Barème Macron, échec et mat ou simple roque ?
Les arrêts rendus le 11 mai 2022 sonnent-ils le glas du débat autour de la conformité du barème Macron aux normes internationales ? Rien n’est moins sûr…
• Cass. soc., 11 mai 2022, no 21-14490
• Cass. soc., 11 mai 2022, no 21-15247
Le 11 mai 2022 la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, (Cass. soc., 11 mai 2022, nos 21-14490 et 21-15247) a rendu deux décisions qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre1 et à coup sûr susciteront encore bien des commentaires et posent quelques interrogations.
Le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse est-il conforme aux normes de l’Organisation internationale du travail ?
Le principe du barème a été déclaré conforme aux normes de l’Organisation internationale du travail (OIT)2 par la Cour de cassation par ses arrêts du 11 mai 2022.
Ce barème, contesté3, détermine l’indemnité que doit verser l’employeur à un salarié lorsqu’il le licencie sans cause réelle et sérieuse. Fixé au regard du salaire, il tient compte de l’ancienneté dans l’entreprise. Le niveau d’indemnisation pouvant être versée est soumis à un plancher et à un plafond4 que le Conseil constitutionnel, en s’y prenant à deux fois, a fini par déclarer être conforme à la Constitution5.
Des salariés et des syndicats ont saisi la justice prud’homale, contestant la conformité du barème à des conventions internationales signées par la France, obtenant de certains juges du fond que le barème soit écarté au cas par cas, au profit de dispositions directement issues de ces conventions internationales, susceptibles de permettre une meilleure indemnisation, ce qui s’est terminé devant la Cour de cassation qui a d’abord donné un avis6. Selon celle-ci les dispositions, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité sans cause réelle et sérieuse7, sont compatibles avec les stipulations de la convention de l’OIT8, cela se justifiant par la notion de marge d’appréciation dont disposent les États, argument dont la pertinence a été contestée9 et qui concerne plus la CEDH que l’OIT10, puis par les arrêts affirmant sa conformité aux normes de l’OIT11.
Pour la haute juridiction, l’OIT prévoit qu’en cas de « licenciement injustifié », le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié. Selon le Conseil d’administration de l’OIT, l’une des caractéristiques d’une indemnité « adéquate » est que la perspective de son versement dissuade suffisamment l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse.
Pour la haute juridiction française le droit français permet, quant à lui, une indemnisation raisonnable du licenciement injustifié visée par la convention12. Cette notion de licenciement « injustifié » correspond, en droit français, au licenciement « sans cause réelle et sérieuse », mais aussi au licenciement « nul » prononcé en violation d’une liberté fondamentale, par exemple en lien avec une situation de harcèlement moral ou sexuel, décidé de manière discriminatoire… L’indemnisation des licenciements nuls n’est pas soumise au barème.
Au regard de la marge d’appréciation laissée aux États, du rapport de l’OIT, et de l’ensemble des sanctions prévues par le droit français en cas de « licenciement injustifié », la Cour de cassation juge le barème compatible avec les normes de l’OIT13.
À la lecture du rapport de l’OIT la phrase : « le barème français d’indemnisation du licenciement est conforme à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT » n’apparaît pas explicitement ni même en des termes approchants.
En effet, le rapport se limite à une conclusion qui est la suivante : « Au vu de ce qui précède, le comité considère – en dehors des cas de licenciement mettant en cause un droit fondamental pour lesquels le principe de la réparation intégrale est acquis et indépendamment de la réparation pour préjudice distinct – que la conformité d’un barème, et donc d’un plafonnement, avec la convention14, dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate. »
Dans ces conditions, le comité invite le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévues, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème15 permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif.
Ce qui donne un intérêt certain à l’analyse des deux phrases utilisées16, dont il ressort que le barème ne sera conforme à la convention OIT que s’il arrive dans tous les cas à une indemnité adéquate conforme à celle que définit l’OIT. Cela doit d’être vérifié scrupuleusement.
Le juge français a-t-il la possibilité d’écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale ?
La Cour de cassation juge que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas à un contrôle de conventionnalité in concreto, position qui n’est pas partagée par d’autres juridictions17.
Pour la Cour de cassation, s’il est admis que le juge national peut écarter une norme de droit interne si son application porte une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse, un contrôle de conventionnalité18 in concreto reviendrait pour le juge français à choisir d’écarter le barème au cas par cas, au motif que son application ne permettrait pas de tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable et d’attribuer au salarié l’indemnisation « adéquate » à laquelle fait référence l’OIT19.
Or, ce contrôle :
• créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges ;
• porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi20.
Alors que l’on sait que l’égalité consiste à traiter de manière identique des personnes qui sont dans la même situation, ce qui n’interdit pas un traitement différentié de personne n’étant pas dans la même situation, ce que justement ne permet pas l’application mécanique d’un barème.
Les dispositions de loi française relative à l’indemnisation du licenciement peuvent-elles faire l’objet d’un contrôle de conformité de la Charte sociale européenne se prononçant sur ces mêmes questions ?
Il est admis qu’une convention internationale ratifiée et publiée au Journal officiel, qui ne nécessite pas que la France prenne des mesures pour la rendre applicable, peut être invoquée directement par les particuliers devant le juge national21.
La Charte sociale européenne prévoit que les États signataires s’engagent à reconnaître aux salariés qui ont été licenciés sans motif valable le droit à une indemnité adéquate22. Si les termes de cet article sont proches de ceux employés par la convention OIT23, pour la Cour de cassation la Charte sociale européenne repose sur une logique programmatique et réclame aux États qu’ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu’elle leur fixe, ce qui a été contesté24.
En outre, le contrôle du respect de cette Charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux (CEDS). Si des réclamations peuvent être portées devant cette instance, sa saisine n’a pas de caractère juridictionnel : les décisions qu’elle prend n’ont pas de caractère contraignant en droit français.
Dès lors, la Cour de cassation, énonçant explicitement les critères définissant l’effet direct, juge que les employeurs et les salariés ne peuvent se prévaloir de la Charte sociale européenne devant le juge en charge de trancher leur litige25.
Le CEDS a déjà considéré que les barèmes finlandais et italiens ne permettent pas d’indemniser de façon adéquate les salariés licenciés sans motif valable26. On aurait pu penser que les mêmes causes entraîneraient les mêmes effets, mais pour la haute juridiction il n’en est rien.
Depuis, le CEDS a été saisi de réclamations à l’encontre du barème français, la Cour de cassation a déjà indiqué que pour elle les décisions que prendra ce Comité ne produiront aucun effet contraignant. Le CEDS ayant considéré, le 23 mars dernier, que le dispositif dit du « barème Macron » n’était pas conforme à la Charte sociale européenne (CSE)27, cela rouvre le débat que les arrêts de validation de la Cour de cassation avaient voulu clore28.
Par ailleurs, si elle était saisie, la CEDH pourrait bien trouver dans la convention, et les interprétations qu’elle en a déjà faites, des arguments permettant d’écarter le barème français des indemnités de licenciement, et, au titre de la satisfaction équitable29, calculer la réparation adéquate à laquelle le justiciable concerné doit avoir droit. Or la CEDH, comme beaucoup de juridictions internationales, est composée de juges dont beaucoup ont été formés à l’école du droit anglo-saxon, et formatés à accorder des indemnités bien supérieures à celles qu’accordent les juges français dans des cas identiques.
Quel est l’avenir possible de cette décision et de l’indemnisation du licenciement ?
Certains ont perçu dans ces décisions l’obsession de désengorger des tribunaux30 dont l’encombrement semble largement dû à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, ce que les présentes décisions ont l’air de confirmer.
Pour le salarié licencié n’est-il pas alors plus avantageux d’obtenir à l’avenir un licenciement nul plutôt que sans cause réelle et sérieuse ? Ce qui serait sans nul doute une nouvelle cause d’engorgement des tribunaux.
Notes de bas de pages
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1.
M. Bauer, « Barème Macron : La Cour de cassation valide le permis de licencier », Actu-Juridique.fr, 11 mai 2022, n° 292905.
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2.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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3.
Entre autres (liste non exhaustive) : G. Loiseau, « Le barème d’indemnités : mésaventures en prud’homie », GPL 29 janv. 2019, n° GPL341m6 ; G. Loiseau et A. Martinon, « Les sujets inflammables », BJT nov. 2018, n° BJT110r7 ; Cons. prud’h. Troyes, 13 déc. 2018, n° F 18/00036 : J. Icard, « Le barème d’indemnisation face au droit international : la promesse de l’Aube », BJT janv. 2019, n° BJT110x5 ; P. Lokiec, « Indemnités prud’homales plafonnées : l’office du juge à l’épreuve du barème », Dalloz actualité, 31 oct. 2017.
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4.
C. trav., art. L. 1235-3 ; Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
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5.
Cons. const., DC, 5 août 2015, n° 2015-715 ; Cons. const., DC, 21 mars 2018, n° 2018-761.
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6.
Cass. ass. plén., avis, 17 juill. 2019, nos 15012 et 15013.
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7.
C. trav., art. L. 1235-3, rédac. issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.
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8.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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9.
M.-F. Bied Charreton et M. Henry, « Tant d’hermine pour une validation aussi contestable du barème Macron », Dr. ouvrier 2019, p. 695-730.
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10.
M. Ravaloson, La marge d’appréciation de l’État dans l’exécution des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, Thèse de doctorat, université Paris-Saclay, université Paris-Sud, faculté Jean Monnet, 15 mars 2019.
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11.
Cass. soc., 11 mai 2022, nos 21-14490 et 21-15247.
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12.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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13.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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14.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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15.
C. trav., art. L. 1235-3.
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16.
F. de Saussures, Cours de linguistique général, 1924, Payot.
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17.
CE, 10 févr. 2014, n° 359892, M. Fischer ; J.-L. Iten, « Les conditions d’invocabilité des conventions internationales relatives au droit social », Dr. ouvrier 2018, p. 409 ; J.-F. Akandji-Kombé, « De l’invocabilité des sources européennes et internationales du droit social devant le juge interne », Dr. soc. 2012, p. 1014-1026 ; CE, Droit international et droit français, 1986, La Documentation française, Notes et études documentaires, p. 49-50.
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18.
G. Loiseau, « Un examen clinique de la conventionalité du barème d’indemnité prud’homale », GPL 19 juin 2018, n° GPL324s8.
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19.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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20.
Déclaration des droits de l’Homme de 1789, art. 6.
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21.
Charte sociale européenne, art. 24.
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22.
Charte sociale européenne, art. 24.
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23.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10.
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24.
Syndicat des avocats de France (SAF) : argumentaire à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats contre le plafonnement prévu par le nouvel article L. 1235-3 du 6 février 2018 ; La rédaction LPA, « Le droit du travail, confronté au droit international des droits de l’Homme », LPA 9 oct. 2018, n° LPA139v4.
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25.
Charte sociale européenne, art. 24.
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26.
Charte sociale européenne, art. 24 ; CEDS, 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finish Society of Social Rights c/ Finlande, § 45.
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27.
Charte sociale européenne (CSE) art. 24.
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28.
J. Brochot, « Barème Macron : le Comité européen des droits sociaux rouvre le débat », Actu-Juridique.fr, 20 juin 2022, n° 300362.
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29.
Conv. EDH, art. 41.
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30.
O. Dufour, « L’appel des 3 000 libère la parole des magistrats », Actu-Juridique.fr, 24 nov. 2021, n° 257182.
Référence : AJU005f0