Jean-Philippe Dugoin-Clément : « Refuser de construire est un acte antisocial » !

Publié le 05/10/2023

Se loger n’a jamais été aussi cher et les prix pourraient bien continuer à monter. Or l’impossibilité d’accéder à un logement risque fort de provoquer une crise sociale, prévient Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire de la commune de Mennecy, dans l’Essonne (91), et vice-président de l’association des maires d’Île-de-France. Dans son essai L’Habitat fait le citoyen, le logement entre crise sociale et crise environnementale, l’édile ne se contente pas d’alerter. Il fait des propositions concrètes pour sortir de la crise du logement et invite à cesser d’opposer construction et écologie. Un texte stimulant. Rencontre.

Actu-Juridique : Vous écrivez que le logement est une « bombe à retardement ». Pourquoi ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément : Le logement est le premier poste de dépense captif des Français. Sur les dernières décennies, il a augmenté plus rapidement que les revenus, particulièrement pour les classes populaires et moyennes. C’est un élément de renforcement des inégalités sociales et de compression du pouvoir d’achat. Le logement est trop cher et son coût risque d’augmenter encore, que l’on parle de location ou d’accession à la propriété. Cette augmentation du coût du logement, alors même qu’il est déjà trop important n’est pas, à mon sens, suffisamment anticipé et peut provoquer une nouvelle crise. C’est un élément de fragilisation sociale majeure.

AJ : Pourquoi le prix du logement devrait-il augmenter ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément : La raison est simple : on produit trop peu de logements accessibles ou sociaux. Et ceux que l’on produit coûtent de plus en plus cher. Les normes de construction, imposées pour de bonnes raisons, augmentent les prix de production, année après année. Le coût des matériaux augmente également : il a explosé après la crise sanitaire du Covid et a de nouveau augmenté en raison de la guerre en Ukraine. À cela s’ajoute un retour à des taux d’intérêt supérieurs à 3,5 %, qui sont des taux normaux à l’échelle des 30 dernières années. Pendant plusieurs années, les taux d’intérêt s’élevaient à moins de 1 % : c’était historiquement bas. Cette situation exceptionnelle ne devrait pas revenir à court terme. À tous ces facteurs qui provoquent une augmentation du coût du logement s’ajoute une raréfaction du foncier, qui découle de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols. Cette ambition, souhaitable d’un point de vue environnemental, implique l’arrêt de la construction en extension urbaine, au profit de la recomposition urbaine. Or construire sur un terrain pollué ou réhabiliter une friche industrielle coûte plus cher et prend plus de temps que d’étendre la ville. Dernier facteur de raréfaction de l’offre de logement : les nouvelles ambitions de rénovation énergétique. Sortir les passoires énergétiques du secteur locatif revient à sortir du parc locatif des dizaines de milliers de logements, à commencer par les chambres de service situées dans les derniers étages des immeubles haussmanniens, qui servaient traditionnellement de logement étudiant. Dans ce contexte, les personnes aisées arriveront toujours à se loger. En revanche, celles de la classe moyenne risquent de se loger de moins en moins bien. Ces dernières sont déjà confrontées à la forte augmentation des charges de chauffage, l’électricité ayant encore augmenté de 10 % durant l’été. Ces éléments cumulés constituent un terrain de crise majeure à laquelle on n’apporte pas de réponse. Ce constat, peu réjouissant, est largement partagé par les acteurs du logement : bailleurs sociaux, promoteurs privés, aménageurs et architectes, banques et associations.

AJ : Le débat sur le logement est-il confisqué ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément :  On en parle trop peu, pour des raisons politiques d’abord. Nous vivons dans une démocratie communicationnelle, qui exige des messages simples, des slogans, des punchlines. Or pour expliquer la crise du logement, il faut prendre le temps de détailler un grand nombre de mesures techniques. Ce n’est pas vendeur. D’autre part, le logement est vu à travers un prisme financier libéral. On considère que le marché va s’auto-réguler. Enfin, c’est un secteur où l’État pense faire des économies. Pourtant, le logement conditionne ce que l’on est, comme l’explicite le sous-titre de mon livre, L’Habitat fait le citoyen. Les enfants qui grandissent dans un pavillon n’ont pas les mêmes chances de réussite que ceux qui se tassent dans un trois-pièces. Avec l’Éducation nationale, la politique de logement est la seule politique qui à mes yeux conditionne ce que l’on devient. Pourtant, le logement comme source de cohésion sociale n’est jamais évoqué.

AJ : Comment sortir de cette crise ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément : Des solutions existent. Le Conseil national de la rénovation logement, lancé en novembre 2022 sous l’égide du ministère de la Ville et de celui de la Transition écologique, restera comme le pire exercice de politique publique sur le logement. Pendant des mois, on a mobilisé 200 personnes qui ont fait des propositions, dont certaines assez proches de celles que je formule. Aucune n’a été retenue et le budget de l’État en matière de logement a finalement été réduit de 4 milliards à l’issue de ces travaux. Dans mon livre, je formule une vingtaine de propositions, dont certaines ne coûteraient rien à l’État. Par exemple, plafonner le coût du foncier ou faire porter les emprunts immobiliers sur les biens et non sur les acquéreurs, comme cela se fait en Suisse… Je pense qu’il faut également encourager la modularité des bâtiments. Je souhaiterais qu’on impose, dès le stade du permis de construire, qu’un bâtiment puisse évoluer et changer d’usage. Qu’un logement puisse muter en bureau ou en local d’activité d’artisanat, et inversement. Que l’on prévoie également, dès la conception, qu’un bâtiment puisse supporter une surélévation. Sans cela, il faudra peut-être un jour le détruire et le reconstruire : une aberration écologique.

AJ : Pourquoi invitez-vous à réhabiliter la figure du « maire bâtisseur » ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément : En tant que maire de ma commune et vice-président des maires d’Île-de-France, je suis bien placé pour voir que les maires ne sont plus incités à construire. La taxe d’habitation était le moteur de la construction : les nouveaux habitants amenaient de nouvelles taxes permettant de financer de nouveaux services. Sans taxe d’habitation, il n’y a plus de lien dynamique entre la construction et la pérennité des recettes des communes. Mécaniquement, il n’y a plus d’intérêt financier objectif à construire. En dix ans, on est, en outre, passé de l’image positive de maire bâtisseur à l’image négative du maire bétonneur et écocide. Aujourd’hui, un maire qui lance un programme de construction sait que cela ne ramènera pas d’argent à sa commune et qu’on va, en plus, l’accuser de contribuer à la fin du monde. Il faut, d’une part, recréer un lien dynamique entre constructions et finances des communes et porter au niveau national un autre discours. Plus de 4 millions de personnes sont mal logées dans le pays. Il y a quasiment 10 ans d’attente pour un logement social en Île-de-France. Refuser de construire, dans ce contexte, est l’acte antisocial par nature. Ne plus construire, c’est condamner les classes populaires et les classes moyennes. Il ne faut pas cesser de construire, mais mieux construire : de manière plus dense, en recyclant, en récupérant des matériaux. Il faut évidemment se soucier de l’environnement, mais on ne peut pas porter l’écologie au détriment de la construction. Malheureusement, ce discours n’est pas porté aujourd’hui, ni par les politiques ni par les médias, qui ne montrent pas assez les gens qui dorment dans leur voiture ou les mères de famille qui, après un divorce, retournent vivre chez leurs parents faute de pouvoir se loger.

AJ : Vous présentez la région Île-de-France comme un modèle d’urbanisme. Pourquoi ?

Jean-Philippe Dugoin-Clément : Paris est une des capitales les plus denses au monde. L’étalement urbain est faible en Île-de-France, région qui représente 31  % du PIB national pour 4  % de l’artificialisation des sols. Il y a certes des quartiers difficiles, mais d’autres dans lesquels on vit bien. Les immeubles haussmanniens, du fait de leur accessibilité et leurs possibilités d’aménagement des parties communes, sont totalement réversibles. Le modèle haussmannien, inventé au XIXe siècle, reste efficace aujourd’hui.

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