Licenciement économique et maternité : un pas vers une meilleure protection de la femme enceinte

Publié le 30/06/2017

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er février 2017 précise l’étendue de la protection contre le licenciement accordée à la femme enceinte, en vertu de l’article L. 1225-4 du Code du travail, dans un sens favorable à la salariée. Sont aussi prohibés les actes préparatoires au licenciement intervenus pendant la période de protection, quel que soit le motif de celui-ci.

Cass. soc., 1er févr. 2017, no 15-26250, F–D

Le Code du travail contient des dispositions destinées à protéger la femme enceinte. Parmi ces dispositions, l’article L. 1225-4 interdit à l’employeur de licencier une salariée en situation de grossesse, ainsi que pendant son congé maternité et pendant la période de protection qui suit ce congé, d’une durée de quatre semaines, portée à dix semaines par la loi El Khomri1. Par exception, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou si le maintien du contrat est impossible pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. La rupture ne peut alors prendre effet ou être notifiée qu’à l’issue de la période de suspension du contrat. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation décide que cette protection s’étend aux actes préparatoires à cette décision de licencier, intervenus pendant la période de protection, quel que soit le motif du licenciement.

Une salariée avait été recrutée en 1995 pour exercer les fonctions de directrice de la communication. Elle a pris un congé maternité du 5 juin au 17 décembre 2009. Elle a ensuite été dispensée d’activité par son employeur pendant la période de protection post congé, puis licenciée le 5 février 2010 pour motif économique. Elle a contesté son licenciement. Infirmant la décision des conseillers prud’homaux, la cour d’appel a jugé le licenciement nul, en se fondant sur l’article L. 1225-4, combiné à la directive 92/85/CE relative à la sécurité et à la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes2. Pour les juges d’appel, l’employeur est l’auteur d’actes préparatoires au licenciement alors que ceux-ci sont prohibés pendant la période de protection.

L’employeur s’est pourvu en cassation. Il affirme, d’une part, que l’interdiction des actes préparatoires ne s’applique pas au licenciement collectif pour motif économique, et, d’autre part, qu’elle ne concerne que les actes « concrétisant la décision de l’employeur de licencier la salariée, tels que l’embauche d’un salarié ayant pour objet de pourvoir à son remplacement définitif ». Autrement dit, l’employeur doit avoir agi dans une intention discriminatoire, dans l’objectif d’écarter la jeune mère.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Pour la première fois, elle affirme que l’article L. 1225-4, interprété à la lumière de l’article 10 de la directive n° 92/85, interdit à l’employeur de notifier un licenciement, quel qu’en soit le motif, pendant la période de protection, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision. Elle apporte ainsi une utile précision sur la notion d’acte préparatoire prohibé, en y intégrant les actes préparatoires à tous les licenciements, quel qu’en soit le motif (I). L’on regrettera toutefois que la Cour laisse encore la notion à l’appréciation des juges du fond, ce qui est peu favorable à la cohérence des décisions ; une interprétation uniforme de la notion d’acte préparatoire est nécessaire pour satisfaire à l’objectif de protection de la femme enceinte (II).

I – L’interdiction des actes préparatoires intervenus pendant la période de protection concerne tous les licenciements, quel qu’en soit le motif

L’article L. 1225-4 interdit le licenciement pendant la période de protection. Cette disposition fait écho à l’article 10 de la directive 85/92 relative à la santé et à la sécurité des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, qui enjoint aux États membres d’adopter des dispositions nationales interdisant de licencier une femme enceinte du début de sa grossesse jusqu’au congé maternité. Il a fait l’objet d’une interprétation extensive de la part de la Cour de justice. Celle-ci a jugé, dans un arrêt du 11 octobre 2007, que l’interdiction ne se limitait pas à la notification du licenciement, mais devait s’étendre aux préparatifs de licenciement3. Malgré la formulation générale retenue par la Cour de justice, la Cour de cassation n’avait jusque-là pas retenu une interprétation large de la notion d’acte préparatoire prohibé.

C’est pourquoi, l’argument de l’employeur, dans la première branche du moyen, avait de bonnes chances de prospérer. Il affirmait que l’interdiction des actes préparatoires au licenciement ne s’appliquait pas au licenciement collectif pour motif économique. En effet, dans une affaire très similaire récemment rendue, la Cour de cassation n’avait pas censuré la décision des juges d’appel, qui avaient souverainement retenu l’absence d’acte préparatoire au licenciement dans un contexte de restructuration4. Ni l’annonce de la suppression du poste, ni la proposition de reclassement, pourtant faites pendant le congé maternité, n’avaient été qualifiées d’actes préparatoires prohibés, pas plus que la dispense d’activité proposée par l’employeur à l’issue du congé. La Cour de cassation avait simplement rejeté le pourvoi, laissant la notion d’acte préparatoire à l’appréciation souveraine des juges du fond. Ces derniers avaient souligné que les démarches de l’employeur auprès de la salariée pendant son congé étaient indispensables « pour précisément préparer son reclassement ». Fallait-il déduire de cette décision que les actes de la procédure de licenciement pour motif économique ne sont pas des actes « préparatoires » au licenciement, mais qu’ils visent au contraire à « éviter » le licenciement ? Le caractère économique du licenciement serait alors exclusif de l’existence d’actes préparatoires prohibés. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation écarte pareil raisonnement. Elle affirme que l’article L. 1225-4, interprété à la lumière de l’article 10 de la directive 92/85, interdit à l’employeur de notifier un licenciement, quel qu’en soit le motif, mais également de prendre des mesures préparatoires « à une telle décision ». On peut donc en conclure que les actes préparatoires visés peuvent concerner n’importe quel licenciement. Autrement dit, les actes préparatoires à des licenciements reposant sur un motif objectif, personnel ou économique, ou faisant suite au refus d’une modification du contrat de travail commandée par un accord collectif de développement ou de préservation de l’emploi, sont aussi concernés par l’interdiction.

La seconde branche du moyen s’attachait également à réduire à l’extrême la notion d’acte préparatoire prohibé. L’employeur soutenait que les actes interdits devaient être cantonnés aux « mesures concrétisant la décision de l’employeur de licencier la salariée, telle que l’embauche d’un salarié ayant pour objet de pourvoir à son remplacement définitif », autrement dit, lorsque l’employeur adoptait un comportement discriminatoire visant à écarter la femme en raison de sa situation de grossesse ou de jeune mère. Cette volonté d’assimiler l’acte préparatoire à un comportement discriminatoire de l’employeur se comprend car, jusqu’à présent, l’interdiction d’un tel acte n’avait été retenue que dans des affaires où l’employeur avait effectivement adopté un comportement discriminatoire. L’affaire de 2007 portée devant la Cour de justice en est une bonne illustration : elle concernait une salariée qui avait été licenciée à son retour de congé maternité, juste après le terme de la période de protection. Or l’employeur avait publié une offre d’emploi peu de temps après son départ en congé, dont les termes manifestaient son intention de remplacer définitivement la salariée. La Cour de justice avait retenu à la fois l’existence d’une discrimination à raison du sexe (sur le fondement de la directive n° 76/2075 relative à l’égalité de traitement entre hommes et femmes), et l’existence d’un acte préparatoire prohibé (sur le fondement de la directive n° 92/856). Elle prend soin de distinguer les deux fondements : en vertu du premier texte, un licenciement en raison de l’état de grossesse est prohibé, même s’il est prononcé avant ou après la période de protection prévue par le second texte. En vertu du second texte, il est interdit de notifier un licenciement pendant la période de protection, mais aussi de prendre une mesure préparatoire à un tel licenciement ; le fait qu’il s’agisse d’un licenciement discriminatoire est indifférent, la Cour de justice ne l’évoque qu’à titre d’exemple7. En droit français, il convient de bien délimiter le champ de l’article L. 1225-4 relatif à la protection de la femme enceinte contre le licenciement et celui de l’article L. 1132-1 relatif à l’interdiction des discriminations fondées sur l’état de la grossesse. Il n’est point besoin de prouver l’existence d’une discrimination pour bénéficier de la protection offerte par la première disposition. Seule compte la limite temporelle : le licenciement – et ses actes préparatoires – intervenu au cours la période de protection est interdit.

Jusqu’à cet arrêt du 1er février dernier, l’existence d’un acte préparatoire prohibé n’avait été retenue que dans des affaires où l’employeur avait adopté un comportement discriminatoire8, et rejetée dans les autres cas9. La notion d’acte préparatoire n’est pourtant pas cantonnée aux cas où l’employeur a commis un licenciement discriminatoire ; elle peut concerner tous les licenciements. Ce retour opéré par la Cour de cassation à une conception objective de l’acte préparatoire, indépendante de l’intention de l’employeur, est plus conforme à l’objectif de protection de la femme enceinte.

II – La nécessité d’une interprétation uniforme de la notion d’acte préparatoire pour satisfaire à l’objectif de protection de la femme enceinte

La solution doit être approuvée. La recherche d’une égalité concrète entre les sexes doit conduire à traiter différemment la femme enceinte au cours de la période particulière qui entoure l’arrivée d’un enfant. L’interdiction de licencier serait dépourvue d’effet utile si elle n’était pas étendue aux actes préparatoires au licenciement, particulièrement dans le cas d’un licenciement pour motif économique. La jeune mère n’est en effet pas aussi disponible que les autres salariés de l’entreprise pour étudier les mesures de reclassement, rechercher un nouvel emploi ou choisir une formation pour se reconvertir. La mesure de dispense d’activité est de surcroît contre-productive : elle empêche la salariée de retourner dans l’entreprise au terme de son congé alors que sa présence pourrait faciliter les échanges avec ses collègues en vue d’un reclassement. Ces considérations justifient que la salariée enceinte reçoive un traitement spécifique. Sa protection doit primer sur la possibilité pour l’employeur d’entamer une procédure de licenciement pour motif économique pendant son absence. Ce dernier doit lui garantir son retour à l’emploi après son congé maternité. Ce n’est qu’à l’issue de la période de protection post congé que l’employeur retrouvera la possibilité d’entamer une procédure de licenciement pour motif économique, si un tel motif existe toujours.

L’employeur peut toujours contourner l’interdiction de licencier, mais dans des cas qui doivent rester exceptionnels. De façon pragmatique, l’article L. 1225-4 et l’article 10 de la directive n° 92/85 permettent d’invoquer l’impossibilité de maintenir le contrat de la salariée pour la licencier. La procédure de ce licenciement particulier peut être initiée pendant le congé, et le licenciement notifié à l’issue du congé, y compris pendant la période de protection qui le suit. La jurisprudence a d’ailleurs pu décider qu’un motif économique pouvait constituer une telle impossibilité. En pareil cas, et parce que ce cas de licenciement doit rester exceptionnel, l’employeur doit indiquer dans la lettre de licenciement les raisons de cette impossibilité10. La motivation ne saurait se limiter à la seule énonciation du motif économique.

On regrettera cependant qu’une nouvelle fois, la Cour de cassation laisse la notion d’acte préparatoire au licenciement à l’appréciation souveraine des juges du fond. Certes, dans la décision commentée, la Cour utilise une formule assez générale pour dire qu’il est interdit à l’employeur « non seulement de notifier un licenciement, quel qu’en soit le motif, pendant la période de protection visée à ce texte, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision ». Cela constitue un progrès par rapport à sa précédente décision, rendue le 14 septembre 201611. Il est désormais établi que les actes préparatoires prohibés ne se réduisent pas aux actes manifestant l’intention discriminatoire de l’employeur. Mais l’absence de contrôle exercé sur la qualification d’acte préparatoire au licenciement aboutit à des solutions divergentes dans deux affaires pourtant très similaires. Les deux salariées reprochaient à l’employeur d’avoir débuté la procédure de licenciement pour motif économique pendant leur congé maternité, en annonçant la suppression de poste, en proposant un reclassement et en accordant une dispense d’activité pendant la période de protection post congé. Seule l’une d’elle a obtenu la nullité de son licenciement, qui s’est traduite par une sanction indemnitaire de 100 000 €. L’arrêt du 1er février marque une étape importante vers une interdiction, souhaitons-le, plus systématique, d’initier une procédure de licenciement pendant la période de protection. Mais une interprétation uniforme de la notion d’acte préparatoire reste nécessaire pour mettre fin à ces incohérences. Une telle interprétation pourrait venir de la Cour de justice ; il faut maintenant souhaiter qu’une juridiction nationale l’interroge dans le cadre d’un renvoi préjudiciel afin de dégager une notion européenne d’acte préparatoire au licenciement.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
  • 2.
    Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail : JOCE L 348, 28 nov. 1992, p. 1 à 7.
  • 3.
    CJCE, 11 oct. 2007, n° C-460/06, Paquay, pt 33.
  • 4.
    Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 15-15943, note Moreau F. : Dr. ouvrier 2017, p. 187.
  • 5.
    Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail : JOCE L 039, 14 févr. 1976, p. 0040 à 0042.
  • 6.
    Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail : JOCE L 348, 28 nov. 1992, p. 1 à 7.
  • 7.
    CJCE, 11 oct. 2007, n° C-460/06, Paquay, pt 33.
  • 8.
    Cass. soc., 15 sept. 2010, n° 08-43299.
  • 9.
    Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-17576 ; Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 15-15943.
  • 10.
    Cass. soc., 6 janv. 2010, n° 08-44626.
  • 11.
    Cass. soc., 14 sept. 2016, préc.
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