Preuve du manquement à l’obligation de confidentialité du salarié : Facebook au soutien de l’employeur
Dans cet arrêt, la Cour de cassation admet qu’un employeur peut licencier disciplinairement un salarié en raison d’éléments que ce dernier a publié sur son compte privé Facebook et que l’obtention de la publication litigieuse s’avère licite dès lors qu’elle émane spontanément d’une tierce personne.
Cass. soc., 30 sept. 2020, no 19-12058
1. Si le droit au respect de la vie privée du salarié est un principe intangible, il se peut que l’intrusion de l’employeur dans la sphère personnelle de son employé soit justifiée si certains éléments reliés à l’activité professionnelle portent atteinte à un intérêt légitime de ce dernier. La salariée d’une grande enseigne de vêtements a pu le constater à ses dépens.
2. Selon l’arrêt attaqué, l’employée fautive a été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau. Par une lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave en raison du manquement à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.
La salariée a donc saisi la juridiction prud’homale, estimant son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Déboutée de ses prétentions en appel, elle se pourvoit en cassation, arguant que la production de la copie d’écran par l’employeur constituerait un mode de preuve déloyal et que cette violation constituerait une atteinte disproportionnée à sa vie privée.
La Cour de cassation, par une décision du 30 septembre 2020, rejette le pourvoi de la salariée en estimant que la cour d’appel a fait ressortir, d’une part, « que la production de ces éléments était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur » et d’autre part, « que l’atteinte à la vie privée de la salariée avait été proportionnée à l’intérêt légitime de l’employeur tenant en l’espèce à la confidentialité de ses affaires ».
3. Par cette décision, la chambre sociale reconnaît que l’obtention par l’employeur de la photographie de la publication Facebook litigieuse relevait d’un procédé respectant le principe de loyauté de la preuve (I), et que le versement de cette preuve au débat ne constituait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de la salariée mise en cause au regard de l’intérêt légitime de l’employeur et du but poursuivi (II).
I – L’absence d’atteinte au principe de loyauté de la preuve
4. La chambre sociale fait dans un premier temps preuve de didactique en prenant soin de rappeler le principe selon lequel l’employeur « ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve »1, autrement dit de détourner ou de contourner une règle de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne soupçonnée. En ce sens, ladite chambre avait par exemple jugé qu’un constat d’huissier établi à la demande d’un employeur et rapportant des informations extraites du compte Facebook d’une salariée, obtenues à partir du téléphone portable d’un de ses collègues, était une preuve irrecevable portant atteinte au principe de loyauté de la preuve2.
En l’espèce, la Cour admet la recevabilité et le caractère loyal de la preuve tirée de la publication litigieuse au motif notamment qu’elle avait été spontanément communiquée par le courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder, par le biais de son statut d’ami, au compte privé Facebook de la demanderesse. L’élément déterminant réside dans le fait que la copie du statut Facebook est parvenue à l’employeur par le biais d’une tierce personne. On peut facilement se convaincre que la déloyauté aurait été retenue si l’employeur avait tenté d’accéder au compte Facebook de sa salariée ou encore s’il était à l’origine du rapport de l’information de la salariée expéditrice du courriel, lui sommant de divulguer des informations privées, sous peine, par exemple, de la sanctionner sur le plan professionnel3. Il n’en est rien puisque pour les hauts magistrats, le caractère spontané du courriel rend, sans conteste, loyale l’obtention de la preuve.
5. Cependant, si la question relative à la loyauté ne fait pas l’objet de doutes, les éléments issus de la preuve relèvent du cadre intime et posent donc la question du caractère attentatoire à la vie privée de la production de ces informations en justice.
II – L’atteinte proportionnée à la vie privée du salarié
6. Par un procédé analogue à la question de la déloyauté de la preuve, la chambre sociale rappelle en premier lieu le principe du droit au respect de la vie privée du salarié4. Celle-ci va même plus loin en évoquant que « la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, ainsi que d’éléments d’identification des personnes enregistrées comme “amis” destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée ».
Néanmoins, la chambre sociale rappelle également que les juges du fond se doivent de mettre en balance la protection de la vie privée et le droit à la preuve. Elle doit donc opérer un contrôle de proportionnalité en recherchant si la production présumée attentatoire à la vie privée est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte qui en résulte s’avère proportionnée au but poursuivi5.
En vertu du contrôle de proportionnalité, la cour d’appel, dont le raisonnement a été avalisé par la Cour de cassation, considère « que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires ». En d’autres termes, l’atteinte est ici admissible car indispensable en ce que la production de la publication servait à la défense de l’intérêt légitime de l’employeur tenant à la confidentialité de ses affaires, et proportionnée du fait que l’employeur se limitait simplement à verser la publication litigieuse extraite du compte Facebook sans ajouter d’éléments privés qui ne pouvaient être rattachés à la sphère professionnelle.
7. Au surplus, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que dans l’hypothèse où l’intéressé manque à l’une des obligations découlant de son contrat de travail6. En l’espèce, la publication par la salariée sur son compte Facebook – comptant notamment plus de 200 amis du même secteur d’activité – de la nouvelle collection de vêtements de son entreprise qui n’était, au moment de l’exposition sur le réseau social, pas encore publique, constitue une violation sans équivoque de son obligation contractuelle de confidentialité. Le licenciement pour faute grave contesté par la salariée répond donc parfaitement aux conditions posées par la jurisprudence sociale quant à sa validité7.
8. En définitive, cet arrêt enseigne qu’il est désormais possible pour les employeurs d’utiliser les informations de comptes privés Facebook afin de prouver une faute des salariés sous réserve d’une proportionnalité certaine entre le respect de la vie privée et le droit de la preuve. Il apparaît évident que les autres réseaux sociaux peuvent également être concernés par la règle dégagée. Partant, il convient d’inviter les salariés – et à plus forte raison dans le cadre des réseaux sociaux échappant bien souvent à leur maîtrise – à ne pas divulguer d’informations relatives au travail frappées du sceau de la confidentialité. Aussi, il serait préférable que les entreprises encadrent fermement l’utilisation d’internet au sein de leur structure et fassent parvenir aux salariés les mesures de surveillance qui pourraient être prises à leur encontre. Toutefois, la solution la plus viable pour éviter ce genre d’écueil demeure sans conteste celle de respecter scrupuleusement et de bonne foi les stipulations contractuelles qui nous lient, comme le commande le droit des contrats, ce qui aurait simplement consisté ici pour la salariée à s’abstenir de publier une photographie de la nouvelle collection sur son compte Facebook, aussi privé soit-il.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40852 : Bull. civ. V, n° 65 – Cass. soc., 16 janv. 1991, n° 89-41052 : Bull. civ. V, n° 15.
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2.
Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-19609.
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3.
Postulant également en ce sens, Peyronnet M., « Facebook : “faux amis”, vrai manquement à l’obligation de confidentialité », Dalloz actualité, 21 oct. 2020.
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4.
Reconnu par l’arrêt Nikon, Cass. soc., 2 oct. 2001, n° 99-42942 : D. 2001, p. 3148, note Gautier P.-Y. ; D. 2001, p. 3286, interview Langlois P. ; D. 2002, p. 2296, obs. Caron C. ; Dr. soc. 2001, p. 915, note Ray J.-E. ; RTD civ. 2002, p. 72, obs. Hauser J. ; JCP E 2001, 1918, note Puigelier C. ; Defrénois 15 nov. 2002, n° 37617-4, p. 1407 et s., obs. Raynouard A. ; Comm. com. électr. 2001, n° 120, note Lepage A. ; Comm. com. électr. 2001, chron. 24, obs. Devèze J. et Vivan M.
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5.
Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12403 : Bull. civ. I, n° 48 – Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-24015 : Bull. civ. I, n° 178.
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6.
Cass. soc., 21 oct. 2003, nos 00-45291 et 01-44761 : Bull. civ. V, n° 259 – Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19915 : Bull. civ. V, n° 106.
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7.
Cass. soc., 21 oct. 2003, nos 00-45291 et 01-44761 : Bull. civ. V, n° 259 – Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19915 : Bull. civ. V, n° 106.