Une rentrée sociale très chargée pour l’Association nationale des DRH
En cette rentrée 2019, la marmite des DRH bouillonne de sujets très chauds : mise en œuvre des co-contrats, suppression de la procédure d’enregistrement des contrats d’apprentissage, réforme des retraites et de l’assurance-chômage, changement dans le financement de la formation professionnelle, fin de la mise en place des CSE, redéfinition de la place des CEP, projet de loi sur la dépendance, légitimité du barème Macron (prud’hommes), Code du travail numérique d’ici le 1er janvier 2020… Leur programme s’annonce chargé pour les mois à venir. L’ANDRH, sur tous les fronts, a choisi, lors de sa conférence de presse du 10 septembre, de faire le point sur quatre priorités.
« Le président de la République, Emmanuel Macron n’échappe pas à la règle : comme tous les présidents, il aura tenté lui aussi de réformer les retraites et l’assurance-chômage », est sur ce bon mot que Jean-Paul Charlez, directeur général des ressources humaines du groupe Etam et président de l’ANDRH, a introduit les festivités de la rentrée de l’Association. Au programme, accompagné de Benoît Serre et d’Audrey Richard, tous les deux vice-présidents, il a développé les axes de réflexion lancés par l’ANDRH.
L’emploi des seniors au cœur des préoccupations
« La réforme chômage nécessite d’être remise dans la perspective du marché du travail qui ne cesse d’évoluer depuis la loi El Khomri, soit depuis deux ans et demi », a précisé Benoît Serre. Ce dernier a été clair : la juxtaposition de réformes (retraite et chômage) brouille les pistes et conduit à un « mélange explosif », qui, estime-t-il, ne prépare sans doute pas idéalement au marché du travail de demain. « Chaque réforme prise séparément est cohérente et présente des avantages, mais ensemble, elles sont explosives et pas forcément adaptées au monde de demain, en pleine évolution, loin du mythe du CDI, des carrières de longs termes au sein d’une même boîte, et à l’heure des « slashers », du télétravail et de la révolution numérique ».
Sur la réforme de l’assurance-chômage, qui a eu certes lieu au cœur de l’été, il remarque avec étonnement l’absence générale de réactions suscitées, alors même qu’elle crée désormais des « conditions assez nouvelles et différentes, se basant sur le principe de dégressivité ». « Couplée à la réforme des retraites, le mélange est explosif. « Puisque en France, la rémunération est principalement basée sur l’ancienneté, ceux qui seront touchés le plus par la dégressivité sont les plus âgés. À peine sortis de cette problématique, ils devront affronter la réforme des retraites », s’inquiète-t-il. Ces conditions nouvelles « confèrent une sorte d’obligation aux entreprises de conserver plus longtemps leurs salariés seniors, or la France reste le plus mauvais élève européen, avec un taux d’emploi des seniors de seulement 55 %, contre 68 % au Royaume-Uni et 63 % chez le voisin allemand ». On évoque même un « paquet dramatique pour les gens entre 59 et 64 ans », qui ne pourront plus faire le lien entre la fin de leur carrière professionnelle et le début de leur droit à la retraite.
Affirmer que les « gens peuvent travailler plus longtemps » est une réalité qui se heurte à l’équilibre des régimes. Mais ce n’est pas la réalité des entreprises. Certes, il y a augmentation de la durée du travail et des cotisations, et la dégression des niveaux de rémunération, « mais en attendant le système renvoie aux entreprises la responsabilité de faire travailler les gens plus longtemps. Or les entreprises ne savent pas le faire » ! Constat lucide, dans un monde « où les plus de 45 ans sont déjà considérés comme des seniors », alors qu’ils ont encore 20 ou 25 ans de carrière devant eux !
À ses yeux, d’ailleurs, le problème est davantage social que purement économique. « Quand un senior perd un emploi, on estime que trois générations sont impactées : la leur, celle de leurs parents et celle de leurs enfants ». À part quelques déclarations d’intention, « combien de temps va-t-on accepter que 45 % des seniors soient au chômage, alors que lorsque les jeunes souffraient d’un chômage massif, les pouvoirs publics ont su prendre des mesures obligatoires contraignantes ». L’emploi des seniors, vraie cause nationale ? D’où une proposition phare, sortie en avant-première lors de la conférence de presse, avant même la consultation des adhérents ou des politiques, de « la création d’un index emploi des seniors », qui permettrait de créer un « élément de surveillance » des entreprises, quitte à rencontrer quelques résistances face aux instances opérationnelles devant le rajout d’une contrainte supplémentaire. Mais n’est-il pas nécessaire de passer par des mesures de « discriminations positives » face au rejet subi par les seniors ?, a suggéré Jean-Paul Charlez. « C’est notre responsabilité de citoyen et de DRH », de mettre un coup d’accélérateur. Car les différentes réformes en cours sont interdépendantes. « La réforme des retraites appelle également des incitations fiscales plus significatives pour les entreprises, afin d’encourager la généralisation des dispositifs d’épargne salariale et de trouver une forme de compensation à la baisse attendue des pensions », rappelle l’ANDRH.
L’égalité femmes-hommes : trop tôt pour faire le bilan
Audrey Richard a, quant à elle, exposé les avancées en termes d’égalité professionnelle, notamment depuis la mise en place de l’index, en mars dernier, pour lequel les entreprises qui obtiendront moins de 75 points seront pénalisées. S’il est trop tôt pour dresser un bilan comptable et que les chiffres avancés par l’Apec dans sa dernière étude (publiée en mars 2019) montrent que les inégalités se creusent entre femmes et hommes et que les femmes cadres voient leurs salaires stagner tandis que leurs homologues masculins continuent de gagner davantage, des politiques volontaristes ont commencé à être mis en place.
« Cet index nous permet, à nous DRH, d’avoir un impact. Car oui, on œuvre individuellement dans les entreprises, mais les entreprises bougent encore peu sur ces questions. Il faut donc gagner en efficacité en passant à un travail collectif ».
Les chiffres issus de la mission Leyre, à laquelle l’ANDRH a participé en mobilisant ses adhérents sur le développement et l’étude d’impact de l’index de mesure des écarts salariaux femmes/hommes montrent l’étendue des efforts à fournir : « 3 % des entreprises de + 1 000 salariés étaient en situation d’égalité, tandis que des efforts restent à faire dans 97 % des entreprises ! », a souligné Audrey Richard. 16 % des entreprises se trouvent même en « alerte rouge » avec des différences de salaires, une inégalité dans les attributions de promotions…
Audrey Richard a beau reconnaître que les progrès sont trop lents, elle a relevé des avancées non négligeables. « Au sein de la Commission nationale sur l’égalité et la diversité, nous avons travaillé à des actions pour entrer dans la norme » : en premier lieu, la présence de femmes dans les conseils d’administration, suite à la loi Coppé-Zimmerman (2011), véritable sujet de satisfaction. La part des femmes a également augmenté dans les comités exécutifs, là où d’ailleurs « les DRH peuvent exercer une influence en dressant une shortlist mixte », en « travaillant sur des plans de succession mixtes », en « mettant en avant les talents féminins ».
Pour lutter contre les stéréotypes de genre, « nous estimons qu’il est important de former les équipes recrutantes » ; de mettre en place du développement personnel, du mentorat, du coaching, afin de faire émerger des « role model » féminins ou d’améliorer certaines compétences comme gagner en visibilité. L’équilibre vie professionnelle-vie personnelle a été pris davantage en compte, avec les impacts sur les rythmes de travail, notamment grâce au télétravail. Sans oublier une contribution au Laboratoire pour l’égalité, qui a pris la forme d’un guide sur les bonnes pratiques autour de l’égalité et de la diversité, afin de « favoriser la transformation de nos organisations ». L’une des solutions est, sans doute, « de lutter contre l’obsession du présentéisme, qui pénalise les femmes », car elles sont encore davantage sollicitées par la sphère familiale (maladie des enfants, réunions après 18h…) », a rajouté Jean-Paul Charliez. Dernière satisfaction : le 24 septembre, l’ANDRH sera auditionnée par le Haut conseil à l’égalité sur la parité dans les instances de gouvernement et de direction des entreprises dans le cadre du futur projet de loi sur l’émancipation économique des femmes.
La formation professionnelle : une baisse de moyens pour les DRH
« En tant que citoyen, je me réjouis de cette réforme de la formation professionnelle et de cette générosité guidée… », mais en tant que DRH, c’est un autre son de cloche que fait entendre Jean-Paul Charlez, car aujourd’hui, « la contribution des entreprises à la formation est devenue une taxe (désormais collectée par l’Urssaf) qui va financer des politiques publiques », analyse-t-il. Avec une telle répartition (30 % destinés à l’alternance des jeunes qui accèdent au marché, 25 % pour le Plan d’investissement sur les compétences, 15 % pour le CPF, 10 % pour l’équation interbranche et 10 % pour les moins de 50 salariés, 10 % pour le CPF de transition…), Jean-Paul Charlez estime « que les entreprises financent la formation des jeunes, des chômeurs, les entreprises de petite taille et la transition professionnelle», alors que les employés sont encouragés à chercher des conseils d’orientation à l’extérieur (vers Pôle Emploi ou l’Apec) tandis que « nous voulons travailler de l’intérieur ».
Sur le CPF, les chiffres ne relèvent pas du franc succès : lancé en 2015, 33 millions de comptes existent, mais seuls 2 millions de dossiers ont été montés cette année, monétarisés et convertis à 15 euros de l’heure.
Face aux critiques, Jean-Paul Charlez l’affirme : la bonne volonté a beau être là, « nous n’avons plus l’argent pour financer la formation ». Comme il l’a rappelé, citant Muriel Pénicaud, « le système n’est pas fait pour l’entreprise mais il faut laisser la main mise aux salariés en matière de formation professionnelle ». Au cœur des réflexions, une vraie dichotomie entre intérêt du salarié et intérêt de l’entreprise. Que signifie augmenter l’employabilité d’un salarié, sa qualification si c’est pour lui offrir un tremplin vers une transition professionnelle ou un poste dans une autre entreprise ? Les DRH pourront-ils être plus « directifs » sur les CPF individuels, en accord avec les partenaires sociaux ? Les formations seront-elles utiles, et utilisées pour augmenter en compétences au sein de l’entreprise ou favoriser les transitions professionnelles ? « Je ne suis pas sûr que la somme des intérêts individuels correspondra à l’intérêt collectif », a prévenu Jean-Paul Charlez.
Concernant France Compétences, son président a déclaré que si d’ici 2022, 5 % des salariés utilisaient leur CPF, cela constituerait une victoire. Dès lors la question se pose : « Que faire des 95 % qui ne vont pas y toucher » ?
Une chose est sûre, en cette rentrée sociale chargée, « l’emploi et la compétitivité de leurs entreprises restent la préoccupation première des DRH », rappelle l’association.