« Les TPE ont un intérêt à négocier par référendum »
En décembre dernier, le gouvernement publiait un bilan d’étape, un an après l’adoption des ordonnances Pénicaud. Le comité d’évaluation donnait notamment des premiers chiffres sur l’utilisation du référendum d’entreprise, mesure qui avait été accueillie avec beaucoup de défiance par les syndicats. Que change ce texte dans l’organisation des entreprises ? Comment s’en sont-elles emparées ? Pour les Petites Affiches, Vanessa Hinder, avocate en droit social au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel à Lyon, analyse la mise en pratique de cette nouvelle disposition.
Les Petites Affiches
Qu’est-ce qu’un référendum d’entreprise ?
Vanessa Hinder
C’est une consultation des salariés qui a pour but de valider un accord d’entreprise, une définition qu’on oppose traditionnellement à l’accord d’entreprise dit majoritaire, c’est-à-dire conclu avec des syndicats qui ont obtenu au moins 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles.
LPA
Quelle est donc la nouveauté de ces ordonnances ?
V. H.
La nouveauté n’est pas l’existence du référendum d’entreprise, mais sa généralisation notamment dans les TPE. En réalité, le référendum existait déjà dans les TPE par exemple pour les accords d’intéressement ou pour la mise en place d’un régime de protection sociale complémentaire. Les sujets pouvant faire l’objet d’un référendum sont désormais bien plus nombreux dans les entreprises de moins de 11 salariés ou celles de 11 à 20 salariés dépourvues de CSE. Par ailleurs, la possibilité de négocier notamment avec des salariés mandatés puis de faire valider le texte par référendum existait déjà, mais les thèmes ont été élargis. Il est également possible de faire valider un accord dit minoritaire par référendum des salariés, à condition que les syndicats signataires aient obtenu au moins 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles.
LPA
Sur quels thèmes ces accords peuvent-ils porter ?
V. H.
Les ordonnances ont grandement élargi les thèmes ouverts à la négociation d’entreprise. Certains domaines sont cependant toujours exclusivement réservés aux accords de branche : les thèmes du bloc 1 — classifications et salaires minimaux hiérarchiques — et ceux du bloc 2 — pénibilité et maintien dans l’emploi des salariés handicapés — si la branche choisit de les verrouiller. Bien entendu, il y a des dispositions légales impératives, auxquelles un accord ne peut de toute façon pas déroger.
LPA
Ces accords sont-ils le fruit de réelles négociations ?
V. H.
Dans le cadre d’accords minoritaires, la négociation a lieu en amont, avec les syndicats puis le texte négocié préalablement est soumis au référendum des salariés.
En cas de négociation avec un élu ou un salarié mandaté, la négociation a lieu uniquement avec l’élu ou le salarié mandaté, le référendum ne servant qu’à valider le texte déjà négocié.
Dans les TPE, l’employeur établit un accord qu’il soumet à ses salariés. Contrairement aux accords résultant d’un dialogue mené avec des syndicats, il n’y a pas toujours de réelle négociation. Ce système de référendum est davantage un système de validation d’un texte préétabli et travaillé par l’employeur uniquement, même si, dans les TPE, il y a une proximité qui facilite la communication.
LPA
Pourquoi ce référendum d’entreprise a-t-il été créé ?
V. H.
Cette mesure a manifestement été créée dans un souci de flexibiliser le marché de travail.
Le bilan montre que la majorité des accords porte sur le temps de travail. Le référendum permet de faire rentrer dans un cadre légal des pratiques déjà instaurées au sein de l’entreprise, et donc de la sécuriser.
LPA
Est-ce un texte qui favorise l’entreprise ?
V. H.
On peut voir le texte comme favorisant l’entreprise, car elle peut en effet faire adopter un accord sans qu’il y ait de réelle contestation. Il peut y avoir un intérêt pour les entreprises à prévoir des dispositions moins favorables aux salariés que ce qui est prévu au niveau de la branche. D’autant plus que, dans les TPE, même s’ils doivent en être informés à l’embauche, la plupart des salariés n’ont pas connaissance du contenu de la convention collective applicable. Cela est sans doute dû à l’absence de représentants du personnel. Il y a un donc un intérêt stratégique pour l’entreprise à négocier. D’un autre côté, le référendum permet aux salariés d’avoir une connaissance plus approfondie des sujets qui les touchent au quotidien et les concernent. Tout en les responsabilisant.
LPA
Pourquoi les syndicats redoutaient l’instauration de ces référendums ?
V. H.
Des dérives sont possibles dans l’organisation même du référendum. Certes, le texte précise que la consultation doit avoir un caractère personnel et secret mais celui-ci semble difficile à garantir, dans une entreprise de moins de 11 salariés qui s’encombrera rarement d’organiser un référendum à bulletin secret avec des bulletins « oui » et « non » puis un dépouillement. Dans la pratique, les entreprises établissent bien souvent une liste de leurs salariés à qui elles demandent de signer face à leur nom. Il est donc facile pour l’employeur d’identifier le ou les salariés qui rejetteraient l’accord. De fait, le chef d’entreprise risquerait de prendre ce refus comme un affront et le salarié pourrait être placé en difficulté.
LPA
Les accords résultants de référendum peuvent-ils être contestés ?
V. H.
Le résultat de la consultation doit faire l’objet d’un procès-verbal qui est publié et annexé à l’accord lors de son dépôt. La régularité de la consultation ou la liste des salariés devant être consultés peuvent être contestées devant le tribunal d’instance.
LPA
Quel bilan peut-on dresser, un an après l’adoption de texte ?
V. H.
Dans le rapport de décembre 2018 du comité d’évaluation, il est précisé que plus de 400 textes ont été adoptés, entreprises de moins de 11 salariés ou entreprises comprenant entre 11 et 20 salariés confondues. La majorité des accords conclus dans les petites entreprises concernent le temps de travail. Ce chiffre n’est pas exponentiel au vu du nombre de TPE mais cela reste un bilan assez positif, notamment dans le secteur du commerce de gros et de détail. L’accord permet par exemple de régler la problématique du travail à temps partiel, ce qui peut être très intéressant dans ce type de domaine.
LPA
Comment expliquer que les entreprises ne s’en soient pas davantage saisies ?
V. H.
Il ne faut pas oublier qu’on parle d’un texte qui a à peine plus d’un an. À l’échelle du droit du travail, c’est très court, d’autant plus que les ordonnances Macron ont déjà induit beaucoup de changements. Les petites sociétés ont besoin de temps pour se remettre à jour. D’autre part, le souci, pour les TPE, repose sur le fait que la conclusion d’un accord implique de respecter un formalisme. Or ces petites structures ne sont pas toujours accompagnées au niveau juridique. Elles manquent d’information sur cette mesure, et peuvent avoir du mal à la mettre en place. Les chefs d’entreprise, dans les TPE, sont souvent déjà débordés par l’administratif. Il n’en reste pas moins qu’il y a un intérêt stratégique à négocier par référendum pour les TPE. Il se peut que son usage se développe.