Repos dominical et travail de nuit : même avec leur extension il reste des limites

Publié le 24/12/2020

Certains responsables d’établissements, exploitant un commerce de détail non spécialisé à prédominance alimentaire, rêvent d’aligner leurs heures d’ouvertures sur ce qui se fait dans certains pays étrangers : 24 h/24, 7 jours par semaine, 365 jours par an. Ils avaient vu dans les dernières réformes du droit du travail la possibilité d’exaucer ce vœu. La présente décision, en condamnant une enseigne qui avait recouru dans des conditions irrégulières au travail dominical et nocturne, rappelle que la législation, même avec les extensions considérables apportées aux dérogations aux règles limitant le recours au travail nocturne et à l’obligation de repos hebdomadaire dominical ne permet pas encore d’aller aussi loin dans cette voie.

Cass. crim., 7 janv. 2020, no 18-83074, FS-PBI

La mise en place du travail de nuit est devenue plus facile. Il reste encore quelques obstacles à franchir avant de parvenir à sa généralisation absolue, sur la base de la seule volonté de l’employeur. De même, bien que phagocytée par des exceptions de plus en plus nombreuses, larges et souples1, la règle est encore celle du repos hebdomadaire dominical2. En condamnant un employeur qui, confondant la légalité externe d’un acte et son contenu, avait cru pouvoir voir dans la présomption de légalité d’un accord collectif permettant des dérogations à l’interdiction du travail de nuit et à la limitation du repos hebdomadaire dominical la possibilité de mettre en place dans son établissement, sans aucune motivation ni restriction, le travail de nuit, et la fin du repos hebdomadaire dominical, la présente décision rappelle que la présomption de légalité d’un acte n’autorise pas son contenu à violer une loi d’ordre public3. Ceci amène à faire le point sur les conditions de mise en place du travail de nuit sur des bases légales, administratives ou conventionnelles et les dérogations au repos hebdomadaire dominical (I) et aux conséquences du non-respect des quelques limites s’opposant à leur généralisation absolue (II).

Une société et le gérant de l’un de ses établissements, exploitant un commerce de détail non spécialisé à prédominance alimentaire, ont été cités devant le tribunal de police pour y répondre du fait que des salariés ont été employés après 21 h, ce qui est qualifié de travail de nuit, et des dimanches de la période considérée jusqu’à 13 h 15 en moyenne voire plus.

La cour d’appel, pour infirmer le jugement du tribunal de police, qui les avait condamnés, et relaxer les prévenus du chef de mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise, énonce que celui-ci est autorisé lorsqu’il est mis en place par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche4, présumé valide5. Elle ajoute que la convention collective nationale applicable6 et l’accord de branche étendu autorisent expressément le travail de nuit en prévoyant des compensations et des garanties liées au volontariat des salariés concernés et estime que les parties civiles en l’espèce n’ont pas renversé sa présomption de légalité. La Cour de cassation constatant que la cour d’appel en ne précisant pas en quoi la situation invoquée par l’employeur répondait aux exigences d’ordre public selon lesquelles il ne peut être recouru au travail de nuit que de façon exceptionnelle et en considération de la situation propre à chaque établissement, et seulement lorsqu’il est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou de services d’utilité sociale7 en a conclu que la cour d’appel en ne vérifiant pas si la situation dans le cas de l’établissement en cause, qu’elle avait à juger, répondait aux exigences de dispositions d’ordre public, ce qu’il lui appartenait de mieux contrôler fut-ce en écartant les clauses d’une convention ou accord collectif non conformes, n’a pas justifié sa décision.

La question de droit posée était celle de la valeur des éléments susceptibles de justifier du travail de nuit et des dérogations au repos hebdomadaire dominical dans le cas d’existence d’un accord collectif les mettant en place.

I – Mise en place du travail nocturne et dérogations au repos hebdomadaire dominical

À défaut de convention ou d’accord collectif, tout travail accompli entre 21 h et 6 h est considéré comme du travail de nuit8, ou pour certaines activités spécifiques : discothèques, casinos9, hôpitaux… tout travail accompli entre minuit et 7 h.

Est considéré comme travailleur de nuit tout travailleur qui, soit accomplit au moins 2 fois par semaine, selon un horaire de travail habituel, au moins 3 heures de son temps de travail quotidien durant une période répondant à la définition du « travail de nuit » ; soit accomplit, au cours d’une période de 12 mois consécutifs, 270 heures de « travail de nuit »10. Pour la Cour de cassation sont réputées ainsi accomplies, toutes les heures comprises dans l’horaire de travail habituel du salarié11.

Le travail de nuit doit être exceptionnel12. En matière de repos hebdomadaire, le principe est que celui-ci est dominical13. Cependant ces règles admettent de nombreuses dérogations, qui doivent être justifiées.

A – Travail de nuit

Le travail de nuit peut être mis en place dans des établissements qui bénéficient de dérogations à la norme qui veut que le travail normal soit le travail de jour14. Ces dérogations peuvent provenir d’un accord d’entreprise15 (2), ou d’une autre source (1).

1 – Dérogations permettant le travail de nuit provenant d’une source autre qu’un accord d’entreprise

Le travail de nuit devrait être exceptionnel16. Il doit répondre à deux conditions, prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs17 et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale18. Le caractère exceptionnel peut être regardé par rapport à un secteur particulier pour lequel le travail de nuit est inhérent à l’activité.

Les dispositions relatives au travail de nuit ont été considérées comme conformes à la constitution19. Mais il a aussi été jugé que le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement20. Ce qui a été à l’origine d’une réforme législative destinée à faire échec à cette jurisprudence21.

À défaut de convention ou d’accord collectif et à condition que l’employeur ait engagé sérieusement et loyalement des négociations en vue de la conclusion d’un tel accord, les travailleurs peuvent être affectés à des postes de nuit sur autorisation de l’inspecteur du travail, accordée après vérification des contreparties qui leur sont accordées22 et de l’existence de temps de pause, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.

L’engagement de négociations loyales et sérieuses implique pour l’employeur d’avoir :

1° convoqué à la négociation les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise et fixé le lieu et le calendrier des réunions ;

2° communiqué les informations nécessaires leur permettant de négocier en toute connaissance de cause ;

3° répondu aux éventuelles propositions des organisations syndicales23.

En l’absence d’accord collectif, lorsque les caractéristiques particulières de l’entreprise le justifient, l’inspecteur du travail peut autoriser de substituer une autre période à la période légale de nuit24.

2 – Travail de nuit en raison d’un accord collectif

Un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche peuvent mettre en place, dans une entreprise ou un établissement, le travail de nuit25. Un tel accord peut déroger à la période de référence et au nombre minimal d’heures de travail de nuit, prévoir un nombre d’heures différent, plus ou moins élevé, apprécié sur une période de référence identique ou différente de celles des textes légaux. Dans le cadre de la négociation collective, la détermination de ces deux données est réservée à la négociation de branche26.

Pour certains acteurs économiques, ce type d’accord est sécurisé car il lui est conféré une présomption de légalité27. Les auteurs du texte l’ayant prévu, n’ont pas précisé le caractère irréfragable de cette présomption28. L’auraient-ils fait que cela n’aurait pas réglé le problème du contrôle du contenu de tels accords et de leur conformité aux lois d’ordre public permettant le recours au travail de nuit. Comme le précise la présente décision, la présomption de légalité externe du support (l’accord collectif) ne permet pas de juger de la validité de son contenu et ne dispense pas les juges de contrôler son fond et donc de vérifier l’existence et la pertinence des motifs invoqués à titre de justification de l’accord. La primauté de l’accord collectif comme support de mise en place du travail de nuit dans l’entreprise ou l’établissement est ainsi consacrée29 et subordonnée à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de branche étendu ou d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement. Cette exigence vaut tant pour la mise en place du travail de nuit dans l’entreprise ou l’établissement que pour son extension à de nouvelles catégories de salariés. La mise en place du travail de nuit dans l’établissement doit s’entendre, dans un établissement qui ne comporte aucun travailleur de nuit, comme l’embauche de salariés qui deviennent travailleurs de nuit ou le passage de salariés affectés le jour à des postes de travailleurs de nuit. Elle comprend également le cas de la création d’une entreprise qui souhaiterait mettre en place directement le travail de nuit.

L’accord collectif doit préciser les raisons justifiant le recours au travail de nuit30 : nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Tout accord collectif, qu’il soit de branche et étendu ou d’entreprise, doit nécessairement comporter des dispositions :

  • justifiant le recours au travail de nuit ;

  • identifiant les catégories de salariés concernées par le travail de nuit ;

  • organisant une contrepartie au travail de nuit31 ;

  • prévoyant des mesures destinées à améliorer les conditions de travail des salariés, à faciliter l’articulation de leur activité nocturne avec l’exercice des responsabilités familiales, et à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

  • organisant des temps de pause32.

À défaut d’offrir des précisions satisfaisantes sur chacune de ces exigences, l’accord collectif ne sera pas valable, son opposabilité pourrait être remise en cause.

Le salarié peut se prévaloir d’une incompatibilité du travail de nuit avec ses obligations familiales impérieuses33.

Les travailleurs de nuit doivent bénéficier de contreparties au titre des périodes de nuit au cours desquelles ils sont appelés à travailler34. Cette compensation peut prendre la forme d’un repos compensateur et, le cas échéant, d’une majoration de rémunération. L’employeur ne saurait se satisfaire du versement d’un complément de rémunération, l’octroi d’un repos compensateur étant en tout état de cause obligatoire. L’importance de la ou des contreparties au travail de nuit relève de la négociation collective, sauf dans l’hypothèse où le travail de nuit est mis en œuvre sur autorisation de l’inspecteur du travail. Dans ce dernier cas, la contrepartie est fixée par l’employeur, sous le contrôle et l’appréciation de l’inspecteur du travail. Le travail de nuit est parfois complété par du travail dominical.

B – Repos hebdomadaire dominical

Le repos hebdomadaire dominical reste le principe35. Le refus pour un demandeur d’emploi d’accepter une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi36. Des dérogations conventionnelles37 (2) ou provenant d’autres sources légales38 ou administratives sont possibles (1).

1 – Dérogations provenant de sources autres que conventionnelles

Des conditions spécifiques à chacune de ces dérogations au repos dominical doivent être respectées.

Certaines dérogations sont permanentes, permises pour certains établissements dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public39.

Dans les établissements de vente au détail de denrées alimentaires le travail dominical est possible jusqu’à 13 h, cette dérogation est assortie d’un droit à repos compensateur pris par roulement un autre après-midi dans la même semaine40.

Seuls les établissements dont la vente au détail de denrées alimentaires constitue l’activité principale peuvent bénéficier de ce dispositif41. Des dérogations accordées par le préfet42, ou le maire43, peuvent permettre le travail le dimanche. Une personne exerçant son activité dans un commerce similaire à proximité est fondée à saisir le juge des référés pour faire cesser l’ouverture illicite44. Des dérogations conventionnelles possibles complètent le système.

2 – Dérogations par voie conventionnelle

La dérogation au repos dominical par voie conventionnelle est possible mais encadrée. L’attractivité commerciale liée à l’ouverture de nuit d’un magasin ne permet pas à elle seule de caractériser la nécessité d’assurer la continuité de l’activité45. Les salariés concernés par la dérogation au repos dominical doivent bénéficier de contreparties fixées par l’accord collectif. À défaut d’accord, elles résultent de la décision unilatérale de l’employeur, approuvée par référendum. Chaque salarié privé d’emploi le dimanche doit bénéficier au minimum d’un repos compensateur et d’une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente46. La décision unilatérale de l’employeur le contraint à fixer les conditions dans lesquelles il prend en compte l’évolution de la situation personnelle des salariés privés du repos dominical47.

Travail de nuit

II – Sanctions

Qu’il s’agisse du travail de nuit ou du travail du dimanche le non-respect des règles est assorti de sanctions qui obéissent à certains principes (A), appliquées dans l’espèce commentée (B).

A – Principes

Tant dans leurs mises en place que dans les contentieux qu’ils produisent, le travail de nuit et le repos hebdomadaire dominical se rejoignent souvent tant les débats à leurs propos sont fondés sur les mêmes dogmes48. Le principe du repos dominical pose des problèmes largement identiques à celui du travail de nuit, c’est l’incarnation de la tension entre deux dogmes, tout aussi puissants l’un que l’autre dans leur expression, entre ceux qui pensent que l’économie doit conduire l’homme à s’y s’adapter49 et ceux qui pensent au contraire que l’économie doit s’adapter à l’homme et lui permettre de bénéficier des conditions d’un travail décent50. Pour ces raisons, ces questions restent dans l’actualité d’un législateur51 atteint de schizophrénie qui a vidé de sa substance un principe tout en prétendant le réaffirmer52, et des juges53 amenés à appliquer des textes à la rédaction techniquement imparfaite54 les obligeant à interprétation55.

Le repos dominical est considéré comme un principe fondamental dans l’ordre interne, qui participe des garanties du droit au repos, aux loisirs et au bénéfice d’une vie familiale56. Il est régulièrement réaffirmé57. Il figure également parmi les « normes essentielles » du droit international du travail, mais l’organisation internationale du travail (OIT) admet que le jour de repos fixé par chaque État puisse être choisi en fonction de son histoire58.

En pratique, l’annulation judiciaire des autorisations d’ouverture dominicale survient plusieurs années après l’ouverture et n’a plus de caractère effectif, les salariés ne pouvant plus espérer bénéficier de leurs dimanches perdus. Le juge pénal peut se faire juge de l’acte administratif, mais il ne statue que pour les infractions passées et n’a pas le pouvoir d’annuler l’acte administratif pour l’avenir. Même avec l’utilisation des pouvoirs dont dispose l’inspecteur du travail pour les mettre en œuvre, l’efficacité des sanctions s’avère limitée59. Le recours à la voie pénale, comme dans la présente décision, laisse un peu d’espoir quant à son efficacité réelle.

Le non-respect de ces règles est sanctionné par une contravention. Tous les salariés sont concernés.

1 – Infractions relatives au non-respect des règles relatives au travail de nuit

Le fait de méconnaître les dispositions relatives au travail de nuit60 est incriminé et sanctionné61 par des contraventions de cinquième classe62. Entre dans le cadre de l’infraction le manquement aux règles de définition du travail de nuit qui correspond à tout travail réalisé entre 21 h et 6 h63, sauf dérogation légale, ce qui est le cas pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacles vivants et de discothèque64, conventionnelle, ou accordée par l’inspection du travail, aux règles de qualification du travailleur de nuit65. C’est aussi le cas pour le non-respect du principe selon lequel le recours au travail de nuit est de nature exceptionnelle, et doit prendre en compte les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs, et être justifié par « la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale66 et ne pas être incompatible avec des obligations familiales impérieuses, notamment avec la garde d’un enfant ou la prise en charge d’une personne dépendante »67. De même en cas de non-respect des règles de mise en place du travail de nuit dans un établissement68, en particulier, aux règles de consultation du médecin du travail lors de sa mise en place69, aux contreparties impérativement octroyées aux salariés de nuit sous forme de repos compensateurs et, éventuellement, de majoration de salaire70, aux règles spéciales de surveillance médicale des travailleurs de nuit71.

L’infraction peut être sanctionnée d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 € pour les personnes physiques et jusqu’à 7 500 € pour les personnes morales. Le nombre d’amendes sera multiplié par le nombre de salariés ayant été employés en violation de la réglementation du travail de nuit. En revanche, le nombre d’amendes ne peut être multiplié par le nombre de jours de travail en infraction à la réglementation du travail de nuit sauf à ce que soit constaté un état de récidive72.

2 – Repos hebdomadaire dominical

Le fait de méconnaître les règles relatives au repos hebdomadaire dominical est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, donnant lieu à autant d’amendes qu’il y a de salariés illégalement employés73. La récidive est réprimée conformément aux règles du repos dominical selon les conditions de droit commun.

Le non-respect des dispositions conventionnelles qui dérogent au repos du dimanche74 est sanctionné.

Les contraventions donnent lieu à autant d’amendes qu’il y a de personnes illégalement employées75. En conséquence, les contraventions à la règle du repos dominical donnent lieu, qu’elles aient été perpétrées une seule fois ou à plusieurs reprises, à autant d’amendes qu’il y a de personnes illégalement employées76. Il importe peu que l’identité des salariés concernés n’ait pas été précisée par le juge77.

Le cumul d’infractions s’avère souvent possible. Ainsi lorsqu’un salarié est employé irrégulièrement un dimanche, ce sont deux infractions qui sont susceptibles d’être commises l’une à l’égard de l’obligation du repos dominical78, l’autre relative à l’interdiction légale d’occuper un salarié pendant plus de 6 jours par semaine si, de ce fait, le salarié a travaillé plus de 6 jours de suite79. Les juges considèrent que ces infractions comportant des éléments constitutifs spécifiques doivent être réprimées distinctement80.

Le consentement du salarié ne permet pas de déroger au principe du repos hebdomadaire ou dominical81.

Le refus exprimé par les salariés de travailler le dimanche ne saurait valablement justifier une sanction disciplinaire ni constituer une cause légitime de licenciement82. Est abusif le licenciement d’un ouvrier motivé par son refus de travailler le dimanche, dès lors que l’employeur ne rapportait pas la preuve qu’il bénéficiait légalement d’une dérogation.

B – Sanctions appliquées en l’espèce

Les justifications avancées par les prévenus, bien qu’existant dans un accord collectif, ont fait l’objet d’une analyse par les juges.

1 – Justifications

En l’espèce, pour échapper à la répression, les prévenus mettaient en avant les dispositions d’un accord collectif prévoyant la possibilité de déroger aux règles limitant le travail de nuit et donnant la possibilité de déroger au principe du repos hebdomadaire dominical et la présomption de légalité dont bénéficiait cet accord83.

Une ordonnance, fut elle conforme aux souhaits de certaines entreprises, ne suffit pas, à elle seule, pour abroger les principes fondamentaux du droit84. Les juges en ont tiré les conséquences.

La question de la justification du recours au travail de nuit et au repos dominical, dans le secteur du commerce alimentaire, et celle de la présomption de conformité à la loi avaient déjà été l’occasion de contentieux devant des juridictions civiles. Une juridiction de référés, dont la compétence est justifiée par l’existence d’une présomption de conformité à la loi de la justification par accord collectif relatif à la mise en place du travail de nuit85, après contrôle de la justification avancée du recours au travail de nuit telle que résultant d’un accord collectif, avait interdit à une société l’emploi de salariés après 21 h, c’est-à-dire le travail de nuit, car aux yeux des juges les justifications avancées ne correspondaient pas aux exigences légales permettant de justifier un travail de nuit86, même dans le cadre d’un accord collectif. Le problème se pose dans les mêmes termes pour les dérogations conventionnelles au repos hebdomadaire dominical.

En effet une présomption de légalité du contenant, l’accord, ne suffit pas à justifier la conformité de son contenu à une loi d’ordre public87. Cette analyse88 est reprise par la présente décision ce qui lui permet, après une analyse concrète de la situation de l’entreprise au regard des conditions autorisant le travail de nuit et les dérogations au repos de dominical, prévues de manière générale dans un accord collectif, de justifier la condamnation pénale d’une entreprise qui avait voulu comprendre des nouvelles dispositions du Code du travail89 qu’un tel texte était suffisant pour permettre à un employeur de mettre en place du travail nocturne et des dérogations au repos hebdomadaire dominical sans autre contrainte que son existence. La présente décision montre que, même prévu par des accords collectifs, le travail de nuit et une dérogation à la règle du repos hebdomadaire dominical doivent être justifiés par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale90. Les juges entendent contrôler et apprécier si dans l’entreprise concernée par les accords qu’elle invoque, celle-ci peut justifier de l’existence effective des deux justifications exigées. Une mention générale dans le texte de l’accord collectif n’est pas une justification suffisante du recours au travail de nuit et/ou des dérogations au repos dominical91. Les juges dont c’est la mission normale92 doivent le contrôler.

2 – Appréciation par les juges de l’espèce

Une entreprise et son gérant avaient été condamnés à des amendes pour avoir fait travailler des salariés au-delà de 21 h, c’est-à-dire à des horaires correspondant à ce qui est défini comme travail de nuit qui doit rester exceptionnel, l’activité de commerce alimentaire n’exigeant pas, pour l’accomplir, de recourir au travail de nuit93. Ce travail de nuit avait été mis en place par décisions de l’employeur, en exécution d’accords collectifs ce qui, selon l’employeur, était une justification suffisante du recours à ce mode d’organisation du travail. Des justifications, à vrai dire assez peu convaincantes, du travail de nuit ont été énoncées dans une convention collective94. Celle-ci invoquait : respect de la sécurité alimentaire, nécessité d’approvisionner les points de vente et de préparer les marchandises et les magasins afin qu’ils soient prêts avant l’ouverture au public, respect des réglementations restrictives relatives à la circulation des véhicules de livraison dans Paris, problème qui se pose aussi dans des villes de province, qui limitent l’organisation de la distribution des marchandises et de la manutention sur la période de travail de jour. Les juges après analyse de ces clauses et de la situation concrète de l’entreprise poursuivie en ont tiré la conclusion que « ces contraintes logistiques apparaissent conformes à la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique de l’entreprise », sans toutefois que la solution procède d’une quelconque présomption de conformité à la loi de la justification du recours au travail de nuit figurant dans l’accord collectif, qui a ainsi admis le recours au travail de nuit mais jugé en sens contraire quant à la légalité du recours au travail de nuit après 21 h. Pour le juge, la continuité de l’activité économique de l’entreprise n’est manifestement pas mise en cause et le besoin de la clientèle, énoncé au sens général, ne peut pas correspondre à la justification d’effectuer un service d’utilité sociale qui, selon le juge, est l’objectif poursuivi dans les secteurs d’activité spécifiques, tels que la santé ou la sécurité des personnes ce qui ne correspond pas aux problèmes que l’on souhaite régler par l’ouverture nocturne de magasin à prédominance alimentaire, même si certains arrêts avaient constitué un premier pas vers la présomption de légalité des conventions et accords collectifs négociés et signés par les organisations syndicales représentatives95, lesquels se sont prolongés par d’autres décisions allant dans le même sens96.

Ainsi après l’ordonnance de réforme du Code du travail, la détermination collective des conditions de travail et la gestion des entreprises97 » peuvent se faire par accords collectifs. Ces accords permettant de préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail, parmi lesquels la prise en compte des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs98 qui est une des conditions rendant admissible le travail de nuit99, ce que les juges doivent vérifier en analysant la situation concrète de l’entreprise concernée même si elle invoque des accords collectifs qui, eux aussi, doivent rester conformes à ces principes. À défaut les accords collectifs organisant le travail de nuit pourraient bien être invalidés ou servir de fondement à des condamnations pénales s’ils ne respectent pas les limites prévues par la loi pour cette organisation du travail de nuit et la mise en cause du repos dominical. Dès lors les partisans du travail de nuit sans limitations et de la fin du repos dominical n’ont plus qu’une seule ressource : le vote d’une nouvelle loi, qui d’ailleurs pourrait bien se heurter à des obstacles constitutionnels, tel le droit au repos100, cette fois mieux rédigée que la précédente par des auteurs qui auront compris et admis que la légistique n’est pas qu’une matière permettant à quelques universitaires des critiques acerbes – mais souvent justifiées –, adressées aux faiseurs de lois voulant aller trop vite et qui de ce fait ne voient pas forcément que le texte qu’ils rédigent est contraire au but qu’ils cherchent à atteindre.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D’Allende M., « Réformes des dérogations au repos dominical », JCP S 2015, 1318.
  • 2.
    C. trav., art. L. 3132-3.
  • 3.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 4.
    C. trav., art. L. 3122-15 mod. Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
  • 5.
    Ord. n° 2017-138, 22 sept. 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
  • 6.
    CCN, 12 juill. 2001, du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, art. 5-12.
  • 7.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 8.
    C. trav., art. L. 3122-20 mod. L. n° 2016-1088, 8 août 2016.
  • 9.
    C. trav., art. L. 3122-3.
  • 10.
    C. trav., art. R. 3122-8.
  • 11.
    Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-21744 : JCP S 2012, 1194, note d’Allende M.
  • 12.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 13.
    C. trav., art. L.3132-11.
  • 14.
    C. trav., art. L 3122-1 a contrario.
  • 15.
    Ord. n° 2017-138, 22 sept. 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
  • 16.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 17.
    C. trav., art. L. 3122-32.
  • 18.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 19.
    Cons. const., 4 avr. 2014, n° 2014-373 QPC : JO, 5 avr. 2014.
  • 20.
    Cass. soc., 24 sept. 2014, n° 13-24851 : JCP S 2014, 1427, note Cailloux-Meurice L.
  • 21.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 254 : JO, 7 août 2016.
  • 22.
    C. trav., art. L. 3122-8.
  • 23.
    C. trav., art. L. 3122-21 mod. L. n° 2016-1088, 8 août 2016.
  • 24.
    C. trav., art. L. 3122-22.
  • 25.
    C. trav., art. L. 3122-15 mod. Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
  • 26.
    C. trav., art. L. 3122-31.
  • 27.
    Ord. n° 2017-138, 22 sept. 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
  • 28.
    C. civ., art. 1349 et s.
  • 29.
    C. trav., art. L. 3122-33.
  • 30.
    C. trav., art. L. 3122-32, al. 1er.
  • 31.
    C. trav., art. L. 3122-39.
  • 32.
    C. trav., art. L. 3122-15.
  • 33.
    C. trav., art. L. 3122-12.
  • 34.
    C. trav., art. L. 3122-8.
  • 35.
    C. trav., art. L. 3132-3.
  • 36.
    C. trav., art. L. 3132-3-1.
  • 37.
    C. trav., art. L. 3132-14 à C. trav., art. L. 3132-12.
  • 38.
    C. trav., art. L. 3132-4 à C. trav., art. L. 3132-13, conventionnelles.
  • 39.
    C. trav., art. L. 3132-12.
  • 40.
    C. trav., art. L. 3132-13.
  • 41.
    C. trav., art. L. 3132-13.
  • 42.
    C. trav., art. L. 3132-20 à C. trav., art. L. 3132-25-6.
  • 43.
    C. trav., art. L. 3132-26 à C. trav., art. L. 3132-28.
  • 44.
    Cass. soc., 30 mai 2012, n° 10-25349, Union économique de consommation (Uneco) c/ SARL Chateaudis, exploitant sous l’enseigne Franprix et a. : JCP S 2012, 1358, note d’Allende M.
  • 45.
    Cass. soc., 24 sept. 2014, n° 13-24851 : JCP S 2014, 1427, note Cailloux-Meurice L.
  • 46.
    C. trav., art. L. 3132-25-3 ; Cass. crim., 22 sept. 2015, n° 13-82284.
  • 47.
    C. trav., art. L. 3132-25-3, III.
  • 48.
    Lecourt V., « Regard sur les contentieux du repos dominical », Cah. soc. mai 2014, n° 263.
  • 49.
    V. Icard J., Analyse économique et droit du travail, thèse, Loiseau G. (dir.), 2011.
  • 50.
    Deranty J.-P. et Mac Millan C., « Qu’est-ce qu’un “travail décent” ? Propositions pour élargir la campagne de l’OIT pour le travail décent à partir de la psychodynamique », Travailler 2013/2, n° 30, p. 147 à 174.
  • 51.
    Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
  • 52.
    L. n° 2009-974, 10 août 2009, dite loi Mallié : Cottin J.-B., « La réforme du repos – et du travail – dominical (À propos de la loi n° 2009-974 du 10 août 2009) », LPA 1er oct. 2009, p. 6.
  • 53.
    Lavallart J.-M., « Le travail de nuit une nouvelle fois sous les projecteurs », Cah. soc. avr. 2014, n° 113d3, p. 228.
  • 54.
    Guide de légistique, 2018, Documentation française ; Barraud B., « La méthodologie juridique », in La recherche juridique (les branches de la recherche juridique), 2016, L’Harmattan, Logiques juridiques, p. 167 et s.
  • 55.
    Hrestic M.-L., « The Value of Interpretation in Law Valahian », Journal of Economic, vol. V (19), Issue 3 2014.
  • 56.
    Cons. const. 6 août 2009, n° 2009-588 DC ; CEDH, art. 8.
  • 57.
    Cass. soc., 12 janv. 2011, n° 10-40055.
  • 58.
    OIT, rapp. de 2011, Nouvelle Zélande, obs. commission d’experts.
  • 59.
    Richevaux M., « Efficacité des moyens à la disposition de l’inspecteur du travail pour faire cesser le travail dominical illicite », obs. sous CA Metz, 6 sept. 2012 : LPA 13 mars 2013, p. 7.
  • 60.
    C. trav., art. L. 3122-29 à C. trav., art. L. 3122-45, C. trav., art. L. 3163-1 et C. trav., art. L. 3163-2 ainsi que celles des décrets pris pour leur application.
  • 61.
    Cass. crim., 2 sept. 2014, n° 13-83304.
  • 62.
    C. trav., art. R. 3124-15.
  • 63.
    C. trav., art. L. 3122-29.
  • 64.
    C. trav., art. L. 3122-30.
  • 65.
    C. trav., art. L. 3122-31.
  • 66.
    C. trav., art. L. 3122-32.
  • 67.
    C. trav., art. L. 3122-37.
  • 68.
    C. trav., art. L. 3122-33, C. trav., art. L. 3122-36, C. trav., art. R. 3122-16 et C. trav., art. R. 3122-17.
  • 69.
    C. trav., art. L. 3122-38.
  • 70.
    C. trav., art. L. 3122-39 à C. trav., art. L. 3122-41.
  • 71.
    C. trav., art. L. 3122-42 et C. trav., art. R. 3122-18 à C. trav., art. R. 3122-22.
  • 72.
    C. trav., art. R. 3124-15 ; Cass. crim., 20 nov. 2007, n° 06-86289, D.
  • 73.
    C. trav., art. R. 3135-2, soit 1 500 € portés à 3 000 € en cas de récidive.
  • 74.
    C. trav., art. L. 3132-16.
  • 75.
    C. trav., art. R. 3135-2.
  • 76.
    Cass. crim., 5 mai 1998, n° 97-81503 : Dr. ouvrier 1998, p. 328.
  • 77.
    Cass. crim., 10 janv. 1995, n° 94-82490 : Bull. crim. 1995, n° 9 – Cass. crim., 16 févr. 1999, n° 98-80069.
  • 78.
    C. trav., art. L. 3132-3.
  • 79.
    C. trav., art. L. 3132-1.
  • 80.
    Cass. crim., 17 juill. 1986, n° 85-96478 : Bull. crim. 1986, n° 237 – Cass. crim., 30 juin 1998 : Cah. soc. barreau 1998, n° S 438.
  • 81.
    Cass. crim., 5 déc. 1989, n° 89-82007, D : D. 1990, Somm., p. 175, obs. Lyon-Caen A.
  • 82.
    TI Quimper, 21 oct. 1959, Ferraza et union locale CGT c/ Sté française des industries maritimes.
  • 83.
    Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
  • 84.
    Tahri C., Introduction au droit 2019-2020 – Cours, QCM, entraînement, corrigés, 2019, Vuibert.
  • 85.
    CA Paris, 7 sept. 2018, n° 17/16450.
  • 86.
    C. trav., art. L. 3122-2.
  • 87.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 88.
    Marquet de Vasselot L., « Justification du recours au travail de nuit dans le secteur du commerce et la présomption de conformité à la loi de la justification résultant d’un accord collectif et compétence du juge des référés », obs. sous CA Paris, 7 sept. 2018, n° 17/16450 : BJT déc. 2018, n° 110t1, p. 253.
  • 89.
    Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
  • 90.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 91.
    CCN, 12 juill. 2001, du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, art. 5.2, étendue par A., 26 juill. 2002 : JO, 6 août 2002.
  • 92.
    Normand J., L’office du juge et la contestation. Contribution à l’étude d’une théorie générale de l’office du juge en matière civile, « I. L’Office du juge et le droit litigieux », « II. L’Office du juge et le fait contesté », thèse, 1961, Lille, dact., LIII-539, 382 f°; Normand J., Le juge et le litige, 1965, Paris, LGDJ, 527 p.
  • 93.
    Cass. crim., 2 sept. 2014, n° 13-83304.
  • 94.
    CCN, 12 juill. 2001, du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, art 5-12.
  • 95.
    Cass. soc., 27 janv. 2015, n° 13-22179 et Cass. soc., 27 janv. 2015, n° 13-25437.
  • 96.
    Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11324 et Cass. soc., 3 nov. 2016, n° 15-18444.
  • 97.
    Préambule de la constitution de 1946, al. 8.
  • 98.
    Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-568 DC, consid. 14 et Cons. const., 4 avr. 2014, n° 2014-373 QPC, consid. 11.
  • 99.
    C. trav., art. L. 3122-1.
  • 100.
    Préambule de la constitution de 1946, al. 11.
X