Covid-19 : Les pratiques douteuses des compagnies aériennes

Publié le 05/06/2020

Sur fond de crise sanitaire, les compagnies aériennes s’obstinent à imposer à leurs clients des avoirs plutôt que de les rembourser en cas d’annulation de vol. Joyce Pitcher, avocate au barreau de Paris, traite beaucoup de dossiers en droit aérien. Elle rappelle que ces pratiques sont totalement illégales et dénonce l’exploitation par les compagnies aériennes de la détresse de certains passagers. 

Les textes sont clairs : les passagers ont le droit de refuser les avoirs proposés (imposés ?) par les compagnies aériennes en cas d’annulation de leurs vols durant la crise sanitaire. Ces derniers peuvent exiger le remboursement de ces vols.

La crise sanitaire n’a rien changé aux comportements des compagnies aériennes, qui se montrent déjà habituellement très réfractaires à l’application des lois, et obligent souvent les passagers à engager des actions en justice pour faire valoir leurs droits.

La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber des pratiques déjà existantes, mais les conséquences pour les consommateurs en période de crise sont bien plus importantes.

Nous revenons ici sur les fondements des droits des passagers et faisons un état des lieux des comportements observés des compagnies aériennes.

Covid-19 : Les pratiques douteuses des  compagnies aériennes
Photo : ©Carlos Santa Maria/AdobeStock

L’indiscutable droit au remboursement : les compagnies ne peuvent pas imposer des avoirs

Si les passagers peuvent accepter un avoir, nombre d’entre eux se trouvent dans des situations financières telles, que l’obtention d’un remboursement devient une nécessité.

Le fondement de ce droit au remboursement diverge, selon que le vol soit ou non soumis à la règlementation européenne.

– Concernant les vols soumis à la règlementation européenne

Les vols provenant de l’Union Européenne et  ceux à destination d’un Etat membre de l’Union Européenne, sous réserve qu’ils soient opérés par un transporteur européen, sont soumis à l’application du Règlement n°261/2004.

En cas d’annulation de vol, et quelle qu’en soit la cause, ce règlement prévoit l’obligation pour les compagnies aériennes de laisser le choix aux passagers entre : le remboursement du vol ou le réacheminement à titre gratuit des passagers vers la destination prévue.

Le règlement ne prévoit aucunement la possibilité d’imposer un avoir aux passagers, quelle que soit la cause de l’annulation du vol, contrairement à ce que certaines compagnies veulent faire croire aux passagers.

La Commission Européenne est d’ailleurs venue le rappeler à deux reprises. Dans ses premières recommandations en date du 18 mars 2020, elle précisait déjà: “si le transporteur propose un bon, cette offre ne peut pas affecter le droit du passager d’opter plutôt pour un remboursement”.

Par une recommandation du 13 mai 2020, la Commission a pu rappeler :

-d’une part, que “de nombreux passagers et voyageurs ont été touchés par l’impact économique de la crise et ont vu leurs revenus baisser en raison de la réduction de l’activité économique, qui compromet les perspectives tant des employeurs que des travailleurs”.

-D’autre part que les passagers peuvent accepter un avoir mais qu’ils doivent avoir le choix entre le remboursement et l’avoir.

Le droit au remboursement est donc incontestable pour les vols soumis à l’application du règlement n°261/2004.

-Vols non soumis au règlement n°261/2004

Pour tous les autres vols, qui n’entreraient pas dans le champs d’application du règlement précité, il convient de se tourner vers les conditions générales des compagnies aériennes, ou les dispositions nationales applicables.

Il convient de rappeler que la loi française pourra tenir à s’appliquer dans de nombreux cas, même lorsque la compagnie aérienne a choisi d’indiquer une autre loi applicable dans ses conditions générales.

Les passagers seront alors fondés à réclamer le remboursement des vols annulés et des frais supportés en conséquence, du fait de l’inexécution contractuelle, bien que celle-ci soit due à une force majeure.

En effet, la prestation n’ayant pas été exécutée, les passagers ont bien un droit au remboursement de leur vol.

Enfin, il est important de noter que les passagers pourront également solliciter le remboursement des frais supportés du fait de l’annulation du vol (restauration, hébergement, transport).

Covid-19 : Les pratiques douteuses des  compagnies aériennes
Photo : ©vegefox.com/AdobeStock

 Pratiques contestables des compagnies aériennes

Certaines compagnies aériennes tentent encore aujourd’hui, de faire croire aux passagers qu’ils seraient contraints d’accepter des avoirs, ou profitent de la situation pour augmenter le prix des billets retour.

Ces pratiques sont totalement abusives et visent à manipuler les consommateurs, ainsi qu’à les décourager de toute action en justice.

Nous faisons ici un tour d’horizon des pratiques observées :

-Concernant l’obligation de réacheminement :

De nombreuses compagnies laissent leurs passagers trouver par eux-mêmes des solutions de retour et certaines personnes sont encore bloquées à l’étranger. Les compagnies pratiquent des prix exorbitants ; les passagers qui se trouvent contraint de trouver des solutions de réacheminement par eux-mêmes doivent débourser plusieurs milliers d’euros pour rentrer en France.

Nous avons également pu observer que certaines compagnies profitaient des situations de détresse : un passager bloqué dans un aéroport s’est vu proposer un retour à un prix totalement aléatoire ; en indiquant qu’il ne disposait que d’une certaine somme d’argent sur son compte, la compagnie a accepté de lui vendre un billet pour cette somme-là (déjà bien supérieure aux prix habituels).

Enfin, certaines compagnies ont pu effectivement proposer un réacheminement à leurs passagers, mais à titre onéreux et à des prix totalement excessifs, en ne laissant aucun choix aux passagers (3.500 euros pour rentrer d’Asie, 4500 euros pour rentrer de Dakar…)

 -Concernant le droit au remboursement : encore aujourd’hui, les passagers peuvent lire en réponse à une demande de remboursement : « si le règlement européen 261/2004 applicable en l’espèce, prévoit en temps normal, la possibilité de choisir entre un remboursement et un avoir en cas d’annulation, son considérants 14 prévoit que toutes les obligations du transporteur, y compris celle qui concerne un remboursement, peuvent être limitées en cas de circonstances exceptionnelles telle qu’une épidémie mondiale sans précédent. Dans ces conditions, nous vous offrons dans un premier temps un avoir […]»

Cette affirmation est erronée et mensongère. Elle a pour seul objectif de manipuler les consommateurs qui doutent de leurs droits du fait du manque d’information. Ces pratiques doivent être condamnées.

 Si l’on entend beaucoup parler de la situation financière des compagnies aériennes, celle des consommateurs est plus rarement évoquée. De nombreuses personnes sont toujours bloquées à l’étranger par manque de moyens. L’une de nos clientes a vu son stage à l’étranger annulé et a été contrainte de rentrer en France. Après deux annulations de vols et 4100 euros dépensés à l’aide de la participation financière de son entourage, celle-ci se voit contrainte d’emprunter de l’argent pour payer son loyer.

Les compagnies aériennes doivent prendre leurs responsabilités et appliquer la loi.

 

 

 

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