Retour sur la loyauté du salarié dans les relations de travail

Publié le 30/08/2019

« Pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident de travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement, dans le cas d’une rupture pour faute grave, reprocher des manquements à l’obligation de loyauté ».

Cass. soc., 20 févr. 2019, no 17-18912

1. L’absence d’un salarié aux rendez-vous médicaux liés à son activité professionnelle lors de la période de suspension de son contrat de travail constitue-t-elle une faute grave justifiant la rupture anticipée de celui-ci ? En répondant par l’affirmative à cette question, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte une précision importante relativement à la notion de loyauté du salarié vis-à-vis de son employeur durant la période de suspension du contrat de travail. En effet, dans l’arrêt rendu le 20 février 20191, elle relève que pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident de travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement en cas de rupture grave reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté. L’analyse de cette décision nécessite de présenter brièvement les faits du litige. Suivant un contrat à durée déterminée, M. W. a été engagé en qualité de basketteur professionnel par la société JDA Basket Dijon pour trois saisons (2013 à 2016). Le salarié est victime d’un accident de travail. Son contrat de travail est suspendu. Par conséquent, il fait l’objet d’un suivi médical – soins de kinésithérapie – prescrit par le médecin traitant du club professionnel. N’ayant pas honoré d’une part le rendez-vous médical destiné à organiser son suivi chez le kinésithérapeute et, d’autre part, n’étant pas disponible à poursuivre le protocole des soins de kinésithérapie, le salarié a été licencié pour faute grave sur la base du manquement à l’obligation de loyauté. Contestant son licenciement, M. W. a saisi les juridictions de fond afin d’obtenir des dommages et intérêts. Pour lui, la société JDA Basket Dijon doit lui verser des dommages et intérêts car son contrat de travail était suspendu. Le salarié basketteur n’était guère obligé de collaborer avec son club-employeur durant cette période. De ce fait, il n’est pas tenu d’une obligation de loyauté à l’égard de son employeur par sa présence aux séances de soins médicaux. Saisi du litige, la cour d’appel de Dijon le déboute de sa demande. M. W. forme alors un pourvoi devant la chambre sociale de la Cour de cassation. Le pourvoi est formellement rejeté par la haute juridiction. Cette dernière relève que « pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident de travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement, dans le cas d’une rupture pour faute grave, reprocher des manquements à l’obligation de loyauté ». Force est de relever au vu de cette décision de la Cour de cassation que la rupture anticipée du contrat de travail du salarié est fondée sur son manquement à l’obligation de loyauté (I), laquelle obligation demeure maintenue en période de suspension du contrat de travail (II).

I – La rupture anticipée du contrat du travail pour manquement du salarie à l’obligation de loyauté

2. Sur la base d’un moyen unique, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le basketteur de la JDA Dijon. En approuvant l’arrêt de la cour d’appel de Dijon, les juges de la haute juridiction articulent leur raisonnement sur une obligation fondamentale mise en lumière dans le cadre de l’exécution de tout contrat de travail : l’obligation de loyauté. Le manquement à cette obligation par le salarié constitue une faute grave justifiant la rupture de son contrat.

3. Il faut relever d’entrée de jeu que la loyauté inhérente à l’exécution de tout contrat de travail est implicitement consacrée par les textes. D’après l’article L. 1221-1 du Code de travail, « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Vu du côté de l’employeur et du côté du salarié, la bonne foi est une notion régulatrice des relations de travail2. Elle requiert pour chaque partie contractante la probité, la solidarité, la loyauté. À ce titre, l’employeur est tenu de fournir la prestation de travail au salarié dans de bonnes conditions et de lui donner la rémunération y afférente. Quant au salarié, il est tenu primo de bien accomplir ses missions quotidiennes, secundo de bien collaborer avec son employeur et tertio d’être à sa disposition en cas de nécessité. Ces obligations, rappelons-le, sont prescrites lors de l’exécution du contrat de travail. Ces obligations du salarié sont-elles requises en dehors de l’exécution du contrat de travail ? En d’autres termes, ces obligations sont-elles maintenues pendant la suspension du contrat du travail ? Aucunement. Toutefois, relève la Cour de cassation, si la suspension du contrat de travail est consécutive à un accident de travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est obligé d’être présent aux séances de soins prescrits par le médecin du club. Au vu de la suspension de son contrat de travail, cette absence non justifiée du joueur est un manquement à l’obligation de loyauté mettant en mal l’intérêt de la JDA Basket. Par conséquent, la rupture de son contrat s’avère justifiée. D’ailleurs, le manquement du salarié à l’obligation de loyauté est un fondement notoire du licenciement3.

4. Au-delà du manquement du salarié à l’obligation de loyauté, la rupture du contrat de travail de M. W. a été articulée sur la violation d’une clause de contrat. En effet, suivant ladite clause, « le joueur devra soigner sa condition physique pour obtenir le meilleur rendement possible dans son activité. Il devra respecter strictement les instructions de tout membre de l’encadrement technique et du président du club ». Si cette clause prescrit des obligations à l’égard du salarié, elle n’indique point le respect desdites obligations en période de suspension du contrat de travail. Or le contrat de M. W. est précisément suspendu. Le salarié n’est pas tenu de collaborer avec son employeur. Mais alors, le mutisme de la clause contractuelle sur la question des obligations du salarié durant la suspension du contrat de travail peut-il être interprété en faveur du salarié ? La réponse nous semble négative puisqu’en droit social français, la loyauté contractuelle de l’employeur et/ou du salarié est un principe fondamental. Cette loyauté prévaut sur toutes dispositions contractuelles. Durant la phase contractuelle et post-contractuelle, l’employeur et le salarié sont soumis à diverses obligations – devoir de loyauté – afin de ne pas porter atteinte à leurs intérêts respectifs. Dans le cas d’espèce, peu importe la suspension du contrat de travail, le joueur professionnel avait le devoir d’être présent aux soins médicaux. Si sa présence aux séances d’entraînement pouvait s’avérer facultative compte tenu de son état de santé, sa présence chez le kinésithérapeute était importante pour son rétablissement et plus tard sa remise à niveau sportive. Tel n’a pas été le cas ; d’où la rupture de son contrat de travail. La haute juridiction souligne qu’en cas de rupture du contrat de travail, subsiste pour le salarié l’obligation de loyauté. Cette dernière apparaît donc mise en valeur dans les relations de travail.

II – La mise en valeur de l’obligation de loyauté dans les relations de travail

5. La relation de travail met en collaboration deux principales parties : l’employeur et le salarié. Trois parties peuvent exceptionnellement être mises en rapport dans le cadre d’une relation de travail. C’est notamment le cas des contrats d’intérim où, aux côtés du salarié, se trouvent l’employeur et l’entreprise utilisatrice du salarié. Tout compte fait, qu’elle soit bipartite ou tripartite, la relation de travail demeure une relation particulière. Autrement dit, c’est un contrat d’adhésion suivant lequel toutes les clauses du contrat sont entièrement et préalablement rédigées par une partie contractante : l’employeur. Quant au salarié, il est tenu d’adhérer au contrat. Bien qu’il soit subordonné à l’employeur dans la relation de travail4, le salarié bénéficie d’un régime légal protecteur. L’article L. 1226-9 du Code de travail constitue une parfaite illustration en matière de suspension du contrat de travail du salarié. Cet article dispose qu’« au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie ». Dans le cas de figure soumis à la Cour de cassation, malgré la suspension du contrat de travail, les juges ont approuvé la cour d’appel de Dijon d’avoir « fait ressortir l’existence d’un manquement du salarié à son obligation de loyauté rendant impossible la poursuite du contrat de travail ».

6. De ce qui précède, l’on observe que l’obligation de loyauté est valorisée dans la relation de travail. La suspension du contrat de travail ne décharge pas le salarié de cette obligation. En d’autres termes, même si le salarié n’offre plus sa prestation de travail durant cette période, il ne saurait se soustraire à ce devoir car sa faute ou son manquement est rattachable à l’obligation de loyauté. La mise en valeur de cette obligation dans le cadre de la relation de travail se matérialise dans le dispositif de l’arrêt de la Cour de cassation en ces termes : « pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement, dans le cas d’une rupture pour faute grave, reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté ». Une interrogation peut être soulevée à ce niveau : pourquoi une telle obligation en matière de droit social ? Il faut partir du postulat suivant lequel la loyauté constitue une obligation contractuelle applicable à tous types de contrat. L’article 1104 du Code civil est assez illustratif sur la question, « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». En droit social, la loyauté est davantage prégnante que le salarié soit engagé aux termes d’un contrat à durée déterminée, indéterminée, d’un contrat d’apprentissage ou d’intérim. Ce qui permet d’ailleurs à certains auteurs de la considérer soit comme une obligation générale des parties au contrat5, soit comme une exigence6, soit comme une obligation contractuelle7. Quoi qu’il en soit, la loyauté8, sentiment d’appartenance à l’entreprise et de protection des intérêts de l’entreprise, doit être valorisée au sein et en dehors de l’entreprise. Dans le même ordre d’idées, la loyauté doit être applicable à trois étapes du contrat de travail. Premièrement, pendant l’exécution du contrat, ceci est une disposition de l’article L. 1221-19 du Code du travail. Deuxièmement, après l’exécution du contrat, ceci s’observe généralement dans le cadre des relations où le salarié s’est trouvé dépositaire des informations confidentielles10, on évoquera l’obligation de non-concurrence pendant une durée bien définie après la fin du contrat. Troisièmement, durant la suspension de l’exécution du contrat tel qu’illustré dans le cas d’espèce et rappelé par la Cour de cassation dans les arrêts précédents11 en ces termes : « l’obligation de bonne foi12 n’est pas suspendue pendant l’absence du salarié pour maladie ».

7. Finalement, peut-on dire que l’obligation de loyauté du salarié n’est pas limitée dans le temps ? La problématique de la durée de l’obligation de loyauté nous permet plutôt de noter, au regard de certaines difficultés observées dans les relations de travail, que la réminiscence de l’obligation de loyauté apparaîtrait essentielle pour toutes les parties contractantes. D’une part, cette obligation viendrait rétablir le déséquilibre de force dans les rapports salarié/employeur au vu des divers pouvoirs de l’employeur13. D’autre part, cette obligation viendrait revivifier la bonne foi dans l’exécution du contrat au vu des quelques comportements inacceptables des salariés14.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. soc., 20 févr. 2019, n° 17-18912.
  • 2.
    V. Guislain V., « La bonne foi, notion régulatrice des relations de travail », JSL 2014, n° 358.
  • 3.
    Cass. soc., 10 mai 2001 : Bull. civ. V, n° 159 – Cass. soc., 25 févr. 2003 : Dr. sociétés 2003, p. 275 – Cass. soc., 3 avr. 2007, n° 05-45123.
  • 4.
    Le lien de subordination est un élément caractéristique du contrat de travail.
  • 5.
    Héas F., Droit du travail, 2013, Larcier, Paradigme, p. 253.
  • 6.
    Coeuret A., Gauriau B. et Miné M., Droit du travail, 3e éd., 2013, Dalloz, n° 293.
  • 7.
    Teyssié B., Cesaro J.-F. et Mariton A., Droit du travail. Relations individuelles, 2014, LexisNexis, n° 536.
  • 8.
    Corrigan-Carsin D., « Loyauté et droit du travail », in Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, 1995, Economica, p. 125 ; Bossu B., « Loyauté », in Les notions fondamentales du droit du travail, 2009, Panthéon-Assas. Rappelons qu’elle incombe autant au salarié qu’a l’employeur (dirigeant).
  • 9.
    « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».
  • 10.
    Del Sol M. et Lefranc-Hamoniaux C., « Protection de l’information confidentielle acquise par les salariés et leurs représentants », JCP S 2009, 1666.
  • 11.
    Cass. soc., 16 juin 1998 : JCP 1998, II 1014, note Corrignan-Carsin D. – Cass. soc., 4 juin 2002 : D. 2002, IR, p. 2027.
  • 12.
    Vigneau C., « Bonne foi et exécution du contrat de travail », Dr. soc. 2004, p. 706.
  • 13.
    L’employeur possède le pouvoir de direction, le pouvoir réglementaire et le pouvoir disciplinaire.
  • 14.
    L’absence des salariés pour des arrêts-maladies peu ou pas justifiés.
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