L’avenir moins incertain du barème d’indemnisation des licenciements

Publié le 07/02/2019

Soumis à des juridictions à l’aune des normes de droit international, le barème obligatoire et plafonné des indemnisations de licenciement avait été validé par une juridiction, mais les occasions de le contester au regard de ces normes sont encore nombreuses tant devant les juridictions internes, comme vient de le faire le conseil de prud’hommes de Troyes qui vient de l’invalider, que devant des juridictions internationales où la question n’a pas encore été posée, mais qu’il ne sera peut-être pas nécessaire de saisir, si bien que son avenir est moins bien assuré qu’il n’y paraissait à première vue.

Le plafonnement des indemnités prud’homales de licenciement a été l’une des premières mesures du nouveau quinquennat1. Le barème2 voit poindre ses contestations devant les juridictions3, et certaines, comme la présente4, sont fondées sur le droit international, spécialement les règles de l’OIT ou du droit européen.

Le salarié, pour lequel le lien de subordination était contesté, ce qui a été écarté, car les juges ont estimé que l’étude de sa situation montrait l’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné5, point sur lequel nous ne nous étendrons pas, demandait la résiliation judiciaire de son contrat de travail ou subsidiairement la constatation, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et les indemnités correspondantes en faisant valoir que celles-ci devaient être fixées en ne tenant pas compte du barème légal plafonnant les indemnités de licenciement en raison du fait qu’il viole les normes internationales, applicables devant les juridictions internes, argumentation qui a été admise par le conseil de prud’hommes de Troyes. Cette décision d’une juridiction interne française fondée sur le droit international avec lequel le droit français, sur ce point comme sur d’autres, est en contradiction6 fragilise la barémisation des indemnités de licenciement (I) et rend moins utile la saisine des juridictions européennes qui cependant reste encore possible (II).

I – La barémisation des indemnités de licenciement fragilisée

La naissance de la barémisation des indemnités de licenciement s’inscrit dans ce courant de pensée qui voit l’avenir du pays dans l’ultralibéralisme7, et celui des entreprises dans la simplification du Code du travail et la réduction des coûts de production8. Il n’est pas certain que ce discours résiste à l’analyse juridique qui a déjà été faite démontrant la non-conformité du barème français aux normes internationales et européennes9 qui est reprise par la présente décision.

A – Le barème devant les juges

L’appréciation du barème à l’aune du droit international a été soumise à des juridictions. Le résultat, pour le moment, est une invitation faite au salarié à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle10, une validation du barème d’indemnisation considéré comme conforme aux textes internationaux11.

B – Une décision d’invalidation du barème

Dans cette continuité juridique et judiciaire, la présente décision est fondée sur les ressources offertes par le droit international12, d’où il tire la non-conformité avec les normes de l’OIT13 et des normes européennes14.

Le principe est que le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionalité), appartient aux juridictions ordinaires, dont les conseils de prud’hommes, sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’État15, ce qui peut conduire le juge à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale pour résoudre le litige qui lui est soumis. Tel a été le cas pour le contrat « nouvelle embauche »16 jugé contraire à la convention de l’OIT relative au licenciement.

1 – Contrariété avec les normes OIT

La convention OIT relative au licenciement ratifiée par la France17 stipule que si les tribunaux arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate18.

Les chiffres du barème français19 paraissent bien inférieurs à ceux qui devraient logiquement ressortir de l’application des normes de l’OIT et de ce qui est indiqué par le CEDS20, qui posent le principe selon lequel l’indemnité versée en cas de licenciement injustifié doit être adéquate21.

2 – Contrariété avec la charte sociale européenne

La charte sociale européenne22, pendant social de la convention européenne des droits de l’Homme est une convention du Conseil de l’Europe, ce qui est plus large que l’Union européenne, dont l’effet direct a été reconnu23 et qui dispose qu’ : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître (…) : b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate24. Le comité européen des droits sociaux a précisé qu’une réparation appropriée supposait « le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours, la possibilité de réintégration et des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ». Il a précisé que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et ne soient pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la charte »25. Ceci en censurant la loi finlandaise qui prévoyait un barème nettement supérieur au plancher et au plafond français. La présente décision est une application de ces principes et fonde une invalidation du barème français d’indemnisation des licenciements26 qui est ainsi fragilisé.

Cette décision semble être la première ayant écarté le barème en raison de sa non-conformité aux normes internationales, mais on pourrait en voir apparaître à l’avenir27.

II – Le recours aux juridictions internationales

A – OIT

Pour l’OIT, et c’est une des faiblesses de cette organisation, même si des recours sont possibles, il n’existe pas en son sein de juridiction, au sens habituellement donné à ce terme, mais les normes de l’OIT peuvent être appliquées par les juridictions internes des pays membres.

B – Europe

L’Europe, elle, connaît des juridictions qui, pour certaines, sont susceptibles de statuer sur ces problèmes.

1 – Le droit communautaire

a – Question préjudicielle

Un conseil de prud’hommes, a invité un salarié à saisir la Cour européenne de justice d’une question préjudicielle28 ; compte tenu de la procédure devant cette juridiction, l’intéressé n’a pas pu y répondre positivement29.

b – Le fond du droit

Le traité de Lisbonne prévoit dans son texte que le progrès social est l’un des buts de l’Union européenne30, les normes qui en découlent peuvent permettre de garantir les droits des salariés, notamment par l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a maintenant une force juridique contraignante et la même valeur juridique que les traités31.

2 – La convention européenne des droits de l’Homme

Certes, la convention européenne des droits de l’Homme que la France a ratifiée32 contient peu de normes directement relatives au droit du travail, mais son texte et les interprétations que la Cour européenne des droits de l’Homme en a donné, permettent de sauver les droits sociaux33. Il est vraisemblable d’envisager que la barémisation n’y résistera pas. Ces normes sont supérieures au droit interne. Ce qui est le cas pour le respect du droit à un procès équitable34, de ce point de vue il paraît peu probable que si elle était saisie du problème, la Cour européenne des droits de l’Homme accepte de voir un procès équitable dans un système qui réduit à néant la possibilité pour le juge d’accorder à une victime une réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi35. De même on voit mal comment la barémisation pourrait être déclarée conforme au droit à un recours effectif36. Le caractère obligatoire du barème, le montant dérisoire des indemnités possibles, la faiblesse, pour ne pas dire l’insignifiance, de la marge de manœuvre accordée aux juridictions pourraient être considérés comme des atteintes au « droit au juge »37.

Avec cette jurisprudence protectrice des droits des salariés, la barémisation des indemnités de licenciement pourrait être déclarée non conforme à la convention européenne des droits de l’Homme.

Conclusion

Il est bien possible, si les juridictions françaises refusent de remettre en cause le barème plafonné des indemnités de licenciement, que certains justiciables poursuivent le débat devant la Cour européenne des droits de l’Homme qui, elle, pourrait bien trouver dans la convention et les interprétations qui en ont été faites, des arguments permettant d’écarter le barème français des indemnités de licenciement et, au titre de la satisfaction équitable38, calculer la réparation adéquate à laquelle le justiciable concerné doit avoir droit. Or la Cour européenne des droits de l’Homme, comme beaucoup de juridictions internationales, est composée de juges dont beaucoup ont été formés à l’école du droit anglo-saxon, et formatés à accorder des indemnités bien supérieures à celles qu’accordent les juges français. Elle pourrait aussi, à ce titre, inviter le législateur français à sortir le barème de son droit, son avenir est donc très incertain.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017 : JO, 23 sept. 2017.
  • 2.
    C. trav., art. L. 1235-3.
  • 3.
    Cons. prud’h. Saint-Quentin, 10 sept. 2018, Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation des licenciements », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163 – Cons. prud’h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538 ; indirectement Cons. prud’h. Nîmes, 5 févr. 2018 : Droit ouvrier 2018, p. 610.
  • 4.
    Cons. prud’h. Troyes, 13 déc. 2018, n° RGF00036.
  • 5.
    Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079 – Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187, Sté générale : Bull. civ. V, n° 386, p. 275.
  • 6.
    La rédaction, « Le droit du travail, confronté au droit international des droits de l’Homme », LPA 9 oct. 2018, n° 139v4, p. 2.
  • 7.
    Richevaux M., « La loi Macron : l’implantation de l’ultra-libéralisme en France », Cahier du Cedimes 2/2015.
  • 8.
    Icard J., Analyse économique et droit du travail, thèse, 2011, Paris I.
  • 9.
    Richevaux M., « L’avenir incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 30 nov. 2018, n° 140q1, p. 8.
  • 10.
    Cons. prud’h. Saint-Quentin, 10 sept. 2018, Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation des licenciements », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163.
  • 11.
    Cons. prud’h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538 : Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation prud’homale ? », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163.
  • 12.
    Syndicat des avocats de France (SAF) : argumentaire à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats contre le plafonnement prévu par le nouvel article L. 1235-3 du 6 février 2018.
  • 13.
    Convention OIT, 22 juin 1982, n° 158.
  • 14.
    CSE (charte sociale européenne), art. 24.
  • 15.
    Cons. const., 15 janv 1975, n° 74-54 DC ; Cons. const., 3 sept. 1986, n° 86-216 DC.
  • 16.
    Cons. prud’h. Longjumeau, 28 avr 2006, n° 06/00316, De Wee c/ Philippe Samzun ; CA Paris, 6 juill. 2007, n° 06/06992 ; Cass. soc., 1er juill. 2008, n° 07-44124.
  • 17.
    Conv. OIT, n° 158, art 10, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
  • 18.
    Conv. OIT, art. 10, n° 158.
  • 19.
    C. trav., art. L. 1235-3.
  • 20.
    Comité européen des droits sociaux (CEDS), 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finish Society of Social Rights c/ Finlande, § 45.
  • 21.
    Conv. OIT, n° 158, art. 10 et CSE, art. 24.
  • 22.
    CSE, 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999.
  • 23.
    CE, 10 févr. 2014, n° 359892, M. Fischer.
  • 24.
    CE, 10 févr. 2014, n° 359892, M. Fischer.
  • 25.
    CEDS, 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finish Society of Social Rights c/ Finlande.
  • 26.
    C. trav., art. L. 1235-3.
  • 27.
    Roques L., pste du SAF et Krivine J., pste de la commission sociale du Syndicat des avocats de France, « Lettre de présentation de l’argumentaire à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats contre le plafonnement prévu par le nouvel article L. 1235-3 », 6 févr. 2018. ; Cons. prud’h. Amiens, 19 déc. 2018, Fidèle T. ; Cons. prud’h. Lyon, 21 déc. 2018, n° 18/011238.
  • 28.
    Cons. prud’h. Saint-Quentin, 10 sept. 2018, Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation des licenciements », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163.
  • 29.
    TFUE, art. 256 et TFUE, art. 267.
  • 30.
    TUE (Traité Union européenne), art. 3.3.
  • 31.
    TUE, art. 6.
  • 32.
    Ratification par la France de la CEDH. V. Villevieille J.-F., « La ratification par la France de la convention européenne des droits de l’Homme », AFDI 1973.
  • 33.
    Marguenaud J.-P. et Mouly J., « Les droits européens des salariés devant la cour EDH : une amplification de la méthode évolutive », in Les droits sociaux et la CEDH, actes du colloque du concours Habeas Corpus Éditions, p. 28.
  • 34.
    CEDH, art. 6.
  • 35.
    Morin M.-L. et a., « Réforme du droit du travail : en marche arrière derrière le “pragmatisme” des ordonnances la perversion des droits fondamentaux du travail », D.O. 2017, p. 596 et 597.
  • 36.
    Rusu G.-A., Le droit à un recours effectif au sens de la convention européenne des droits de l’Homme, thèse, 2013, Montpellier I.
  • 37.
    Ciuca V. et a., « La justice française : de la justice statistique à la négation de la justice », Cahiers ISAM, 2013.
  • 38.
    CEDH, art. 41.
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