Les principales dispositions des ordonnances réformant le Code du travail (loi Travail 2)

Publié le 17/01/2018

Le 28 juin, la ministre du Travail a présenté le projet de loi l’habilitant à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social. La loi d’habilitation est passée sans encombre sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Aucune disposition du texte n’a été censurée, les Sages estimant que l’habilitation donnée au gouvernement est suffisamment précise, et ne rencontre pas d’obstacles constitutionnels.

Les cinq ordonnances, dévoilées le 31 août 2017 (159 pages, 36 mesures), visent à donner plus d’égalité, de liberté et de sécurité, aux salariés comme aux entrepreneurs. Les textes ont été présentés en Conseil des ministres le 22 septembre et sont entrés en vigueur dès la fin du mois de septembre. Les ordonnances ont été ensuite ratifiées à une large majorité par les députés. Mais un projet de sixième ordonnance, dite « ordonnance balai » car elle permet à l’exécutif de corriger et d’amender les textes des cinq ordonnances déjà parues en septembre, a été communiqué aux partenaires sociaux le 1er décembre. La VIe ordonnance vise à corriger les 5 autres, mais comporte aussi des modifications. Des députés Insoumis dénoncent quant à eux, notamment, la possibilité qui serait donnée au CSE de « mener tout type de négociation, ce qui mettrait définitivement de côté les délégués syndicaux.

Pour le gouvernement, conçu pour organiser les relations de travail dans les grandes entreprises industrielles, le droit du travail ne répond plus pleinement aux réalités économiques liées à la mondialisation, à la diversité des entreprises et des secteurs, aux nouvelles technologies, et aux attentes des salariés. Ce droit crée des rigidités et des inégalités qui constituent des freins à l’initiative et à l’embauche.

Alors que 55 % des emplois en France sont dans les PME, le droit du travail reste en grande partie conçu sur le modèle de la grande entreprise industrielle : les primes d’ancienneté, la détermination de la participation de l’employeur aux déplacements des salariés selon leur fonction dans l’entreprise, les règles de la négociation collective…

Beaucoup de ces règles sont négociées et imposées uniformément dans les branches par les représentants des grandes entreprises, alors que les PME et TPE ont besoin de souplesse et que les attentes ou besoins des salariés varient de plus en plus d’une entreprise à l’autre.

La réforme repose sur trois piliers visant respectivement :

  • à définir une nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche et à élargir de façon sécurisée le champ de la négociation collective ;

  • à simplifier et renforcer le dialogue économique et social et ses acteurs, notamment au travers d’une refonte du paysage des institutions représentatives du personnel, plus en phase avec la réalité des entreprises et les enjeux de transformation dont elles ont à débattre ;

  • à rendre les règles régissant la relation de travail plus prévisibles et plus sécurisantes pour l’employeur comme pour les salariés.

« Cette réforme va plus loin que la très décriée loi Travail de Myriam El Khomri, qui avait déclenché l’an dernier la pire crise sociale sous un gouvernement de gauche. Mais entre-temps la donne politique a changé et le nouvel exécutif a mis les formes, proposant aux organisations syndicales et patronales une série de concertations en parallèle du parcours parlementaire du texte »1.

I – Élargir le champ de la négociation collective

La réforme a pour objectif une clarification entre la loi, l’accord de branche, l’accord d’entreprise et le contrat de travail, pour donner aux salariés et aux entreprises les moyens de définir au plus près des besoins les règles qui correspondent le plus à leurs attentes.

L’article 1er de la loi n°2017-1340 du 15 septembre 2017 porte sur la nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche et l’élargissement sécurisé du champ de la négociation collective. Aujourd’hui, l’entreprise est principalement régie par la loi et les accords de branche. Des règles générales, qui, selon le gouvernement, s’adaptent mal, concrètement à la diversité des entreprises, à leur taille.

L’ordonnance mentionnée par l’article 1er a pour objet de reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise, en définissant les domaines dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise ne peut comporter de stipulations différentes de celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels, ceux dans lesquels conventions de branche ou accords professionnels peuvent expressément s’opposer à toute adaptation par convention ou accord d’entreprise et en reconnaissant dans les autres matières la primauté de la négociation d’entreprise.

Pour donner plus de capacité d’initiative aux entreprises et aux salariés, le gouvernement propose ainsi de clarifier, sur chaque sujet, les bons niveaux de négociation (loi, branche ou entreprise). Pour le gouvernement, si la branche et l’entreprise ont toutes deux un rôle primordial à jouer, il est nécessaire de donner aux salariés et aux entreprises les moyens de définir, au plus près, les besoins et les règles qui correspondent le plus à leurs attentes.

Les principes fondamentaux du droit du travail resteront posés par la loi (droit à la formation, droit à l’assurance chômage, normes de santé et de sécurité, interdiction des discriminations et du harcèlement, etc.). Mais il est apparu nécessaire, pour le gouvernement, d’accorder aux employeurs et aux salariés plus de marge, pour négocier certaines règles via les accords de branche et les accords d’entreprise.

Rappel. L’accord de branche concerne un secteur d’activité donné, et est conclu pour l’ensemble des entreprises appartenant à ce secteur.

Actuellement, la branche professionnelle négocie les conventions et accords collectifs applicables aux salariés qu’elle regroupe, ce qui couvre :

  • les salaires minima et les classifications professionnelles ;

  • l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ;

  • la formation professionnelle ;

  • les garanties collectives complémentaires ;

  • la pénibilité.

Sur les quelques 700 branches dénombrées en France, certaines ne comptent que très peu d’entreprises, et quelques dizaines de salariés seulement. Ces petites branches ont plus de difficultés à négocier des avantages sociaux au même niveau que les branches plus importantes, ce qui nuit à l’égalité. Dès lors, les entreprises concernées doivent pouvoir conclure un accord d’entreprise.

Rappel. Contrairement à l’accord de branche, l’accord d’entreprise ne s’applique qu’aux salariés de l’entreprise. Il peut concerner l’ensemble des employés, ou une catégorie de salariés uniquement (ex. : les cadres). Il est plus adapté à la diversité des entreprises (taille, secteur), ainsi qu’aux enjeux économiques et sociaux auxquels elles sont confrontées.

La réforme entreprise par le gouvernement vise à permettre à une entreprise et aux salariés qui la composent de négocier les règles qui leur correspondent le mieux. Si plus de 36 000 accords sont négociés chaque année, la négociation d’entreprise a encore trop peu de marge de manœuvre.

À titre d’exemple, il est aujourd’hui impossible à une entreprise de se doter d’une crèche d’entreprise en remplacement des primes d’ancienneté, même si les salariés et l’employeur sont d’accord, à cause des accords de branche. La réforme souhaite donner plus de flexibilité aux entreprises et à leurs employés dans certains domaines spécifiques.

À noter. Les accords d’entreprise deviennent la règle. Leur but est de pouvoir s’adapter aux cadences et aux évolutions du marché. Lorsqu’une entreprise anticipera la fin d’un contrat ou au contraire une nouvelle commande, elle pourra désormais conclure directement un accord avec les représentants des salariés.

En outre, la règle de l’accord majoritaire (signé par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés) dans les entreprises sera généralisée dès le 1er mai 2018, au lieu du 1er septembre 2019, date prévue dans la loi El Khomri. Les accords d’entreprise devront être approuvés par des organisations représentants 50 % des voix, et non plus 30 % comme aujourd’hui. Les suffrages pris en compte ne seront plus tous les suffrages exprimés mais seulement ceux qui le sont en faveur des syndicats représentatifs.

Quoi qu’il en soit, pour onze thèmes (certains pour lesquels c’est déjà le cas, comme les minima salariaux, d’autres nouveaux comme les paramètres des CDD, les nouveaux contrats de travail temporaire dits « contrats de chantier », ou encore pour les salariés handicapés…), un accord de branche s’imposera aux entreprises, sans possibilité d’y déroger. Dans trois cas (pénibilité, handicap, et vie syndicale), la branche pourra « verrouiller » si elle le souhaite (les entreprises seront alors tenues d’appliquer l’accord de branche2.

N.B. Dans tous les domaines qui ne relèvent pas du domaine exclusif de la branche ou de sujets verrouillés par la branche, les dispositions défavorables des accords d’entreprise prévalent sur les accords de branche, quelle que soit la date de l’accord d’entreprise.

Concernant les rapports entre la loi et la branche, cette dernière peut déroger de façon défavorable aux règles légales sauf lorsque celles-ci sont d’ordre public. Pour savoir quelles règles sont d’ordre public, il faudra se reporter aux règles du Code du travail en question (dans la version du Code du travail issue des ordonnances).

Par ailleurs, un seul type d’accord s’imposera désormais au contrat de travail, mais couvrira un champ plus large (bon fonctionnement de l’entreprise, développement ou préservation de l’emploi). En cas de refus, les salariés seront licenciés pour motif spécifique, toucheront l’assurance chômage et bénéficieront d’un droit à 100 heures de formation financées par l’employeur.

Enfin, la réforme offre à l’employeur la possibilité, lorsqu’un accord de branche est conclu dans ce sens, de recourir au « CDI de projet », jusqu’ici cantonné aux chantiers. Cette formule permet de clore un contrat sitôt une mission terminée et peut donc s’avérer avantageuse pour l’employeur qui ne souhaite pas prendre le risque financier d’une embauche durable.

II – Renforcer le dialogue social dans l’entreprise

Dans toutes les entreprises de moins de 20 salariés qui n’ont pas d’élu du personnel, l’employeur pourra négocier directement avec ses salariés sur tous les sujets.

Entre 20 et 50 salariés, il sera possible de négocier avec un élu du personnel également non mandaté. Jusque-là il fallait passer par un salarié mandaté par une organisation syndicale. Certains craignent que « l’élu du personnel qui n’aura ni formation ni le soutien d’un syndicat derrière risque de se retrouver bien démuni si un accord qu’il a signé au nom de ses collègues “tourne au vinaigre”. La ministre a d’ailleurs elle-même reconnu que ce point-là allait mériter de la prudence »3.

De plus, jusqu’à 11 salariés, les entreprises pourront passer par un référendum à l’initiative de l’employeur pour proposer un changement d’organisation, de durée du travail ou tout autre sujet négociable au niveau de l’entreprise. L’employeur devra obtenir les deux tiers des voix pour faire passer sa proposition. Ce référendum sera également possible dans les entreprises entre 11 et 20 salariés sans élus du personnel.

Par ailleurs, on rappellera qu’en Europe, la France se distingue par la représentation morcelée des salariés en quatre instances différentes (CE, CHSCT, délégués du personnel et délégués syndicaux). Pour inciter les employeurs au dialogue et favoriser son efficacité dans les entreprises de moins de 50 salariés, le gouvernement fusionne ces différentes instances dans un « comité social et économique ».

Les délégués syndicaux pourront aussi intégrer cette instance unique par accord pour former un « conseil d’entreprise », sur le modèle du Betriebsrat allemand. Cette nouvelle instance de dialogue serait clairement identifiable par les salariés comme par les employeurs.

Cette structure pourra toujours déclencher des actions en justice et solliciter des expertises. Mais elle devra s’acquitter d’une participation financière « forfaitaire » de 20 % du coût des expertises, hormis pour celles relatives au PSE et aux risques graves et à la consultation annuelle sur la situation économique et financière qui resteront prises en charge à 100 % par l’employeur.

III – Sécuriser les relations de travail

La réforme vise aussi à sécuriser les relations de travail, tant pour les employeurs que pour les salariés.

Selon le gouvernement, les règles sont incertaines pour les salariés qui, par exemple, dans le cadre d’un licenciement abusif, ne bénéficient pas des mêmes dommages et intérêts, qui s’ajoutent aux indemnités de licenciement, pour le même préjudice et avec la même ancienneté.

50 000 affaires sont portées chaque année devant les conseils de prud’hommes. Les résolutions peuvent aller du simple au triple pour un même préjudice, voire davantage.

Le gouvernement établit ainsi un barème pour les dommages et intérêts attribués par les prud’hommes en cas de licenciement irrégulier. Pour garantir plus d’égalité et pour lever les freins à l’embauche, les sommes octroyées sont encadrées par l’application d’un plancher et d’un plafond fixés par la loi en fonction, notamment, de l’ancienneté. À l’heure actuelle, les salariés touchent en moyenne une indemnité de 10 mois de salaires aux prud’hommes.

La mise en place d’un barème ne change rien au droit d’obtenir une indemnité de licenciement légale et conventionnelle. Mais chaque salarié connaîtra désormais, à l’avance, le montant de son indemnité de licenciement.

En outre, selon le gouvernement, l’incertitude sur le coût d’une rupture potentielle peut dissuader à l’embauche. Le barème doit apporter une prévisibilité qui permettra de lever cette incertitude. Quoi qu’il en soit, certains économistes considèrent qu’il y aura plus de licenciements à court terme. « Quand on facilite les licenciements, le premier effet est leur augmentation »4.

À noter. Le plafond de dommages et intérêts est fixé à un mois de salaire en dessous d’un an d’ancienneté. Il augmente d’un mois par année jusqu’à 10 ans, puis d’un demi-mois par année. Il ne pourra dépasser 20 mois au-delà de 28 ans d’ancienneté5.

Pour les TPE (moins de 11 salariés), le plancher sera fixé à 15 jours à partir d’un an d’ancienneté. Il augmentera progressivement, pour atteindre deux mois et demi à partir de neuf ans d’ancienneté.

Dans les autres entreprises, le plancher sera fixé à un mois à partir d’un an d’ancienneté, puis à trois mois à partir de deux ans d’ancienneté.

En contrepartie, les indemnités légales de licenciement seront augmentées de 25 % d’un mois de salaire par année d’ancienneté, au lieu de 20 % aujourd’hui.

N.B. Dans les cas relevant de la discrimination, du harcèlement ou portant atteinte aux libertés fondamentales du salarié, le barème ne s’appliquera pas ; le juge pourra décider librement de la sanction qui s’impose ; l’indemnité ne pourra être inférieure à six mois de salaire.

Le délai de recours aux prud’hommes, quant à lui, sera limité à un an pour tous les types de licenciements (aujourd’hui, il est fixé à un an pour les licenciements économiques et à deux ans pour les autres).

Outre l’encadrement des dommages et intérêts, les ordonnances prévoient d’autres mesures pour sécuriser le parcours des salariés. Il s’agit notamment d’établir des règles plus claires pour certains modes de travail induits par la révolution numérique (comme le télétravail ou le travail de nuit) afin de sécuriser davantage les salariés qui les pratiquent.

N.B. Ce ne sera plus au salarié de demander à l’employeur de travailler depuis chez lui, mais à l’employeur de démontrer que ce n’est pas possible.

Le salarié pourra télétravailler de droit, alors qu’un avenant à son contrat de travail et un accord sont aujourd’hui nécessaires, même si, de source proche du ministère du Travail, on estime que ce serait mieux d’en passer par là6.

En outre, si un accident intervient durant les heures de travail, il y aura présomption d’accident du travail.

La réforme instaure par ailleurs des « ruptures conventionnelles collectives », sur le modèle des ruptures conventionnelles individuelles créées en 2008. Une ordonnance donne la possibilité aux entreprises de définir un cadre commun de départs volontaires par accord homologué par l’administration. Aujourd’hui, les ruptures conventionnelles, qui donnent droit à l’assurance chômage, ne peuvent être conclues qu’individuellement.

Lorsque les suppressions ainsi prévues affecteront par leur ampleur l’équilibre du ou des bassins d’emploi, les entreprises seront alors tenues de contribuer « à la création d’activités et au développement des emplois » et d’atténuer les effets du plan sur les autres entreprises locales.

Ces mesures doivent faire l’objet d’une consultation des collectivités territoriales concernées, des organismes consulaires et des partenaires sociaux membres de la commission paritaire interprofessionnelle régionale.

Les maisons de l’emploi peuvent, sous forme de convention passée avec l’entreprise, participer à la revitalisation des bassins d’emploi. Quand ces suppressions concernent au moins trois départements, le ministre de l’Emploi et l’entreprise signent une convention-cadre nationale de revitalisation7.

Par ailleurs, la sanction en cas de vice de forme lors d’un licenciement ne pourra excéder un mois de dommages et intérêts. Ce qui n’empêchera pas un examen du dossier sur le fond. Les droits des salariés sont entièrement préservés, mais un employeur ne pourra plus être condamné sur une erreur de forme alors que le fond n’est pas contestable.

Le gouvernement souhaite également lutter contre les erreurs de procédure en donnant accès, pour les employeurs et les salariés, à un formulaire-type indiquant les droits et devoirs de chaque partie lors d’un licenciement.

À noter. Par ailleurs, en matière de licenciement pour motif économique, le périmètre d’appréciation du motif économique sera désormais le cadre national et non plus la scène mondiale lorsque l’entreprise appartient à un groupe international, hors fraude.

Enfin, dans le nouveau « compte professionnel de prévention », seuls six critères de pénibilité (travail de nuit, travail à la chaîne, travail en 3×8, travail sous l’eau et sous terre, bruit, températures extrêmes) sur dix permettront toujours d’acquérir des points.

À noter. À partir du 1er janvier 2018, les quatre critères restants (manutention de charges lourdes, vibrations mécaniques, postures pénibles, expositions à des agents chimiques dangereux) permettront de bénéficier uniquement d’une retraite anticipée et à condition que le salarié souffre d’une maladie professionnelle ayant entraîné une invalidité d’au moins 10 %.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Les Échos.fr.
  • 2.
    Les Echos.fr.
  • 3.
    Bertho J.-M., président de l’Union régionale Bretagne CFE-CGC ; les Échos.fr.
  • 4.
    Delaigue A., Le Monde, 5 sept. 2017.
  • 5.
    Les Échos.fr.
  • 6.
    Les Échos.fr.
  • 7.
    Localtis.
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