« Le dialogue social est un outil au service de la compétitivité »

Publié le 03/10/2018

Vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Béatrice de Lavalette, est également adjointe au maire de Suresnes depuis 2008, où elle est déléguée aux ressources humaines et au dialogue social. Elle entend faire de la ville des Hauts-de-Seine (92) le laboratoire d’une nouvelle fonction publique, fondée sur un dialogue social efficace et fluide. Depuis dix ans, la ville expérimente de nouveaux dispositifs, visant à allier bien-être de ses agents et performance économique. Pour la sixième année, Suresnes accueillera le 18 octobre prochain les sixièmes rencontres du dialogue social des secteurs publics et privés.

Les Petites Affiches

Pouvez-nous nous présenter l’esprit des rencontres du dialogue social, que vous organisez à Suresnes ?

Béatrice de Lavalette

Ce colloque s’inscrit dans la continuité de la politique sociale que nous menons à Suresnes, et que nous souhaitons promouvoir. Depuis 2008, année où je suis devenue adjointe au maire, nous avons mis en place une politique de dialogue social innovante, afin d’améliorer les performances de nos agents, dans le progrès social. Nous avons initié ces rencontres en 2012, alors que nous avions déjà quelques années de recul sur les expériences menées à Suresnes. Les réussites que nous avions déjà à notre actif nous ont donné la légitimité pour organiser un tel rassemblement, sous le patronage de l’organisation internationale du travail et avec des invités prestigieux. Le but des rencontres est de montrer que le dialogue social est un outil de compétitivité. Louis Gallois dit que le dialogue social est le carburant de l’économie. Cette formule reflète parfaitement notre état d’esprit, et nous l’avions d’ailleurs reprise une année en sous-titre de nos rencontres… Avec cet événement, nous essayons de favoriser le dialogue entre les deux parties que sont le patronat et les syndicats. Je suis convaincue qu’il faut des syndicats forts et représentatifs pour structurer les revendications. Je pense aussi qu’il faut que les syndicats, de leur côté, comprennent que les entreprises sont des lieux de création en commun, et pas uniquement des lieux de subordination. Ce sont toutes ces idées que nous voulons porter.

LPA

À qui s’adressent ces rencontres ?

B. de L.

Nous accueillons des entreprises, des DRH… Le secteur public représente 30 % des visiteurs, le secteur privé, 31 %. Le reste, ce sont des professeurs, des étudiants, des élus, des représentants syndicaux, des consultants, des chefs d’entreprises, des avocats. Tous ceux qui s’intéressent au dialogue social ont leur place aux rencontres. Elles se veulent un espace de débat, où tout le monde peut se faire entendre. J’ai invité toutes les centrales syndicales : Luc Bérille de l’UNSA sera là, Laurent Berger, de la CFDT, ne pourra pas être là mais m’a fait savoir qu’il aurait aimé être parmi nous. J’ai également invité Philippe Martinez (CGT), Jean-Claude Mailly (ex-leader de FO), j’espère qu’ils viendront. Il y aura aussi des représentants du patronat : Jean-François Pillard, ancien-vice président du Medef, aujourd’hui membre du CESE, des représentants de chez Renault, Axa, OnePoint… Les entreprises qui ont signé des accords dans le domaine du dialogue social vont venir nous les présenter. L’idée, c’est le pluralisme.

LPA

À quoi ressemblent les débats ?

B. de L.

C’est hyper dynamique et interactif. Les invités n’ont que trois minutes d’intervention. Un immense chronomètre est affiché au-dessus de leurs têtes. Les personnes qui écoutent peuvent poser des questions avec leur smartphone. Elles s’affichent sur un écran géant. L’animateur les prend en compte et les pose aux invités, en plus de ses propres questions. On ne s’ennuie pas une seconde. Je ne peux pas vous dire quels seront les temps forts des rencontres, car il n’y aura que ça !

LPA

Une des tables rondes sera consacrée au décryptage de l’année sociale

B. de L.

Oui, nous le faisons depuis 3 ans. La table ronde, dont le sous-titre est « Enterrement ou renouveau du dialogue social ? », sera animée par Carole Couvert, vice-présidente du CESE, et Jean-Luc Vergne, passé par beaucoup de grandes entreprises. Leur duo fonctionne très bien, ils font en général quelque chose de très décoiffant et plein d’humour ! Et en 2018, l’année sociale a été très fournie, entre les grèves de la SNCF et d’Air France. Ces deux entreprises ont générées un milliard d’euros de pertes, sans compter toutes les heures de travail perdues des salariés qui n’ont pas pu se déplacer. On n’est pas vraiment dans la performance ! Notre économie est complètement plombée par la mauvaise qualité du dialogue social. Sans compter que l’image qu’on renvoie à l’étranger est terrible. Les chemises arrachées ont fait le tour du monde…

LPA

Les pays du nord de l’Europe seront à l’honneur de ces rencontres. Pourquoi ?

B. de L.

Nous souhaitons en effet faire un tour d’Europe des bonnes pratiques en matière de dialogue social. Nous aurons des représentants venus d’Allemagne, de Suède, des Pays-Bas, du Danemark, tout simplement car ces pays sont bien meilleurs que nous en matière de dialogue social. Je mène actuellement, en tant que vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, une étude sur le lien entre qualité du dialogue social et croissance économique, compétitivité et emploi. Je voyage beaucoup en Scandinavie. Les taux de syndication sont là-bas de l’ordre de 70 %, et dans certains pays, on ne bénéficie des accords obtenus par les syndicats que si l’on est soi-même syndiqué. En France, nous plafonnons à 10 % de syndication dans l’administration et c’est encore pire dans le secteur privé. Nous sommes, de ce point de vue, quasiment les derniers de l’OCDE, juste avant la Turquie ! Or il y a une corrélation entre syndicats forts et performances économiques. Au Forum économique mondial, les pays scandinaves se classent dans les dix premiers à la fois en compétitivité et en matière de dialogue social. En France, nous sommes au 109e rang en terme de dialogue social et au 22e seulement en terme de compétitivité.

LPA

Qu’observez-vous lors de vos voyages dans le nord de l’Europe ?

B. de L.

C’est un tout autre état d’esprit. J’ai entendu un patron au Danemark dire qu’il faut des syndicats forts, sinon le politique se mêle de leurs affaires. En Suède, comme au Danemark, employeurs et syndicats se sont entendus pour limiter les grèves. Les deux parties signent des conventions. Les syndicats s’engagent à ce qu’il n’y ait pas de grève pendant 3 ans. De leur côté, les employeurs s’engagent à augmenter les salaires, généralement de 7 à 8 % sur 3 ans. Dès lors, si une grève survient, elle est illégale. Les salariés non seulement ne sont pas payés, mais une retenue de 8 euros par heure de grève est appliquée. Syndicats et salariés ont compris qu’ils devaient ensemble défendre leur modèle social. L’an dernier, en Suède, il y a eu trois conflits. Quant au Danemark, la dernière grève remonte à 1997 ! Par ailleurs, dans les pays du nord, tout ce qui concerne la vie des salariés est négocié au sein des entreprises. Je plaide, en France, pour l’inversion de la norme. Les accords d’entreprises, à partir du moment où ils sont majoritaires, doivent primer sur la loi.

LPA

La Tunisie sera également au programme des rencontres. Pourquoi ?

B. de L.

La ville de Suresnes travaille avec l’État tunisien depuis 2014, année où nous avons signé un partenariat, sous l’égide de l’Organisation internationale du travail, afin de développer le dialogue social au sein des administrations publiques tunisiennes. Ils misent sur le dialogue social pour consolider leur démocratie. En juin 2018, Tunisie Telecom et la Fédération générale des télécommunications ont adopté notre charte du dialogue social. J’ai également rencontré des représentants de La Poste : cette administration compte 10 500 agents et veut se moderniser. Nous allons les accompagner.

LPA

Suresnes, dites-vous, se veut un laboratoire pour une nouvelle fonction publique. Qu’est-ce que cela signifie ?

B. de L.

Nous avons la conviction très profonde qu’il faut faire avancer le dialogue social dans notre pays, comprendre enfin que c’est un outil au service de la croissance pour les entreprises et les collectivités territoriales. On a mis en place une mutuelle pour tous, que l’on finance jusqu’à hauteur de 42 euros, alors que dans la fonction publique, le maximum ailleurs est partout de 25 euros. On a mis en place un treizième mois pour nos agents. En nous appuyant sur le dialogue social, nous avons signés une vingtaine d’accords avec trois syndicats. On a ainsi pu par exemple ouvrir une médiathèque le dimanche, ce qui est très intéressant pour nos administrés.

LPA

Pouvez-vous nous présenter vos avancées les plus emblématiques ?

B. de L.

Nous sommes les seuls à avoir mis en place, en 2009, la charte de reconnaissance du parcours syndical. Elle permet de reconnaître les compétences acquises pendant l’exercice d’un mandat syndical. C’est important, car souvent un engagement syndical est synonyme de frein à la carrière. Au contraire, nous souhaitons inciter les salariés à se syndiquer et à prendre des responsabilités. Les syndicats disent que les adhésions ont augmenté depuis que cette charte a été adoptée. Le conseil régional d’Ile-de-France, qui compte 10 500 agents et dont je suis la vice-présidente, l’a à son tour adoptée cette année. Nous sommes pour des syndicats forts ! Nous pensons également que la fonction publique doit valoriser le travail, comme cela se fait dans le privé, et qu’il est absurde que seule l’ancienneté soit valorisée. Nous avons également, mis en place en 2015 un régime indemnitaire au mérite. Basé sur un entretien d’évaluation élaboré avec les syndicats, il permet de reconnaître le travail des agents les plus investis et motivés et de faire évoluer les indemnités à la hausse ou à la baisse. Tout cela est basé sur la confiance et le respect mutuel. Rien n’est fait sans avoir eu l’accord des syndicats. Et avec ce système, la majorité des agents ont vu leurs indemnités augmenter.

X