Les RH à l’épreuve de 2021
Le 26 janvier dernier, le monde des RH était bouleversé par l’assassinat d’une directrice des ressources humaines dans le Haut-Rhin. Un crime lié aux meurtres d’une autre DRH et d’une conseillère Pôle emploi, commis deux jours plus tard dans la Drôme et en Ardèche, ainsi qu’à une tentative de meurtre à Wattwiller. Ces faits dramatiques ont fait éclater au grand jour que la profession était soumise à une pression grandissante avec la crise sociale qui se profile, conséquence de la pandémie mondiale. Forte de ses 5 000 membres représentant 11 millions de salariés en France (dont 80 % dans le privé), l’Association nationale des DRH (ANDRH) vient de réaliser une étude qui révèle que la priorité des DRH se concentre sur la préservation de l’emploi.
Dans quel état d’esprit se trouvent les DRH un an après le début de la crise ? Et comment voient-ils 2021, année de tous les défis ? Telles sont notamment les questions qui ont été abordées dans une enquête intitulée « Priorités et attentes des DRH en 2021 » réalisée auprès de 5 000 de ses clients par l’ANDRH et dont les résultats ont été rendus publics le 11 février dernier.
Audrey Richard, la présidente de l’ANDRH met toutefois en garde : les résultats présentés par son association ne prennent pas en compte les secteurs les plus en souffrance comme l’hôtellerie, la restauration ou encore le spectacle, qui ne comptent généralement pas de DRH. Ainsi les chiffres avancés ne sont-ils pas « représentatifs » de ces domaines mais se font néanmoins l’écho d’un monde du travail en plein bouleversement, qui se démène entre économie sous perfusion et les défis des mois à venir.
L’emploi, un bien précieux
Selon l’étude réalisée pendant les mois de janvier et février derniers, 78 % des RH n’envisagent pas de plan de départ. Des restructurations, oui, mais idéalement, sans réduction des effectifs. Mise en perspective avec la dernière étude datant d’il y a six mois, Audrey Richard note une continuité dans les réponses. Elle estime que les DRH « font tout pour ne pas toucher à l’emploi ». Et pour ceux qui devraient s’y résoudre, la priorité est de se limiter à moins de « 10 % des effectifs ». Pour ce faire, les outils envisagés sont le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à 45 %, le plan de départ volontaire (PDV) à 31 %, la rupture conventionnelle collective (RCC) à 12 %. En somme, résume Benoît Serre, vice-président national délégué, les DRH « ne vont pas remplacer les départs ». Ce dernier évoque d’ailleurs davantage les 400 000 emplois qui n’ont pas été créés que ceux qui ont été détruits.
Ceci étant, il faut garder en tête que l’économie est sous « perfusion », grâce aux nombreuses aides de l’État, « raison pour laquelle les entreprises font ces réponses » assez mesurées. « Les DRH se battent pour sauvegarder l’emploi, dans la même tendance qu’il y a six mois », note encore la présidente.
Concernant l’année 2021, Benoît Serre constate que les priorités pour ce premier trimestre diffèrent peu par rapport à celles de la dernière enquête. Pour 85 % des DRH, la priorité est de « gérer la crise sanitaire », dans les incertitudes et les évolutions législatives. En deuxième priorité, à 84 %, s’impose « l’accompagnement du management » dans une période où les DRH doivent notamment gérer des travailleurs sur site et des travailleurs en télétravail. Pour 73 %, il est nécessaire de « renforcer le télétravail ».
Pour le second semestre, d’autres problématiques s’agrègent à celles précédemment citées, comme la qualité de vie au travail, citée par 55 % des répondants. Il semble que les DRH se dotent d’un « nouveau rôle, de nouvelles missions », comme les sujets de santé et de protection au travail. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) s’impose également pour 55 % des DRH interrogés. L’accompagnement du management concerne encore 54 % d’entre eux, suivi des difficultés de recrutement (à 39 %). Enfin, ils envisagent la « refonte de leur politique de rémunération et de rétribution » à 38 %, par le biais d’outils déjà posés dans la loi PACTE et renforcés depuis l’automne. Cette refonte du système de partage de la valeur, « entre les salariés, les entreprises et les actionnaires », précise Benoît Serre, a donné lieu récemment à une polémique sur les dividendes distribués par des entreprises qui mettent parallèlement en place le chômage partiel, malgré les encouragements du gouvernement à ne pas le faire.
Malgré cette situation compliquée, le recrutement n’est pas au point mort. Audrey Richard ne note pas « de chute absolue dans le recrutement ». Elle évoque « plutôt une stabilisation des entrées dans 53 % des cas », davantage de recrutement dans 25 % des entreprises et une diminution dans 16 % des entreprises. La taille des entreprises est une donnée qui compte puisque c’est dans les grands groupes de plus de 10 000 salariés que l’on constate la baisse la plus marquée des objectifs de recrutement.
De la même façon, l’alternance se stabilise également dans 49 % des cas. Ce dispositif a « très bien fonctionné », a ajouté Audrey Richard, qui a mis en avant l’initiative d’un collectif de DRH qui ne voulait pas « laisser les jeunes sur le bord de la route ». Plus de 500 000 contrats ont été signés. Mais parmi eux, 495 000 se trouvent dans le privé, posant la question du rôle du secteur public dans l’intégration professionnelle des jeunes. Toujours concernant les jeunes, « les aides à l’embauche ont été appréciées », mais elles n’ont pas déterminé les embauches. Benoît Serre estime que cette efficacité recherchée sur le volet « jeunes » devrait être étendue à d’autres populations éloignées de l’emploi, comme les seniors ou les chômeurs de longue durée.
La relance en ligne de mire ?
Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH, s’est demandé quelles mesures étaient mises en place pour relancer l’économie et adoptées par les DRH. Ainsi, pour 65 % des DRH consultés, les aides à l’embauche sont sollicitées, suivies, pour 42 % d’entre eux, des FNE-formation, dispositif dédié à la formation qui « permet de développer les compétences des personnes en activité partielle ». Enfin à 42 %, le recours à l’activité partielle de longue durée qui « permet une baisse du temps de travail », dispositif jugé intéressant pour les entreprises et les salariés, estime Laurence Breton-Kueny. En tout état de cause, 46 % des répondants pensent que ces différents dispositifs permettent une politique dynamique en matière d’emploi.
Les « transitions collectives », nouveaux parcours de reconversion pour changer de métier – déployés depuis le 15 janvier dernier – restent relativement peu utilisées, puisque 26 % des DRH ne connaissent pas encore le dispositif. 64 % se disent « non concernés », et pour 9 % des répondants, il est trop complexe. Enfin 18 % se prononcent en faveur d’un développement de ce dispositif qui cible mieux les métiers en tension, les profils moins employables et les précaires.
Ne pas oublier les seniors
Le sujet des seniors, « cher à l’ANDRH », a rappelé Benoît Serre, reste plus pertinent que jamais. « Dans le plan de relance, cette question est un impensé général », déplore-t-il. Lorsque les adhérents sont questionnés, ils prônent de préserver ces emploi ou anticiper les plans de départ volontaire, un allègement des cotisations sociales aux embauches et le recours aux congés de fin de carrière. À l’avenir, « le risque qu’ils soient encore plus exposés au chômage » existe réellement, s’inquiète Benoît Serre. Dans ce contexte, « Il faudrait construire un plan senior à la hauteur du plan jeunes », incluant une « baisse des cotisations sociales et une souplesse sur les contrats de travail », proposition soutenue par 82 % des DRH, notamment face aux incertitudes concernant l’activité, afin de favoriser la « capacité à retrouver un emploi après 55 ans », qui est très « faible » en France. Une « absurdité », puisque la catégorie « senior » commence, dans les entreprises, dès l’âge de 45 ans. « Quand on termine ses études à 25 ans, on en est finalement à la moitié de sa carrière », rappelle Benoît Serre.
Les mois de septembre et octobre derniers ont d’ailleurs été marqués par une présence assez forte des seniors au chômage. Pas de surprise, puisque « La France fait partie des pays où la situation est la moins bonne en termes d’emploi des seniors ». Le risque, avec les conséquences de la pandémie, c’est qu’aux extrémités du spectre social, les jeunes comme les seniors soient économiquement fragilisés : « Si les seniors et leurs petits-enfants se retrouvent sans emploi », le risque de « problèmes sociaux intergénérationnels » apparaît plus concret que jamais.
Pour ces deux populations, certaines idées semblent pertinentes, comme la prise en charge de formations aux nouvelles technologies, au travail à distance et au numérique, un abondement au compte personnel de formation (CPF) par l’État pour les jeunes et les seniors ou encore l’augmentation des budgets des plans de développement des compétences, ainsi qu’un accompagnement renforcé des OPCO… En amont, une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences de l’État dès le lycée, une valorisation auprès des jeunes des secteurs en tension ou le décloisonnement des universités et entreprises, sont évoqués comme des solutions à envisager.
Le dialogue social, à l’épreuve du Covid-19
Côté ANDRH, le ton se veut rassurant : « Le dialogue social a bien fonctionné ». Selon les DHR interrogés, les instances ont joué correctement leur rôle, puisque des « accords ont été signés ». 56 % estiment que les pouvoirs publics devraient valoriser les entreprises qui privilégient le dialogue social et la signature d’accords, via un label ou une certification. Les DRH sont 34 % à penser qu’il faut valoriser les accords majoritaires dans les entreprises. Des perspectives déterminantes alors que la crise sociale et économique, découlant de la crise sanitaire, se profile. Audrey Richard l’a rappelé, « 40 % des salariés sont en détresse psychologique », une donnée qui justifie de travailler au cas par cas, par jauge, afin de permettre, dans certains cas, le retour sur le lieu physique du travail pour sauver la santé mentale des employés. Idéalement, plaide-t-elle, « nous aimerions une formule “à la carte” ».
Alors que l’emploi va se confronter dans les prochains mois à une dure réalité, les DRH mènent leur combat : celui de la préservation de l’emploi. Peu habitués à être mis sur le devant de la scène, ils ont pourtant fait parler d’eux en janvier dernier avec le drame du 26 janvier, où une DRH de 39 ans a été tuée par balles sur le parking de son lieu de travail. Plus que jamais, dans ce contexte contrarié, les DRH font savoir leur besoin de confiance en l’avenir avec une perspective de reprise économique, de stabilité avec davantage de visibilité quant aux décisions gouvernementales, de réduction des prélèvements sociaux pour maintenir la compétitivité et enfin, de simplification administrative pour mieux gérer la multiplicité des cas de figures. Les salariés, à l’autre bout de la chaîne, n’en attendent pas moins.