Précisions relatives à l’obligation de loyauté du salarié en arrêt pour cause de maladie
« L’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. (…) Pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise ».
Cass. soc., 26 févr. 2020, no 18-10017
1. L’obligation de loyauté1 est une obligation importante dans le cadre de l’exécution de tout contrat de travail, puisqu’elle met à la charge de chaque partie contractante – l’employeur et/ou le salarié – un comportement honnête, solidaire et sincère lors de la mise en œuvre de la relation de travail. Prégnante dans les contrats à durée déterminée, dans les contrats à durée indéterminée, dans les contrats d’intérim et même dans les contrats d’apprentissage, la loyauté se décline à travers l’article L. 1222-1 du Code du travail qui dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi »2. Vue du côté du salarié, la loyauté prend effet dès la signature du contrat de travail, voire lors de la promesse d’embauche, et peut perdurer parfois après la fin dudit contrat. À ce niveau, il est nécessaire de s’interroger : la loyauté du salarié est-elle maintenue durant la période de suspension du contrat pour maladie ? La réponse nous semble affirmative d’après un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation qui souligne que « pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident de travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut (…) reprocher des manquements à l’obligation de loyauté ». Cette décision laisse présager l’idée suivant laquelle, durant la suspension du contrat de travail pour cause de maladie, un salarié peut être licencié pour faute grave s’il a manqué à son obligation de loyauté notamment en exerçant une activité professionnelle concurrente à celle de son employeur ou une activité professionnelle préjudiciable à son employeur. Dès lors que l’activité exercée par le salarié en arrêt maladie ne porte guère de préjudice à l’employeur, le licenciement du salarié pour déloyauté devient sans cause réelle et sérieuse. Telle a été la décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 26 février 20203. En l’espèce, Mme F. est recrutée par la société Madison diamonds en qualité de secrétaire commerciale le 15 décembre 1986. Elle est placée en arrêt de travail pour cause de maladie le 18 janvier 2012. Durant sa période d’arrêt de travail, elle exerçait une activité professionnelle et percevait simultanément des indemnités complémentaires aux allocations journalières. Le 24 juillet 2012, elle est licenciée pour faute grave du fait d’un manquement à son obligation de loyauté. Mme F. conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale. Saisie du litige, la cour d’appel de Paris rend un arrêt confirmatif le 2 novembre 2017. D’après cette cour, le licenciement de Mme F. est justifié puisqu’elle a eu un comportement déloyal vis-à-vis de son employeur. Un pourvoi est formé par Mme F. contre cet arrêt de la cour d’appel de Paris. D’après l’auteur du pourvoi, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car elle n’a pas manqué à son obligation de loyauté. Au regard de ce qui précède, se pose une question : l’exercice d’une activité professionnelle par un salarié durant la période d’arrêt maladie constitue-t-il une faute grave justifiant le licenciement du salarié ? La chambre sociale de la Cour de cassation le 26 février 2020 répond par la négative. En cassant l’arrêt de la cour d’appel de Paris, les juges de la haute juridiction notent que « l’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt ». Ils concluent par conséquent que « pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise ». L’analyse de la décision de la Cour de cassation permet de souligner que le licenciement du salarié pendant son arrêt maladie pour déloyauté n’est pas justifié (I). Cette décision est juridiquement fondée (II).
I – Un licenciement injustifié
2. Sur la base d’un moyen de droit, la haute juridiction a procédé à la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 novembre 2017. Cette cassation partielle, significative du caractère injustifié du licenciement de Mme F. pour faute grave, s’est fondée sur l’absence de préjudice subi par l’employeur. L’on doit par ailleurs souligner que la salariée a mis en avant son absence de déloyauté vis-à-vis de sa société.
3. L’absence de préjudice subi par l’employeur est l’élément fondateur de l’arrêt de la Cour de cassation. À la question de savoir si un salarié placé en arrêt maladie et exerçant une activité professionnelle non concurrente à l’activité de son employeur commet une faute grave justifiant son licenciement, les juges de la haute juridiction ont répondu sans ambages par la négative. En effet, ce salarié n’a commis aucune faute motivant son licenciement dès lors que l’activité indiquée ne concurrence pas celle de son employeur, d’une part, et que, d’autre part, son employeur ne subit aucun préjudice. Il est nécessaire de rappeler que d’après les faits du litige, Mme F. a été placée en arrêt maladie le 18 janvier 2012. Or depuis cette date, elle a exercé une activité professionnelle différente de celle de la société Madison diamonds et a continué de percevoir des indemnités complémentaires versées par cette dernière. Conformément à la réglementation en matière sociale, le versement du complément de salaire à un salarié en arrêt maladie est un droit4 pour le travailleur et une obligation5 pour l’employeur. Au regard de son incapacité à travailler durant la période de suspension du contrat de travail en raison de son état de santé, un salarié est tenu de percevoir des indemnités complémentaires aux allocations journalières versées par la sécurité sociale. À ce titre, la Cour de cassation note fort utilement que « le préjudice subi ne saurait résulter du seul paiement par l’employeur ». Autrement dit, le versement des indemnités par l’employeur est lié à l’arrêt de travail et non à l’activité professionnelle exercée par Mme F., peu importe que cette activité ne soit pas concurrente à la société Madison diamonds.
4. Sur un tout autre plan, les juridictions de fond ont mis en exergue le manquement de la salariée à l’obligation de loyauté. Rappelons que l’obligation de loyauté du salarié est permanente. Elle demeure pendant la suspension du contrat de travail. Mais alors, pour un salarié, travailler durant sa période d’arrêt pour cause de maladie n’est-il pas un comportement frauduleux ? La réponse pourrait de prime à bord paraître négative si ce travail a un caractère occasionnel ou bénévole. Toutefois, dans le cas d’espèce, Mme F. travaillait de manière permanente. Fort des éléments d’information fournis notamment du compte courant d’associé de Mme F., le solde du compte établi au 31 décembre 2011 d’un montant de 64 500 € a été porté à 76 467,84 € le 31 décembre 2012. Ce qui laisse présager que l’activité professionnelle qu’elle exerçait durant la période d’arrêt maladie était rémunératrice. Aussi, convient-il de souligner que l’exercice de cette activité professionnelle lui générait des revenus simultanément au versement régulier de son complément de salaire. Peu importe qu’elle ait perçu des indemnités et une rémunération lors de la période d’arrêt pour maladie, la haute juridiction relève qu’il n’y a pas de manquement de la salariée à son obligation de loyauté6.
De ce qui précède, il apparaît que le licenciement de Mme F. est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Quelles sont les bases juridiques de cette décision de licenciement injustifié ?
II – Une décision juridiquement fondée
5. La lecture de la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 26 février 2020 permet d’affirmer que cette décision est articulée sur deux fondements juridiques : la loi et la jurisprudence. Il est notoire de souligner que l’arrêt est conforme au principe édifié par l’article L. 1226-1 du Code du travail d’une part. D’autre part, ce principe s’inscrit dans une construction jurisprudentielle établie en matière d’obligation de loyauté du salarié durant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie.
6. S’agissant du fondement légal de la décision, il convient de noter que le paiement des indemnités inhérentes à l’arrêt maladie du salarié par son employeur est consacré par l’article L. 1226-1 du Code du travail. Ce texte de loi dispose que « tout salarié ayant une année d’ancienneté dans l’entreprise bénéficie, en cas d’absence au travail justifiée par l’incapacité résultant de maladie ou d’accident constaté par certificat médical et contre-visite s’il y a lieu, d’une indemnité complémentaire à l’allocation journalière prévue à l’article L. 321-1 du Code de la sécurité sociale, à condition :
1° D’avoir justifié dans les quarante-huit heures de cette incapacité, sauf si le salarié fait partie des personnes mentionnées à l’article L. 169-1 du Code de la sécurité sociale ;
2° D’être pris en charge par la sécurité sociale ;
3° D’être soigné sur le territoire français ou dans l’un des autres États membres de la Communauté européenne ou dans l’un des autres États partie à l’accord sur l’espace économique européen.
Ces dispositions ne s’appliquent pas aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés intermittents et aux salariés temporaires ».
Ce texte de loi met en lumière une obligation pour toute entreprise vis-à-vis de ses salariés en arrêt pour cause de maladie : le versement d’un complément de salaire. Ce complément de salaire constitue une garantie pour le salarié face à son incapacité de travailler du fait de sa maladie. Dans le cas d’espèce, le versement des indemnités complémentaires est davantage justifié dans la mesure où Mme F. remplit l’ensemble des conditions fixées par le texte de loi. L’on peut à titre indicatif citer son année d’ancienneté au sein de Madison diamonds, sa prise en charge par la sécurité sociale, la nature permanente de son emploi. À toutes fins utiles, rappelons que la légalité du paiement des indemnités est inhérente à l’arrêt pour maladie et non à la perception d’une rémunération liée à une activité lors de la suspension du contrat.
7. S’agissant du fondement jurisprudentiel, il est convenable, d’entrée de jeu, de souligner la fermeté de la position de la chambre sociale de la Cour de cassation sur la problématique indiquée. De manière générale, la haute juridiction maintient son orientation voire affine sa position sur la question de la loyauté d’un salarié durant la période de suspension de contrat pour maladie. Après avoir clairement indiqué que « pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive (…) à une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement (…) reprocher des manquements à l’obligation de loyauté »7, la chambre sociale de la Cour de cassation fixe le cadre des obligations auxquelles est tenu un salarié durant sa période d’arrêt pour cause de maladie. C’est alors qu’après plusieurs reprises, la haute juridiction note qu’un salarié peut bel et bien exercer une activité professionnelle lorsqu’il est en arrêt maladie à condition que cette activité ne soit pas concurrente à celle de son entreprise. Tel est le cas d’un salarié exerçant comme indépendant dans une entreprise non concurrente à l’employeur8, le cas d’un salarié travaillant pour le conjoint dans une entreprise n’ayant aucun rapport avec l’activité de l’employeur9 ou le cas d’un salarié travaillant pour son propre compte sur les marchés10 ou encore le cas d’un salarié travaillant comme gérant dans une station-service… À travers l’arrêt du 26 février 2020, la haute juridiction relève qu’un salarié peut bel et bien exercer une activité professionnelle lorsqu’il est en arrêt maladie. L’approche de la haute juridiction réside dans la précision selon laquelle le versement d’indemnités complémentaires ne constitue pas à lui seul un préjudice justifiant le licenciement du salarié en arrêt pour cause de maladie.
Notes de bas de pages
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1.
Corrigan-Carsin D., « Loyauté et droit du travail » in Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, 1995, Economica, p. 125 ; Bossu B., « Loyauté », in Les notions fondamentales du droit du travail, 2009, Panthéon-Assas ; D’après Teyssié B., Cesaro J.-F. et Mariton A., Droit du travail. Relations individuelles, 2014, LexisNexis, n° 536, la loyauté est une obligation contractuelle.
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2.
Guislain V., « La bonne foi, notion régulatrice des relations de travail », JSL, janvier 2014, n° 358.
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3.
Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-10017 : « Obligation de loyauté (arrêt maladie) : activité pour une société non concurrente », D. 2020, p. 489.
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4.
Ogier-Bernaud V., « Les droits constitutionnels des travailleurs », 2003, Economica, PUAM, préf. Favoreu L.
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5.
C. trav., art. L. 1226-1.
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6.
V. infra, la chambre sociale de la Cour de cassation a noté dans des décisions précédentes qu’en période d’arrêt maladie, un salarié peut avoir une activité non concurrente rémunératrice.
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7.
Gamaleu Kameni C., « Retour sur la loyauté du salarié dans les relations de travail », LPA 30 août 2019, n° 147c7, p. 9.
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8.
Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-21682.
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9.
Cass. soc., 12 juin 2008, n° 07-40307.
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10.
Cass. soc., 12 oct. 2011, n° 10-16649.