Les salariés expatriés ont vocation à bénéficier de la participation et de l’intéressement

Publié le 26/12/2018

Tous les salariés de l’entreprise où a été conclu un accord d’intéressement ou de participation doivent avoir la possibilité de bénéficier de la répartition des résultats de l’entreprise, sans que puisse leur être opposé le fait qu’ils n’exécutent pas leur activité en France ou qu’ils n’y sont pas rémunérés.

Cass. soc., 6 juin 2018, no 17-14372 à 17-14375, ECLI:FR:CCASS:2018:SO00927

Cass. soc., 20 sept. 2018, no 16-19680, ECLI:FR:CCASS:2018:SO01287

L’« expatriation » ne veut pas dire grand-chose ; ou alors elle veut dire beaucoup trop. Il n’y a guère de notion juridique uniforme et autonome de l’expatriation – le législateur lui-même se prend les pieds dans le tapis1 – et les réalités que le mot désigne sont diverses. Abstraction faite de la summa divisio – le salarié expatrié au regard du droit du travail n’est pas le salarié expatrié au regard du droit de la sécurité sociale – au sein même du droit du travail l’expatriation vise des situations juridiquement différentes. Il est d’abord les « vrais » expatriés, ceux qui, outre leur appétence au voyage, ont rompu les liens contractuels qui les unissaient à leur ancien employeur : de celui-ci, ils sont libérés2 ; il est ensuite les « faux » expatriés qui, en dépit de leur envie d’ailleurs, n’ont pas tout à fait coupé le cordon : faute d’avoir été expressément rompu, le contrat de travail conclu avec leur employeur « survit » à la période d’exil. Tantôt, il continue de recevoir partiellement application – par exemple : payement de salaires hors l’emprise de l’État d’accueil –, tantôt il est suspendu dans l’attente du retour. Tantôt encore, le contrat de travail demeure bien vivace – il est dit alors des salariés qu’ils sont « détachés », terme dont le sens est juridiquement à peu près aussi obscur que celui d’« expatriation » –, quoique des modifications sensibles sont apportées dans les modalités de son exécution : les intéressés n’exercent plus leur activité pour le compte de leur employeur d’origine mais pour celui d’une personne morale tiers fréquemment liée capitalistiquement à ce dernier, laquelle personne morale prend à sa charge – et acquitte directement – la rémunération. Il n’est pas toujours utile de s’acharner à démêler la situation juridique exacte des salariés ainsi envoyés à l’étranger (même s’il faut le recommander) : les « politiques d’expatriation » mises en œuvre par les entreprises, ou les accords individuellement conclus par les salariés, satisfont suffisamment les parties pour que l’analyse de leurs situations demeure superficielle. Il peut arriver toutefois, à l’occasion d’un retour qui cristallise les difficultés, que le contentieux force à cette démarche.

Dans les deux décisions commentées, des salariés avaient été envoyés à l’étranger par leur employeur français sans que soient rompus leurs contrats de travail avec celui-ci quoique les sociétés d’accueil à l’étranger prissent en charge la rémunération. À leur retour en France, ils réclamèrent à l’employeur d’origine le versement de la participation (2e espèce) et celui de l’intéressement (1re espèce). Dans la première espèce, l’employeur s’opposa sur le fondement des dispositions des accords de participation et d’intéressement eux-mêmes qui excluaient expressément du champ de leurs bénéficiaires les salariés dont le contrat de travail s’exécute à l’étranger et dont la rémunération est versée par l’entité d’accueil située à l’étranger. Dans la seconde espèce, c’est sur la convention d’expatriation qui prévoyait expressément que la prime versée au salarié à l’occasion de son départ visait à compenser les avantages dus au titre de l’intéressement et de la participation que l’employeur assit sa décision de rejeter la demande formée par le salarié. Dans les deux cas, la Cour de cassation désavoue l’employeur et juge que « tous les salariés de l’entreprise où a été conclu un accord d’intéressement ou de participation doivent avoir la possibilité de bénéficier de la répartition des résultats de l’entreprise, sans que puisse leur être opposé le fait qu’ils n’exécutent pas leur activité en France ou qu’ils n’y sont pas rémunérés ». Dès lors, les salariés qui « n’avaient jamais cessé d’appartenir à l’effectif de la société durant leur période de détachement » peuvent prétendre à la participation et à l’intéressement. La décision n’est pas nouvelle ; elle fut toutefois suffisamment discutée et rare par le passé pour que soient détaillés successivement le principe posé et la portée de celui-ci.

Le principe. L’alinéa 1er de l’article L. 3342-1 du Code du travail prévoit que « tous les salariés d’une entreprise compris dans le champ des accords d’intéressement et de participation ou des plans d’épargne salariale bénéficient de leurs dispositions ». A priori claire, la lettre du texte pouvait toutefois appeler à interprétation dès lors qu’elle était lue à la lumière de la finalité des dispositifs d’épargne salariale. Ceux-ci, selon des modalités différentes il est vrai, ont en commun de récompenser les résultats du travail fourni par les salariés. Il s’agit « d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise »3 ou de « garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise »4. Dès lors, il n’y a rien d’inconvenant à considérer qu’à l’expression « tous les salariés d’une entreprise » employée à l’article L. 3342-1 du Code du travail, soit implicitement ajoutée l’incise « ayant contribué à l’activité de celle-ci ». Telle est l’interprétation livrée par l’Administration dans le Guide de l’épargne salariale publié en juin 2014 (p. 58). Quoique silencieuse quant à l’intéressement, elle explique, à propos de la participation : « le lien étroit qui existe entre la rémunération et le droit à la participation aux résultats (…) conduit à privilégier le principe selon lequel le salarié bénéfice de la participation dans l’entreprise qui le rémunère »5. Le raisonnement de l’Administration n’était pas aberrant, mais son exposé appelait quelques réserves. Plusieurs années plus tôt, la Cour de cassation s’était une première fois prononcée sur ce type de situation et avait reconnu un droit à participation à des salariés détachés à l’étranger, dont les contrats de travail étaient soumis à une loi étrangère et dont les rémunérations qui n’étaient pas assujetties à la taxe sur les salaires étaient exclues du calcul de la réserve spéciale de participation6 Peu après, lui avait été fournie l’occasion de développer, en la matière, un principe d’égalité entre les salariés bénéficiaires : « les modalités de calcul de la participation (…) ne peuvent faire l’objet d’une distinction suivant que les salariés d’une même entreprise travaillent en France ou à l’étranger »7. La Cour se prononçait alors à propos de « salariés expatriés ». Aussi est-ce sans réelle surprise que, dans les arrêts commentés, la solution est réitérée… et améliorée.

Améliorée car, d’une part, sont écartés les faits indifférents à l’éligibilité à la participation et à l’intéressement – ne jouent aucun rôle le lieu dans lequel le salarié exécute sa prestation de travail ni le débiteur de la rémunération – et, d’autre part, est souligné le critère essentiel : seul importe le fait que les salariés n’aient pas « cessé d’appartenir à l’effectif de l’entreprise ». À ce dernier propos, il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas fait l’effort de demeurer rigoureuse jusqu’au bout : « l’appartenance à l’entreprise » n’est pas une notion juridique bien définie ; il eût été préférable d’évoquer directement le lien contractuel. Qu’importe cependant dès lors que le sens des décisions commentées est clair : tout salarié dont le contrat de travail n’est pas rompu – quand bien même celui-ci serait suspendu – est éligible à la participation et à l’intéressement.

La portée. Que la règle soit posée était une chose ; il en était une autre de s’assurer qu’elle trouve effectivement application. Deux voies en effet pouvaient s’ouvrir pour que, en dépit du principe, les salariés concernés ne perçoivent, de facto, aucune somme afférente à l’un ou l’autre de ces dispositifs.

Il s’agissait en premier lieu de l’application des critères de répartition de la participation et de l’intéressement. Dans la plupart des cas, la masse globale consacrée par l’employeur est répartie entre les salariés notamment – si ce n’est exclusivement – à due proportion de leur temps de travail dans l’entreprise et de la rémunération perçue de celle-ci. Par hypothèse, les salariés détachés (ou expatriés peu importe) n’étaient pas présents dans l’entreprise et, par hypothèse encore, leur rémunération n’était pas versée par l’entreprise. Il va de soi que, sauf à priver de toute portée les décisions de la Cour de cassation – il convient de paralyser cette situation. D’une part, le temps passé au service de l’entreprise utilisatrice doit être assimilé à du temps passé au service de l’entreprise débitrice de la participation. D’autre part, les rémunérations versées indirectement doivent être également prises en compte, quand bien même elles ne seraient pas entrées dans l’assiette de calcul du « salaire » servant à la détermination de la réserve spéciale de participation (et, le cas échéant, de l’accord de participation).

Il s’agissait en second lieu de savoir si l’employeur pouvait, par la voie de l’accord instituant la participation, ou par la voie d’un avenant au contrat de travail, paralyser l’application du principe posé par la Cour. À cette question, la lecture comparée des deux décisions commentées apporte une réponse claire et complète. La règle déterminant l’éligibilité à participation et à l’intéressant est une règle d’ordre public qui ne peut être écarté ni par l’un (1re espèce) ni par l’autre (2e espèce) de ces actes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. p. ex. : C. trav., art. R. 1221-34.
  • 2.
    L’inverse n’étant pas tout à fait vrai : C. trav., art. L. 1231-5.
  • 3.
    C. trav., art. L. 3312-1.
  • 4.
    C. trav., art. L. 3322-1.
  • 5.
    Comp. : Q n° 4371, JO débat Sénat, 3 déc. 1987, p. 1900.
  • 6.
    Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-12902.
  • 7.
    Cass. soc., 29 oct. 2002, n° 00-14787.