompagnement-de-la-physiologie-et-interventions-medicales).
  • 8.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14564 : D. 2001, p. 3470, note Sargos P. ; D. 2001, p. 3474, note Thouvenin T. ; JCP G 2002, II 10045, note Cachard O. ; RTD civ. 2002, p. 176, note Libchaber R. ; RTD civ. 2002, p. 507, note Mestre J. et Fages B. ; LPA 13 mars 2002, p. 17, Marmoz F. ; collectif, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 13e éd., 2015, D., n° 12.
  • 9.
    CE, 27 juin 2016, n° 386165, Centre hospitalier de Poitiers : Lebon ; AJDA 2016, p. 1316, note Poupeau D. ; JCP A 2017, 2001, note Mauquet-Anger M.-L.
  • 10.
    Concl. de M. Nicolas Polge, rapporteur public, accompagnant l’arrêt CE, 27 juin 2016, n° 386165, Centre hospitalier de Poitiers, en ligne sur le site du Conseil d’État.
  • 11.
    Concl. de M. Nicolas Polge, rapporteur public, accompagnant l’arrêt CE, 27 juin 2016, n° 386165, Centre hospitalier de Poitiers, en ligne sur le site du Conseil d’État.
  • 12.
    V. not. à ce sujet : Roman D., « Les violences obstétricales, une question politique aux enjeux juridiques », RDSS 2017, p. 867.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 7 févr. 1990, n° 88-14797 : D. 1991, p. 183, obs. Penneau J. ; RTD civ. 1992, p. 109, obs. Jourdain P.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-23046 : D. 2000, somm. 471, obs. Jourdain P. ; Defrénois 15 oct. 2000, n° 37237, p. 1121, obs. Mazeaud D.
  • 15.
    Devenu C. civ., art. 1240, depuis Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13591 : D. 2010, p. 1522, note Sargos P. ; RDC 2010, p. 1235, obs. Borghetti S. ; RTD civ. 2010, p. 571, obs. Jourdain P. ; JCP G 2010, II 788, obs. Porchy-Simon S.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-17510 : D. 2012, p. 2277, note Bacache M. ; D. 2013, p. 40, obs. Brun P. et Gout O. ; RTD civ. 2012, p. 737, obs. Jourdain P. ; RTD eur. 2013, p. 292-36, obs. Rias N. ; JCP G 2012, 1036, note Sargos P. ; JCP G 2013, 948, note Chausfoin A. et Hollestelle C. ; Resp. civ. et assur. 2012, étude 9, note Hocquet-Berg S.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 23 janv. 2014, n° 12-22123 : D. 2014, p. 584, avis Bernard de la Gatinais L., et p. 590, note Bacache M. ; RDSS 2014, p. 295, note Arhab-Girardin F. ; Contrats, conc., consom. 2014, n° 4, comm. 86, Leveneur L. ; JCP G 2014, 553, note Viney G. ; JCP G 2014, 446, note Bascoulergue A. ; RTD civ. 2014, p. 379, note Jourdain P. ; RDC 2014, n° 110s6, p. 368, note Guégan-Lécuyer A. ; Gaz. Pal. 20 mars 2014, n° 170s9, p. 8, note Parance B.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-27898 : D. 2017, p. 555, note Ferrié S.-M., et p. 2224, obs. Bacache M. ; RDSS 2017, p. 716, note Cristol D. ; RTD civ. 2017, p. 403, obs. Jourdain P. ; Dalloz actualité, 13 févr. 2017, obs. Kilgus N. ; Resp. civ. et assur. 2017, p. 39, obs. Hocquet-Berg S. ; Contrats, conc., consom. 2017, p. 71, note Leveneur L. ; RDC 2017, n° 114c9, p. 231, note Borghetti J.-S. ; LPA 19 avr. 2017, n° 125s3, p. 10, Fabas Serlooten A.-L. ; Gaz. Pal. 25 avr. 2017, n° 293c8, p. 22, obs. Gerry-Vernières S. ; Gaz. Pal. 6 juin 2017, n° 296p5, p. 65, obs. Delhaye A. ; Gaz. Pal. 16 janv. 2018, n° 310z5, p. 29, obs. Mekki M. – v. égal. Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 16-21141 : RCA oct. 2017, comm. 251, Hocquet-Berg S. ; Gaz. Pal. 7 nov. 2017, n° 306k9, p. 67, obs. Delhaye A.
  • 20.
    À la condition toutefois qu’une demande en réparation ait été formulée au titre de chacun de ces préjudices, en ce sens v. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-11339 : Gaz. Pal. 6 déc. 2016, n° 281s2, p. 70, obs. Delhaye A.
  • 21.
    V. not. en ce sens : Ferrié S.-M., « Quelle sanction pour la violation du devoir d’information médicale ? », D. 2017, p. 555 ; Jourdain P., « Défaut d’information médicale : cumul possible de la réparation d’une perte de chance et d’un préjudice moral d’impréparation », RTD civ. 2017, p. 403 ; v. néanmoins contra Bacache M., « Droit à l’information et consentement », D. 2017, p. 2224, qui relève que « l’incertitude quant au choix du patient informé, qui justifie la réparation de la perte de chance d’éviter le dommage corporel, est sans rapport avec la certitude du préjudice moral du patient non informé qui n’a pu se préparer à la réalisation du risque ».
  • 22.
    Certains auteurs ayant pu considérer qu’il n’est pas « interdit de penser que ce chef de préjudice pourrait ratisser plus large car si la victime avait su, elle aurait pu prendre un certain nombre de dispositions pouvant tenir à l’organisation de sa succession ou de son activité professionnelle » (Gout O., « 1. Préjudice », D. 2018, p. 35).
  • 23.
    L’absence de séquelles physiques n’excluant cependant pas tout préjudice d’agrément, v. en ce sens Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 16-21776 : D. 2018, p. 1488 ; D. 2019, p. 38, obs. Brun P., Gout O. et Quézel-Ambrunaz C. ; JS 2018, n° 189, p. 9, obs. Aumeran X.
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