« L’équité est une richesse pour l’entreprise »

Publié le 26/04/2019

Expert en ressources humaines, Benoît Montet travaille pour l’institut Top Employers, qui délivre une certification aux entreprises les plus ambitieuses en matière de conditions de travail et de ressources humaines. Pour les Petites Affiches, il a accepté de dresser un état des lieux de la présence des femmes en entreprise.

Les Petites Affiches

Quelle est la situation des femmes dans l’entreprise aujourd’hui ?

Benoît Montet

Je travaille pour une entreprise qui audite plus de 15 000 entreprises à travers le monde. Cela me permet de voir que la féminisation du monde de l’entreprise est en marche partout dans le monde. On en parle en France, où elle est toujours passée par la loi. Les meilleurs élèves sont plutôt les pays du Nord. Mais le même phénomène se développe ailleurs, y compris dans des pays d’Afrique ou d’Asie que l’on n’attendrait pas dans ce registre. Cette préoccupation n’est peut-être pas universelle mais en tout cas très largement partagée. Depuis quelques années, la féminisation de l’entreprise est un enjeu partout, quels que soient les pays.

LPA

Quelles sont les bonnes pratiques que vous observez ?

B. M.

On s’adresse à des entreprises qui sont volontaires pour analyser leurs propositions. On voit les meilleurs et on ne peut pas généraliser. Parmi les pratiques intéressantes, certaines sont relativement classiques : il s’agit de travail sur l’embauche, de vérification de l’équité de rémunération, de réserver, au moment des augmentations, une partie des rémunérations annuelles à l’alignement. Les bonnes pratiques ne concernent pas uniquement le salaire mais aussi le développement professionnel. On voit, quels que soient les continents, des entreprises qui obligent leurs managers, à partir d’un certain niveau, à proposer une femme dans les plans de succession ou dans les décisions de promotion.

LPA

Quels sont les secteurs les plus avancés ?

B. M.

C’est un peu paradoxal, mais les entreprises qui sont modèles dans la féminisation sont celles qui sont le plus en retard. Les secteurs de l’industrie ou des métiers techniques, comme ceux de la construction ou de l’automobile, sont moteurs pour mettre en place des outils et des accompagnements à destination des femmes. On y trouve ainsi des entreprises très volontaristes et avant-gardistes. On voit par exemple couramment des groupes de mentoring féminin pour aider les femmes à prendre des responsabilités auxquelles elles n’auraient pas forcément pensé elles-mêmes. Ce mentoring est vertueux pour les femmes et pour ceux qui les encadrent : la jeune femme « mentorée » par un dirigeant sur une fonction technique va apprendre beaucoup mais le dirigeant va aussi apprendre beaucoup et peut-être changer sa perception de ce qu’une femme peut faire ou non.

LPA

Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

B. M.

Il y a deux raisons. La première est que ces secteurs partent de plus loin, car les femmes manquent à tous les niveaux : dans les effectifs des entreprises, mais aussi dans les écoles et dans les classes prépas. Elles sont donc obligées de s’y prendre très en amont. S’ils se contentent de recruter les femmes à la sortie des écoles d’ingénieur, c’est déjà trop tard ! Certains ont mis en place des « kits papas » ou des « kits mamans » qui permettent aux parents d’aller visiter les écoles d’ingénieur au moment où leur enfant est en troisième où les questions d’orientation commencent à se poser. C’est l’inverse de la logique d’une entreprise comme Mac Donald’s, qui assume ne rien faire pour favoriser la diversité au sein de ses restaurants car celle-ci existe déjà. Ils n’ont donc aucun besoin de mettre en place des actions pour renforcer quelque chose qui fonctionne bien déjà…

LPA

Quelle est l’importance des réseaux de femmes dans les entreprises ?

B. M.

Il y a plein d’associations de femmes, que ce soit dans le secteur de l’aéronautique, des technologies de l’information, de l’industrie lourde, de l’automobile. Ces réseaux féminins, au sein de l’entreprise ou transentreprises, permettent à ces femmes d’échanger entre elles et de benchmarker. C’est du mentoring collectif. C’est quelque chose de très positif. Les jeunes dans l’entreprise, même les jeunes hommes, essayent d’être très proches de ces réseaux féminins car ils ont bien compris que tous les grands décideurs venaient voir ce qui s’y passe…

LPA

Y a-t-il une attention particulière portée à la maternité ?

B. M.

Certaines entreprises veillent à accompagner les salariées qui rentrent de congés maternité, en leur proposant un entretien d’évaluation quand elles reprennent leur poste. Cet entretien permet de les reprojeter sur un avenir avec des responsabilités, des courbes de croissance qui correspondent à ce qu’elles ont envie de faire. Il faut souligner que certaines entreprises travaillent aussi sur la situation des hommes pour favoriser la féminisation. Elles offrent aux pères la possibilité de prendre une place qui est un peu trop réservée aux femmes, leur proposent de prendre un congé paternité, de s’absenter, de passer aux 4/5e. Cela aussi permet un meilleur équilibre.

LPA

Avez-vous l’impression que ces mesures sont suffisantes pour favoriser une vraie parité ?

B. M.

On le verra à terme. La parité peut être réelle dans certains secteurs, partielle dans d’autres. Il faut veiller à ne pas aller trop loin. La parité obligée peut être contre-productive. Certaines femmes n’ont pas envie d’occuper tous les types de métiers ou de fonctions. De même que certains hommes. Il y a des caractères qui orientent plutôt vers tel type de fonction ou d’entreprise. Il faut respecter cela. Ce qui va faire la richesse d’une entreprise, c’est que ses collaborateurs soient heureux de faire ce qu’ils font. La parité n’est pas la réponse à tout. L’équité me semble être un mot plus adapté.

LPA

Comment définissez-vous cette équité ?  

B. M.

L’équité, c’est qu’une femme ou un homme puissent prétendre aux mêmes résultats. C’est la même chose sur les salaires. Tout le monde n’a pas les mêmes salaires, mais tout le monde doit pouvoir prétendre à avoir la même rémunération, correspondant au travail effectué, sur un même poste. Il faut une équité dans les traitements. Cela conduit-il à la parité ? Pas nécessairement.

LPA

Que l’on trouve seulement 6 % de femmes aux fonctions de PDG, cela ne vous semble-t-il pas gênant ?

B. M.

Il y a une question de discrimination, c’est certain, ainsi qu’une question de biais. Depuis vingt ans que je fais des ressources humaines, je n’ai jamais entendu un recruteur dire : « Je préfère embaucher une femme car c’est moins cher ou faire la promotion d’un homme car cela sera plus efficace ». Peut-être que certains le pensent, mais ils ne le disent pas. Je pense qu’il faut être volontariste sans se précipiter pour autant. Un poste de PDG. se prépare. Et comme on est en retard, dès le début, sur le recrutement et la promotion, on est encore plus en retard à ce stade. Ce n’est pas réaliste de vouloir résoudre ce problème dans les cinq ans qui viennent. Il faut mieux prendre le temps pour le résoudre de façon correcte, plutôt que d’avoir des PDG femmes à tout prix. Il peut y avoir des PDG femmes si elles le souhaitent et si elles en ont la capacité. Comme les hommes.

LPA

Quelles seraient les bonnes orientations à prendre ?

B. M.

On est dans la bonne direction. Il y a plein de mesures d’accompagnement, de formations, prises pour l’équité. Il faut maintenant éviter de tomber dans l’excès comme cela s’était produit aux États-Unis avec les gens de couleur. Il y a quelques années, toutes les grandes écoles devaient avoir des quotas de personnes issues de la diversité. Résultat, les recruteurs disaient ensuite « Il est diplômé de Harvard mais c’est un Harvard noir ». À cause de ces quotas, la considération d’un même diplôme était différente. Pour l’instant, il n’y a pas de quotas et toutes les femmes qui ont des postes à responsabilité ont largement mérité leur place.

LPA

Quels sont les principaux obstacles à la carrière des femmes ?

B. M.

Le regard des autres et celui qu’elles portent sur elles-mêmes. C’est sans doute le premier axe sur lequel il faut travailler car le plafond de verre commence quand une femme se dit : « Ça, ce n’est pas pour moi ». Il faut que tous intègrent qu’il n’y a rien qui ne soit pas, a priori, pour une femme. Ensuite, il y a le regard des autres. On doit pouvoir confier à une femme une fonction nécessitant de la fermeté, de la poigne, d’être malin, comme la conduction d’une restructuration lourde. Il y a encore des perceptions stéréotypées qui entravent cela. Souvent, on a de bonnes raisons, nous les hommes, de vouloir écarter les femmes en prétendant que c’est pour les protéger. On peut se dire, par exemple, « Je ne vais pas la mettre à ce poste-là car cela va la mettre en danger ». Ces protections paternalistes ne sont pas très saines.

LPA

Comment cela peut-il changer ?

B. M.

Plus on aura d’exemples, plus ce sera facile de ne plus avoir ces biais de perception. Il y a aujourd’hui des femmes peintres, PDG, politiques. Assez traditionnellement, on parle plus des réussites des hommes que de celles des femmes. Il y a aujourd’hui une volonté d’être plus équitable dans la promotion des victoires, qu’elles soient masculines ou féminines.

LPA

Vous dites qu’il faut également se soucier des hommes. Pourquoi ?

B. M.

Les biais sont des deux côtés. Un exemple frappant : pour le Superbowl américain, ce sont traditionnellement toujours des pom-pom girls qui assurent l’animation. Cette année, pour la première fois, un homme faisait l’animation en tant que cheerleader. Il a été submergé d’insultes, de commentaires désobligeants, sexistes, humiliants. Il y a encore des secteurs qui sont vus comme réservés aux femmes, des métiers qui sont exclusivement féminins. Cela ne semble déranger personne qu’il y ait 80 % de femmes dans le secteur des ressources humaines, par exemple. Moi je pense que l’équité est bonne partout. Quand il y aura autant d’hommes et de femmes assistants, dans le secteur de la communication, de la mode, de la distribution, des RH, on aura aussi gagné.

LPA

Que pensez-vous du décret qui vient d’être publié, qui va obliger les entreprises à publier l’Index de l’égalité femmes-hommes ?

B. M.

Ce décret qui vient de passer, cet indicateur que la ministre du Travail vient de mettre en place, va dans le bon sens. Le principe de mesurer et de communiquer sur les salaires des hommes et des femmes est bon, car aucune entreprise n’aura jamais envie d’être la dernière de la classe ! Forcément, elles vont être poussées à travailler et à mettre en place les actions qu’il faut. Le fait de mettre un indicateur et de communiquer fera passer de la déclaration à la réalisation. On a besoin de pouvoir mesurer la réalité plutôt que de déclamer de bonnes intentions.

LPA

Et le fait qu’il n’y ait pas de sanctions prévues ?

B. M.

Je ne le savais pas ! Ça ne me pose pas de problème. Si on prend la loi sur le handicap, il y avait une sanction de prévue pour les entreprises qui n’atteignaient pas le seuil de 6 % de salariés handicapés. Soit vous investissiez dans le recrutement de personnes en situation de handicap, soit vous payiez cette sanction. Je ne crois pas que cela ait eu un effet accélérateur. Plein d’entreprises préfèrent payer plutôt que de faire des efforts qui ne correspondent pas à leur culture. Communiquer, c’est autre chose.

LPA

La parité peut-elle être un facteur de croissance pour les entreprises ?

B. M.

Je ne crois pas que la parité soit un but en soi. L’équité et la diversité sont en revanche assurément une richesse pour l’entreprise. C’est une évidence : plus l’entreprise va correspondre à la société à laquelle elle s’adresse, plus elle va être réactive et innovante, proche de ses clients. Elle va pouvoir capter les marchés car elle aura en son sein toutes les sensibilités pour adapter les produits aux évolutions de la société. La diversité, quelle qu’elle soit, est positive.