« Le travail des cadres en temps partagé est appelé à se développer »
À Paris, l’association Cadres de directions Multi-Employeurs (CDM-E) promeut le travail des cadres en temps partagé. Le principe est simple : un salarié partage son activité entre plusieurs employeurs, et se crée, en mettant bout à bout différents contrats, l’équivalent d’un temps complet. Son directeur, Alain Maufrais, nous explique le fonctionnement de ce système, qu’il estime intéressant à la fois pour les employés et pour les entreprises.
Les Petites Affiches – Qu’est-ce que le travail en temps partagé ?
Alain Maufrais – C’est le fait pour un salarié de partager son activité entre plusieurs employeurs. Le salarié travaille pour plusieurs employeurs et l’employeur partage son salarié. C’est une solution qui peut être intéressante, à la fois pour le salarié et pour les petites entreprises, comme les TPE, les PME et les start-ups. Ce dispositif leur permet d’avoir des salariés de qualité, avec une grande expérience, pour un coût raisonnable qui correspond à leur budget. Pour le salarié, c’est la possibilité de multiplier les expériences, d’avoir plus de flexibilité, de pouvoir gérer son temps de travail.
LPA – Qui sont les acteurs du temps partagé ?
A. M. – Le travail en temps partagé compte plusieurs acteurs : vous avez des groupements d’employeurs, c’est-à-dire des entreprises qui se regroupent pour pouvoir employer ; des sociétés de temps partagé, qui réunissent des experts qui peuvent intervenir sur l’ensemble des domaines stratégiques d’une entreprise, et des associations de multi-salariat qui ont pour but d’informer les entreprises sur l’existence du temps partagé et de former les salariés volontaires à exercer leur activité de cette manière.
LPA – Quelle est la différence entre le multi-salariat et le travail indépendant ?
A. M. – Le multi-salarié a un contrat de travail classique. Ça commence bien souvent par un CDD, qui évolue vers un CDI… Les deux parties se mettent d’accord sur un nombre d’heures, qui peut être inférieur aux 24 heures minimales exigées pour un contrat à temps partiel. Si employeur et salarié sont d’accord, cela ne pose pas de problème. Sur le fond, le mode d’exercice n’est pas exactement le même que pour un travailleur indépendant. Le salarié est intégré à la vie de l’entreprise : il doit faire partie de l’équipe et être associé à la hiérarchie. Il faut également que soient mis en place des dispositifs pour que ce qu’il produit soit utilisable en son absence.
LPA – Quel est le rôle de votre association et comment agit-elle ?
A. M. – La CDM-E est une association loi de 1901. Nous représentons l’Ile-de-France mais appartenons à la Fédération nationale des associations de travail en temps partagé (FNATP), qui regroupe une cinquantaine d’associations de promotion du temps partagé. Notre mission est de faire connaître le temps partagé, et d’accompagner les cadres en recherche d’emploi que cela intéresse d’exercer de cette manière. Nous faisons le lien entre eux et les entreprises qui ont besoin de recruter. Concrètement, nous démarchons les entreprises pour leur proposer les compétences de cadres expérimentés, qui acceptent de travailler quelques jours dans une entreprise, quelques jours dans une autre. Nous faisons du porte-à-porte auprès des PME, car nous avons constaté que le démarchage par téléphone n’était pas très efficace.
LPA – Comment réagissent les entreprises que vous démarchez ?
A. M. – Toutes ne connaissent pas le travail en temps partagé, et il y a en général une curiosité et un intérêt de leur part. C’est une solution très intéressante pour une PME : si elle peut faire appel à un cadre expérimenté qui interviendra chez elle un jour par semaine, c’est un gros avantage. Mais beaucoup de chefs d’entreprise n’y pensent pas, faute de connaître l’existence du travail en temps partagé. Le dispositif est cependant de plus en plus connu, car les médias commencent à s’en faire l’écho depuis environ deux ans. Le journal télévisé de France 2 a même consacré un reportage aux groupements d’employeurs dernièrement… Notre association existe depuis 1993. Au début, elle n’était pas très importante mais elle compte aujourd’hui 160 adhérents. Elle prend de l’ampleur au fur et à mesure que l’idée de travail en temps partagé gagne du terrain.
LPA – Quelles fonctions se prêtent au temps partagé ?
A. M. – C’est un fonctionnement qui se prête bien aux fonctions support, quel que soit le secteur d’activité. Les directeurs des ressources humaines, les directeurs financiers, les chargés de communication ou les responsables marketing peuvent facilement travailler pour plusieurs entreprises, car ils n’ont pas besoin d’être présents en permanence. Du point de vue de la PME, le travail en temps partagé est intéressant pour ces postes : une entreprise de trente employés n’aura pas besoin et pas les moyens d’employer un directeur financier ou un directeur des ressources humaines à plein temps. C’est plus difficilement envisageable pour les fonctions de production, ou pour les chefs d’équipe… si vous managez une équipe de production, vous avez évidemment besoin d’être très présent dans l’entreprise. D’autre part, les salariés de notre association sont plutôt des seniors, car le travail en temps partagé demande d’être expérimenté et autonome. Cela n’est pas très adapté à la situation de jeunes diplômés qui ont besoin d’être encadrés pour apprendre leur travail.
LPA – Quelles sont les qualités requises pour le salarié ?
A. M. – Cela nécessite une bonne organisation. Il faut savoir déléguer, avoir des relais dans les entreprises puisque l’on n’y est pas présent en permanence. Il faut également savoir mesurer ses résultats et sa charge de travail, bien estimer ce que l’on peut faire et ne pas faire sur un nombre de jours limité. Pour que cela fonctionne, il faut que l’entreprise ne vous sollicite que les jours où vous travaillez pour elle, et que vous puissiez vous consacrer à d’autres tâches les autres jours. Il faut donc s’assurer que le temps prévu est suffisant pour remplir la mission impartie. Souvent, les salariés qui choisissent le temps partagé ont également la volonté de se dégager du temps libre. Cela implique évidemment un sacrifice en termes de salaire.
LPA – Comment cherche-t-on du travail en multi-salariat ?
A. M. – Ce n’est pas tout à fait pareil que lorsqu’on postule pour un poste. L’idée n’est pas de se présenter à travers sa fonction, mais de mettre ses compétences en avant. Cela n’intéresse pas un patron de PME de savoir que vous êtes directeur général. Il faut lui dire ce que vous savez faire, vous présenter à travers quelques compétences fortes que vous maîtrisez et que vous pouvez mettre au service de l’entreprise. Nous avons dans notre association des bénévoles qui aident les candidats au multi-salariat à intégrer cette approche et à se présenter de cette manière.
LPA – Vous pensez que cette forme de travail va se développer ?
A. M. – Oui, car nous voyons bien que le salariat est en pleine évolution, et cela ne fait probablement que commencer. De plus en plus de start-ups se créent, grâce aux nouvelles technologies et aux aides des collectivités à la création d’entreprise. Ces entreprises auront un noyau permanent, mais elles ont besoin de personnel à temps partiel. Les indépendants répondent à ces besoins partiels de petites structures.
LPA – N’est-ce pas une forme de précarisation du travail ?
A. M. – La génération des 55-65 ans peut le percevoir comme ça, car cela ne rentre pas dans leurs habitudes. Mais à partir du moment où c’est volontaire, où c’est un vrai choix du salarié, c’est au contraire très intéressant. Il y a des avantages certains pour le salarié, qui a une variété d’activité beaucoup plus grande. Il peut travailler dans deux secteurs, dans deux environnements, et échappe ainsi à la routine et à l’ennui. Vous pouvez par exemple être responsable des ressources humaines pour une start-up et une PME. Ce sont deux mondes très différents, et vous en retirerez une plus grande ouverture d’esprit, et cette accumulation d’expérience valorisera votre CV… Pour les jeunes générations, ce genre de nomadisme peut être très attractif. Autre avantage qui n’est pas négligeable : votre emploi ne dépend pas que d’une seule entreprise, ce qui dans le contexte actuel, est plutôt un gage de sécurité. Il n’en reste pas moins que c’est plus exigeant, plus compliqué à gérer que du salariat classique, puisque vous êtes en parallèle sur différents fronts. Il est important, pour que cela se passe bien, que ce soit un vrai choix et non une solution par défaut.
LPA – Le travail en temps partagé est-il beaucoup pratiqué en Ile-de-France ?
A. M. – Il est effectivement plus représenté qu’ailleurs, et notre association a d’ailleurs un effectif beaucoup plus important que les 25 autres associations de promotion du travail en temps partagé présentes sur le territoire français, qui ont un effectif bien moindre, compris entre vingt et cinquante membres. Cela n’est pas très étonnant, car pour se partager entre deux ou plusieurs entreprises, encore faut-il qu’elles ne soient pas trop éloignées géographiquement… C’est donc plus difficile en province qu’en Ile-de-France, où le réseau de PME est particulièrement dense.