Île-de-France

La crise sanitaire renforce le télétravail mais ne le consacre pas

Publié le 06/08/2020

Sans autre alternative durant le confinement, le travail à distance s’est ancré dans l’organisation des entreprises. Les craintes d’avant-coronavirus ont laissé place désormais à une volonté de télétravailler qui s’impose comme une tendance de fond analyse, Frank Zorn, co-fondateur de Deskeo, une entreprise spécialisée dans les bureaux flexibles en France qui vient de réaliser une série de sondages sur le télétravail.

Les Petites Affiches : Il ressort de votre sondage que le télétravail est promis à un bel avenir. Son utilité et son développement sont-ils désormais incontestés ?

Frank Zorn : Nous avons réalisé quatre enquêtes sur le sujet depuis le début du confinement, et une tendance assez nette se dégage à présent. Si la première fois que nous avons interrogé des personnes, elles pouvaient exprimer quelques réticences au télétravail, notamment parce que c’était une première pour elles et que les conditions n’étaient pas idéales, progressivement les avantages du télétravail se sont imposés dans leur jugement. Il y en a trois principaux.

Le premier c’est le gain de temps réalisé : il n’y plus de longs déplacements à effectuer quotidiennement. Ce temps, précieux, est par exemple transféré dans le cadre privé, ce qui est apprécié naturellement, mais également pour le travail. Deuxième avantage : pour les salariés et les entreprises, c’est le renforcement de l’autonomie dans l’organisation de la journée. Enfin, concernant la productivité, les personnes interrogées nous ont souvent dit que le télétravail facilitait la concentration pour la réalisation de certaines tâches. Les open spaces, qui sont la norme sur beaucoup de lieux de travail, génèrent du bruit et du stress pour les salariés. Ainsi l’ensemble de ces bénéfices veulent être conservés par les travailleurs. Pour 74 % des employés, le télétravail est une vraie tendance de fond qui va s’intensifier à l’avenir.

Le regard des dirigeants a lui aussi évolué sur le sujet. Lors de nos premières enquêtes, les salariés estimaient que leurs managers n’étaient pas favorables au télétravail car celui-ci ne permettait pas d’être autant productif qu’en présentiel. Or quand nous avons interrogé ces dirigeants il s’est avéré que cette méfiance n’était pas avérée. Ils sont eux aussi favorables à un ou deux jours de télétravail par semaine à l’avenir. Cette idée d’un modèle flexible entre présentiel et distance fait consensus aujourd’hui.

LPA : Tendons-nous vers une organisation hybride ? Moitié télétravail, moitié présentiel ?

F.Z. : Si je me base sur mon expérience personnelle de ces dernières semaines, j’ai beaucoup travaillé de chez moi avec, bien sûr, notamment des réunions en visioconférence pour échanger avec mes équipes. Nous étions efficaces mais il est vrai qu’il manquait « quelque chose ». Le lien social qui se crée en entreprises est aussi très important en réalité. Ce n’est qu’en présence des autres que l’on peut vraiment partager une ambition ou un projet pour une entreprise. Quand on travaille sur un même lieu que ses collègues on renforce aussi sa créativité et son enthousiasme à faire avancer un dossier.

Tout cela implique de nombreux changements pour les entreprises. D’un point de vue managérial, ce n’est pas pareil de diriger une équipe à distance. Il faut peut-être se former à cela, avec une gestion portée davantage sur la performance que la présence. Pour beaucoup de managers et de dirigeants, c’est un changement culturel. Comment aussi créer un lien avec ses équipes si elles ne sont pas là tout le temps ? Techniquement, cela appelle également à mieux équiper les salariés pour le travail à distance. Le télétravail ne peut pas être efficace avec une connexion internet insuffisante. Il faut avoir des ordinateurs suffisamment grands et agréables pour travailler depuis chez soi. Enfin, les bureaux de l’entreprise doivent être réaménagés. Il n’y a plus forcément d’intérêt à avoir un bureau par salarié et quelques espaces de réunions. L’espace doit être repensé pour renforcer le partage et le sentiment d’appartenance. Les entreprises ne peuvent plus se contenter de salles de réunion avec quelques tables et des chaises. Il faut créer des espaces de créativité et de calme par exemple.

LPA : Tous ces bouleversements sont-ils d’autant plus applicables à la région Île-de-France, la plus urbanisée du pays ?

F.Z. : La région Île-de-France est effectivement particulière. L’un des avantages du télétravail est lié aux transports. Or le territoire où le transport accapare le plus de temps des salariés en France c’est en Île-de-France. Le trajet moyen domicile-travail est de 45 minutes pour un Francilien, donc 1h30 par jour. Télétravailler prend ici tout son sens.

Un autre phénomène révélé par cette période de confinement tient au désir, pour de nombreux Parisiens, de vivre en province et de s’éviter ainsi la densité, la pollution ou encore le stress associés à une grande ville. Le télétravail jumelé à une ligne directe de transport pourrait faciliter cette envie. Ainsi des Métropoles comme Bordeaux et Nantes vont gagner en attractivité si elles peuvent être reliées facilement en train.

LPA : Les gestes barrières et la crise sanitaire vont-ils modifier structurellement la « vie au bureau » ?

F.Z. : Les personnes qui sont retournées sur leur lieu de travail respectent, pour la plupart, les règles sanitaires en vigueur et vont même au-delà pour se protéger eux et leur famille en rentrant à la maison le soir. Cela restera effectif le temps de trouver un vaccin et le temps que les risques sanitaires se dissipent totalement.

En revanche, culturellement, des comportements vont sûrement évoluer et s’ancrer. En Allemagne, dans mon pays d’origine, les personnes qui travaillent ensemble ne se font pas la « bise », ils se serrent la main s’ils le souhaitent. C’est donc différent de la France et plus généralement des pays latins. Or l’habitude prise pendant la crise de ne plus avoir de contacts physiques pourrait perdurer dans ces pays, même après cet épisode de crise sanitaire. Est-ce pour autant la fin du lien social ? Je ne le crois pas. On passera tout de même une grande partie de notre temps avec nos collègues et nos collaborateurs, les échanges continueront d’exister. Il le faut en tout cas, sinon cela aura des impacts à mon avis très inquiétants sur l’ensemble de la société.