« Le mal-logement a des conséquences majeures sur l’ensemble de la vie » !
En mars dernier, le prix de l’innovation en économie sociale et solidaire, chapeauté par la Fondation du Crédit coopératif, remettait 42 récompenses à des initiatives régionales. Parmi elles, l’association Droits et Habitats qui œuvre dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Nous avons discuté avec deux de ses membres, Violette Volson, sa directrice, et Charlotte Mallet, chargée de mission à l’association Droits et Habitats, afin d’aborder la complexité des questions liées au mal-logement.
Actu-Juridique : Pouvez-vous décrire ce que fait votre association au quotidien ?
Violette Volson : Nous aidons les personnes qui ont des difficultés de logement, qui vivent dans des logements inadaptés à leur situation, très chers et souvent dégradés, des personnes qui sont en situation de mal-logement, d’habitat indigne, des personnes confrontées à une menace d’expulsion, (elles aussi vivant dans des logements inadaptés), ou des personnes hébergées dans des conditions précaires d’hébergement comme à l’hôtel.
Dans le XVIIIe arrondissement, où nous agissons, nous aidons 600 personnes par an et nous sommes 6 salariés. Nous avons donc beaucoup de travail. Nous avons de nombreux liens avec les services sociaux de la mairie du XVIIIe, des médecins, des écoles, d’associations de quartier. Le bouche-à-oreille joue aussi. Beaucoup de gens qui passent par la mairie du XVIIIe sont orientées vers notre association. Nous essayons d’accompagner les personnes qui en ont le plus besoin, sachant que notre accompagnement se fait sur le long terme. Cela implique une mobilisation de la personne, qui va revenir en rendez-vous, aux permanences. Avant tout, c’est une personne qui se mobilise pour ses démarches et pour que sa situation évolue.
Nous allons l’accompagner, l’orienter, la guider, faire le lien avec les partenaires, les avocats, les services de la ville, de l’État, etc. et pour éviter qu’il y ait une expulsion, nous activons tout ce qui peut être activé pour que les choses se passent le mieux possible.
Mais cela reste long et compliqué pour les gens, c’est un parcours du combattant.
Ceux qui viennent nous voir le font en ultime recours. Leur demande idéale, c’est d’accéder au parc social, mais c’est une demande qui est très longue.
Actu-Juridique : Comment explique-t-on cette si longue durée des délais ? Et dans quel état d’esprit viennent vous voir les personnes dans le besoin ?
Charlotte Mallet : Sur l’état d’esprit des personnes, nous pouvons dire qu’elles sont fatiguées. L’absence de logement décent, le stress continu de l’expulsion, cela a des conséquences sur le plan social, de la santé, de l’éducation… Il est assez impressionnant de voir comment cela peut impacter les personnes. Les gens qui viennent nous voir ont lancé un certain nombre de démarches depuis des années, certains sont reconnus Dalo (v. Loi droit au logement de 2007, NDLR). Plein de choses ont été faites, mais ils n’ont jamais reçu de propositions de logement social ou n’ont pas vu leur dossier accepter par les bailleurs à cause de l’absence de logements sociaux adaptés à leurs ressources ou à leur structure familiale. Ce sont des gens qui ont des profils et des parcours différents, qui ont des parcours de vie très variables. Ils sont donc fatigués de toutes ces démarches, ils ne comprennent pas pourquoi ça prend autant de temps. Notre rôle est aussi de leur expliquer pourquoi.
Par ailleurs, ce ne sont pas nécessairement des gens éloignés du droit, mais des gens qui viennent nous voir en dernier recours car ils ont le sentiment d’avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir.
Actu-Juridique : Et sur le délai de proposition de logement ?
Violette Volson : Nous évoluons sur le territoire le plus tendu de France ! Nous faisons face à une pénurie de logements sociaux. Les logements intermédiaires ou les logements sociaux liés aux classes moyennes sont moins soumis à des tensions. Mais pour les logements sociaux destinés aux revenus les plus modestes, on a vraiment pris beaucoup de retard. C’est la raison principale de ces délais, mais cela se conjugue avec le fait que le parc privé décent est totalement inaccessible pour les personnes qu’on accompagne, donc ils vont accepter de louer des logements dans des états terribles, à des prix prohibitifs.
Actu-Juridique : Vous parlez là des marchands de sommeil…
Violette Volson : Le business des marchands de sommeil se base sur cette pénurie pour louer des logements qui n’en sont pas ou n’ont jamais été entretenus. Parfois, ils achètent sans même avoir vu les logements, il s’agit juste de les acheter pour faire de l’argent, sachant qu’il y aura toujours quelqu’un pour les louer. D’ailleurs on a parfois une image du marchand de sommeil qui possède plusieurs immeubles, mais parfois il y a juste des propriétaires qui possèdent un ou deux appartements et qui les louent dans des états absolument dégradés. Ce ne sont pas forcément que des gros propriétaires, mais aussi des gens lambda.
Actu-Juridique : Pouvez-vous revenir sur les conséquences multiples du mal-logement ?
Charlotte Mallet : Une grande partie de notre accompagnement va être d’investir d’autres plans que le logement car parler du logement, c’est aborder la situation de la personne dans sa globalité. Cela nous entraîne à envisager plein d’aspects de la vie des gens. L’altération de la santé physique et psychique est l’un des effets principaux du mal-logement, les gens ont pu développer des problèmes respiratoires. Le stress altère l’équilibre psychique. Au fur et à mesure que leur situation de mal-logement s’aggrave, le risque de dépression augmente.
Cela signifie aussi avoir des difficultés à trouver un travail. C’est un facteur d’isolement. Pour les enfants, cela veut dire l’incapacité de faire les devoirs dans de bonnes conditions. Pour celles et ceux qui sont logés à l’hôtel, il peut ne pas y avoir de cuisine, donc pas de possibilité de manger correctement ou d’être autonomes. Parfois les toilettes/douches sont sur le palier. Cela représente beaucoup de contraintes au quotidien.
Le pendant de tous ces aspects, c’est que des femmes qui doivent quitter leur logement précipitamment, comme lorsqu’il y a des violences, sont encore plus fragilisées : recevoir la proposition du parc social peut prendre du temps. Quand il y a des violences, il existe quelques possibilités d’accélérer les choses mais encore faut-il être accompagné et connaître ces dispositifs. Il y a donc aussi ces personnes qui vivent des violences et qui restent dans ces situations car elles savent que cela reste très compliqué d’être logé ailleurs.
Violette Volson : Le logement, comme refuge dans sa fonction première, fait vraiment défaut dans la vie des gens qu’on accompagne. Rentrer chez soi est une épreuve. Avoir honte de chez soi, se sentir mal chez soi, être malade ou en situation d’insécurité chez soi. Quand le chez soi rend malade, empêche de s’épanouir, d’avoir un travail, toutes ces fonctions sont tellement importantes et sont manquantes pour les personnes mal-logées.
Actu-Juridique : Vous parlez du logement comme d’un refuge. Dans quelle mesure le confinement a-t-il eu un impact sur les personnes que vous accompagnez ?
Violette Volson : Il y a un traumatisme du confinement chez les personnes qu’on accompagne, car elles n’avaient plus d’échappatoire au logement au sein duquel elles se sentent mal. Ce trauma reste. Pour les femmes victimes de violences conjugales, cela a été terrible.
Charlotte Mallet : Pour les enfants, il y a eu des problèmes de décrochage car il y avait une mauvaise connexion internet, des conditions de travail pas adaptées pour faire des devoirs ou simplement l’impossibilité de se reposer. Nous sommes face à des familles qui vivent en situation de suroccupation. Déjà en temps habituel, la vie quotidienne est difficile mais là, en plein confinement, ces familles se sont retrouvées dans un tout petit logement, sans luminosité, sans espace. Cela n’a pas créé la situation mais cela l’a aggravée.
Une certaine partie du public que l’on accompagne occupait des emplois précaires, (intérim, CDD) et a perdu leur travail, donc on eut du mal à payer leur loyer…
Violette Volson : Je crois que les conséquences sur les enfants sont moins visibles, mais la situation est très préoccupante pour ces enfants très mal logés qui se sont retrouvés enfermés, dans un climat de tension voire de conflits familiaux exacerbés par la promiscuité – les gens que nous suivons vivent dans 1 ou 2 pièces. Les enfants n’ont pas vraiment d’espace pour le dire, y compris concernant les conséquences sur leur scolarité. De ne pas pouvoir se reposer.
Charlotte Mallet : Il est très compliqué de grandir, de se construire, de suivre à l’école quand on n’a pas d’espace, quand il n’y a qu’une chambre partagée avec les parents, avec toutes les autres difficultés qui s’accumulent. Ce n’est pas une vie sereine.
Actu-Juridique : Concrètement, quand vous parlez de suroccupation, cela veut dire combien de gens logés dans quelles surfaces ?
Violette Volson : Ce sont rarement des logements qui vont au-delà de 20-25 m² partagés à 3 ou 4, mais il y en a aussi avec plus de personnes dans 15 m². C’est une moyenne, mais il n’y a jamais plus d’une chambre.
Charlotte Mallet : Cela peut être la même chose pour les chambres d’hôtels, des gens peuvent vivre à 5 dans 10 m². Les situations peuvent être très extrêmes.
Actu-Juridique : Combien de temps dure le travail de l’association ? Faites-vous face à une déperdition de gens fatigués ?
Violette Volson : On est autour de 150 relogés par an. La plupart des gens s’accrochent, on n’en perd en route qu’une toute petite minorité. Le temps d’accompagnement dépend de la personne, de son âge, de sa situation, de ce qu’elle a déjà entrepris comme démarche auparavant. Cela peut prendre quelques mois ou plusieurs années. Parfois, le délai n’a pas de logique : pourquoi telle famille obtient un logement alors que telle famille attend depuis des années ? C’est extrêmement varié. Mais en moyenne, on est autour de 1 an et demi.
Charlotte Mallet : Certaines personnes vont être suivies un mois, d’autres plusieurs années. C’est aussi en fonction du planning de proposition de logement. Parfois, il va falloir pousser, pousser pour que la famille ait une proposition alors que pour nous, la situation nous semble assez claire.
Actu-Juridique : Constatez-vous des améliorations législatives encourageantes ?
Violette Volson : Je pense que l’arsenal législatif existe. Le problème, c’est la pénurie de logements sociaux et tout ce que cela engage derrière en démarches et en temps et pour obtenir la condamnation d’un marchand de sommeil. Mais la loi Dalo a permis à beaucoup de gens d’être reconnus prioritaires, de faire reconnaître leur droit au logement.
Charlotte Mallet : Évidemment, il faudrait davantage de logements de sociaux, mais il faudrait aussi mieux former les magistrats et magistrates, que ce soit un contentieux qui soit plus valorisé dans le cadre des procédures d’expulsion, par exemple, qu’il y ait vraiment davantage de moyens et de considération pour ces problématiques. C’est ce que nous constatons au quotidien plus qu’un manque dans l’arsenal législatif.
On se sent parfois un peu coincer car les choses avancent trop doucement, surtout quand on est face à l’urgence de la situation des gens qu’on accompagne. Le logement et les politiques du logement ne sont pas suffisamment considérés, alors que c’est un enjeu majeur en France, au regard des questions sociales, mais aussi écologiques… Beaucoup de problématiques se rejoignent au niveau du logement.
Actu-Juridique : Vous pensez par exemple aux passoires thermiques, au froid de l’hiver ?
Violette Volson : C’est systématique quand on parle de mal-logement. Il y a éventuellement un chauffage d’appoint, mais pas de ventilation, cela entraîne des dégradations du logement mais aussi de l’état de santé. Tous les enfants des familles que nous accompagnons ont développé de l’asthme, des bronchiolites à répétition.
Charlotte Mallet : Ce sont des logements où il n’y a pas ou peu de systèmes de ventilation. Mais quand un logement est mal isolé, les factures d’électricité sont astronomiques et cela devient encore plus dur pour des gens en situation financière précaire.
Actu-Juridique : Comment mieux former les magistrats ?
Charlotte Mallet : Ce sont des choses dont on parle avec d’autres associations, on essaie de faire remonter nos constats. Mais le mode de financement des moyens de la justice joue en notre défaveur. On travaille aussi avec un réseau d’avocats et d’avocates, avec lequel on peut essayer de nouvelles procédures. Parfois, on se dit qu’il y a quelque chose à explorer, une nouvelle stratégie, en collaboration avec ces avocats.
Violette Volson : Ces avocats sont sensibilisés sur les sujets de précarité énergétique ou quand les personnes ont contracté avec une dette, ils peuvent réexpliquer les conséquences du mal-logement, ce qu’est la situation du logement à Paris, montrer que la personne a fait toutes les démarches et a déposé une demande de logement… Il faut que les magistrats aient en tête tous ces éléments, toutes les difficultés rencontrées par la personne. Une dette de loyer en soi, qui peut recouvrer d’autres réalités, doit être contextualisée quand elle s’inscrit dans une problématique de mal-logement.
Actu-Juridique : Que représente ce premier prix régional de la Fondation du CC sur l’ESS que vous avez remporté ? Que va-t-il vous apporter ?
Violette Volson : Le prix va nous permettre de mettre en place une nouvelle action, axée pour les femmes victimes de violences conjugales, en leur donnant un accompagnement renforcé, tout en restant dans notre domaine de compétences, c’est-à-dire l’accès au logement, afin qu’elles soient prioritaires.
Charlotte Mallet : Cet enjeu a émergé dans notre travail à l’association courant de l’année dernière. Il y a eu des situations de femmes victimes de violences et vis-à-vis desquelles on a pris conscience de tous les obstacles. Les gens viennent nous voir pour des problématiques de logements, mais en réalité, on aborde tellement de sujets, que nous avons compris que nous pouvions être identifiées comme un espace de parole. Certaines femmes ont confié qu’elles étaient victimes au sein de leur foyer mais pour partir, elles ont énormément de freins économiques et sociaux. Nous avons contacté des partenaires, des associations qui travaillent sur ces questions. Nos salariés ont suivi des formations pour articuler le droit au logement et les violences conjugales.
J’arrive avec un parcours en droit mais aussi en sciences humaines. J’ai proposé à Violette de déposer un dossier pour mener une recherche-action de thèse. Nous allons donc déposer un dossier auprès de l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) pour une Cifre (convention tripartite entre charlotte en tant que doctorante, un laboratoire de recherche et l’association).
Je mènerai donc cette recherche pendant trois ans et à côté de cela, j’accompagnerai principalement des femmes victimes de violences et des femmes constituant des foyers monoparentaux, en menant des rendez-vous réguliers pour agir rapidement et des permanences collectives où les femmes qui le veulent peuvent échanger sur leur situation. C’est pour cette action que nous avons reçu ce premier financement, qui va nous permettre de poursuivre sur notre lancée.
Référence : AJU005d4