Rapport de synthèse
La question des travaux sur existants, on l’a compris, est étroitement liée à l’importance du patrimoine architectural français et à sa sauvegarde. En vérité la prise de conscience de ce trésor national a été assez tardive, puisqu’il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’architecture du XIXe et du XXe siècle soit prise en compte et protégée en France.
On est effaré de songer que jusque dans les années 1970 à Paris, certains n’hésitaient pas à préconiser la destruction pure et simple de la gare d’Orsay1, de la gare de Lyon et du Grand Palais ! La gare Saint-Lazare, du reste, ne survécu pas à l’urbanisme de l’après-guerre, ni non plus le Palais de Marbre Rose, inspiré du Grand Trianon de Versailles et érigé à la Belle Époque par le dandy Boni de Castellane. Ce palais se situait à l’angle de l’avenue Foch et de l’avenue Malakoff. Il a été remplacé par un immeuble hideux des années 1970…
Mais au-delà des constructions prestigieuses, dont les villes françaises nous offrent encore maints exemples, c’est une infinité d’immeubles anciens de toutes les époques qui font le charme de nos villes de province et dont la restauration et l’entretien constitue désormais un immense marché. Les chiffres cités par Jean-Philippe Tricoire sont à cet égard tout à fait révélateurs : c’est 60 % du chiffre d’affaires du secteur immobilier et 80 % des contrats. C’est dire que le droit de la construction proprement dit, qui focalise toute l’attention des juristes et du législateur, ne concerne en fin de compte qu’un domaine marginal du point de vue statistique et minoritaire du point de vue financier.
On imagine donc à quel point l’énormité de ce secteur d’activité est un gisement d’emplois et d’activités en tous genres, susceptible d’assurer la prospérité d’un nombre considérables d’acteurs économiques : promoteurs, entrepreneurs, ingénieurs en nouvelles technologies environnementales, juristes, architectes, etc. Or on est frappé par l’extraordinaire médiocrité des résultats obtenus en ce domaine et la multiplication des entraves à la fois juridiques et bureaucratiques. Du coup, l’État est amené à se livrer à un interventionnisme permanent et coûteux qui engloutit des milliards d’euros. Crise du logement, politique de la ville inadaptée, instabilité maladive et chronique de notre droit de l’urbanisme qui a bien connu une quinzaine de réformes depuis l’an 2000, réformes frénétiques qui ne font que s’ajouter à toutes celles des dernières années du XXe siècle. La dernière de ces réformes intempestives étant la loi Alur de triste mémoire, elle-même aussitôt réformée un an plus tard !
Le problème n’est donc pas tant économique et social. Il est d’abord politique et juridique. Les contraintes insupportables qui brident le vaste marché de la restauration des immeubles anciens en France sont liées essentiellement à un État, vorace, instable et trop souvent incompétent. C’est cet État impotent et oppressif qui finit par stériliser ce secteur d’activité.
Les précédentes interventions ont à cet égard montré l’étendue et la gravité de la pathologie. L’auditeur non spécialiste et a fortiori le non-juriste a sans doute été pris de vertige devant l’accumulation « kafkaïenne » de règles à la fois complexes et arbitraires. Nous nous contenterons ici de rappeler les principaux problèmes qui se posent aux praticiens (I) et nous tenterons ensuite de suggérer quelques solutions de bon sens (II).
I – Les problèmes
Ils résultent d’une part de cadres juridiques et administratifs qui laissent fortement à désirer (A) et de l’extrême complexité des questions de responsabilité et d’assurance (B).
A – Des cadres juridiques et administratifs inadaptés
La restauration des immeubles anciens est soumise à un triple ensemble de règles contraignantes : le droit de l’urbanisme, le droit fiscal et le droit privé de la construction. Or les interventions qui ont précédé ont montré à quel point ces règles juridiques étaient devenues arbitraires et souvent inadaptées.
Le droit de l’urbanisme, on l’a déjà dit, constitue désormais un ensemble de règles extraordinairement nombreuses et complexes qui confère à cette matière l’apparence d’un mille-feuille juridique. Cet ensemble est en outre maladivement instable, les réformes se succédant à un rythme déraisonnable en poursuivant souvent des objectifs politiques, voire idéologiques. Du coup, une opération de réhabilitation présente pour un opérateur immobilier un aléa important et suppose de sa part une connaissance parfaite de règles retorses et changeantes. Ce qui impose bien souvent en pratique l’intervention d’un juriste spécialisé.
La législation fiscale, quant à elle, frappe par son caractère arbitraire et pointilliste. Des régimes dérogatoires s’accumulent, des taux réduits sont accordés, des taxes apparaissent, sans que l’on comprenne la logique d’ensemble du système ; d’autant plus que rien ne repose sur des critères précis et prévisibles. Ainsi la distinction entre reconstruction, réparation et amélioration est particulièrement floue et sujette à discussion.
Enfin, le droit privé de la construction contenu dans le Code de la construction et de l’habitation s’est intéressé tardivement aux opérations de rénovation de l’habitat ancien, mais il l’a fait en prenant une orientation erronée en misant sur la surprotection systématique de l’accédant. La loi ENL de juillet 2006 instaurant la vente d’immeuble à rénover, complétée par les décrets tardifs de décembre 2008, a accouché d’un système coûteux et souvent impraticable pour le rénovateur d’immeubles anciens, puisqu’une garantie bancaire de bonne fin, chère et difficile à obtenir pour les petits opérateurs, est obligatoire quelle que soit l’importance des travaux.
Il ressort de tout cela, aux yeux des acteurs économiques, une désagréable impression d’arbitraire, d’extrême complexité des règles, d’instabilité et d’impraticabilité de la règle de droit qui ne peut que les dissuader de s’engager dans ce secteur d’activité… Ou les inciter à la fraude : travaux irréguliers sans autorisation sur les immeubles existants, contournement des règles fiscales, évitement du régime repoussoir de la vente d’immeuble à rénover en procédant au découpage frauduleux de l’opération entre une vente d’immeuble ancien et un contrat de louage d’ouvrage passé avec un comparse… La médiocrité des résultats économiques en ce domaine s’explique donc aisément.
B – Une extraordinaire complexité des questions de responsabilité et d’assurance
Cette extrême complexité en fait un droit d’expert particulièrement mouvant et casuistique ; elle s’explique en grande partie par la conjonction des incertitudes propres à la loi Spinetta du 4 janvier 19782 et des aléas inhérents aux opérations de réhabilitation.
Dès son entrée en vigueur, il y 35 ans, la rédaction approximative de la loi Spinetta a été dénoncée. Le concept de « dommage » est mal défini, l’étendue des garanties biennale et décennale est sujette à discussion, il y a des termes impropres ou maladroits, des oublis, etc. En un tiers de siècle, beaucoup de questions n’ont pas été clairement résolues et la jurisprudence s’est engouffrée dans la brèche législative ainsi ouverte en créant des règles ou des concepts plus ou moins heureux, tel celui de « dommage intermédiaire » ou celui « d’impropriété à la destination contractuelle ». Sans compter des distinctions aussi nouvelles qu’hasardeuses comme celle visant à extraire de la garantie biennale les éléments d’équipement « purement inertes », notion qui n’existe nulle part dans le texte.
De leur côté, les opérations de réhabilitation sont par nature dangereuses et aléatoires car le rénovateur ne connaît jamais avec certitude l’état physique de l’immeuble sur lequel il va devoir greffer des ouvrages nouveaux… De ce point de vue, une comparaison peut être faite avec la restauration des véhicules de collection qui recèle souvent de bien mauvaises surprises ! Une opération simple ou élémentaire en temps normal, c’est-à-dire quand elle prend place dans un processus industriel parfaitement maîtrisé, peut devenir complexe et extraordinairement dévoreuse de temps lorsque l’objet traité a subi les injures du temps. Alors les conséquences juridiques les plus graves en résulteront en termes de responsabilité et d’assurance : qui est responsable de quoi et qui doit assurer quoi ? Telles sont les questions lancinantes que l’on rencontre dans ce genre d’opérations. Ainsi, dans le cas d’un immeuble restauré, quelle est la part de responsabilité que doit assumer le promoteur-rénovateur, quel est le risque exact couvert par l’assurance obligatoire, où commence et où s’arrête la garantie bienno-décennale ? Toutes ces questions épineuses ne sont maîtrisées en France que par une poignée de juristes et d’universitaires de très haut niveau, qui d’ailleurs ne sont pas toujours d’accord entre eux…
La présente journée a par exemple mis en relief trois questions pratiques qui reviennent sans cesse pour empoisonner la vie des professionnels, sans que personne ne puisse apporter de réponse claire et précise : Comment chiffrer les existants ? Comment définir les existants ? Et enfin que doit-on entendre exactement par « droit commun » ? Est-ce le vrai « droit commun » de l’inexécution contractuelle de l’article 1184 du Code civil, le « droit commun » propre aux opérations de construction de l’article 1792-4-3 du Code civil ou le faux « droit commun » pour faute prouvée des « dommages intermédiaires » ? Les opinions divergent…
En somme, compte tenu des contraintes juridiques et administratives, des aléas très importants et des dangers que recèlent les opérations de rénovations, peu de professionnels en France sont prêts à se lancer dans ce domaine d’activité.
Voyons maintenant si la situation est susceptible d’amélioration.
II – Les solutions
Tel un thérapeute, nous devons tenter un diagnostic (A) avant de suggérer un traitement (B).
A – Le diagnostic
Les difficultés rencontrées dans ce domaine économique sont pour beaucoup liées à la nature même des opérations de réhabilitation et aux aléas qu’elles contiennent. Mais loin d’aplanir ces difficultés, on constate non sans amertume que notre actuel système de droit les aggrave comme à plaisir. Pourquoi cette dérive funeste ? Elle tient hélas au déclin du droit légiféré, phénomène déjà entrevu au milieu du XXe siècle par Georges Ripert dans son célèbre ouvrage « Le déclin du droit »3, phénomène qui dépasse évidemment très largement le cadre du présent colloque mais qui a néanmoins un impact direct sur la question traitée.
En deux mots et pour reprendre l’analyse visionnaire de Georges Ripert, le droit français a progressivement été pris en otage par les dérives d’un système politique, la démocratie parlementaire, qui fait de la loi un simple instrument de politique à court terme, dépourvu de cohérence et d’efficacité. Les lois et règlements prolifèrent, changent sans cesse, se contredisent, n’obéissent plus à aucune logique ni juridique, ni économique et le droit dans son ensemble entre en déclin. Échappant à l’autorité du législateur, la jurisprudence prospère sur les ruines de la loi…
En matière de construction et tout particulièrement de réhabilitation, les conséquences sont tout simplement calamiteuses : les réformes incessantes et compulsives ne sont pas dictées par une réflexion juridique et économique de haut niveau mais par la dictature des bons sentiments, les modes médiatiques et la frénésie bureaucratique et fiscale… À cet égard, l’exemple de la législation sur la vente d’immeuble à rénover est particulièrement significatif. Après l’échec de la location-accession en 1984 et l’échec partiel de la réforme du contrat de construction de maison individuelle en 1990, il était facile de comprendre que la logique de la surprotection de l’accédant était une voie sans issue en raison de la charge financière excessive qui en résultait pour les promoteurs. Il aurait donc fallu à tout prix éviter de tomber dans ce funeste travers en créant le régime de la vente d’immeuble à rénover et ne réserver la garantie financière, coûteuse, qu’aux opérations d’une certaine importance où les risques sont significatifs pour l’accédant. Or c’est tout le contraire qui a été fait en rendant obligatoire une telle garantie dans tous les cas de figure, quelle que soit l’importance des travaux à réaliser. Dès lors, il suffit que le vendeur prenne à sa charge quelques travaux de plomberie et de peinture pour qu’une telle garantie s’impose !
Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir qu’une telle bévue aboutirait à stériliser totalement ce secteur et à encourager la fraude, celle-ci résidant, comme on l’a dit, dans le découpage frauduleux de l’opération. Ce qui s’est effectivement produit… L’absence à peu près totale de jurisprudence rendue en la matière depuis 2008, date d’entrée en vigueur des décrets sur la vente d’immeuble à rénover, montre que cette législation excessivement contraignante et inadaptée est systématiquement contournée, quand ce ne sont pas les opérations de rénovations elles-mêmes qui sont boudées par les professionnels de la construction.
Le tableau n’est donc pas réjouissant : le constructeur rénovateur se bat sur tous les fronts dans un environnement juridique et financier hostile : les clients à court d’argent, les entrepreneurs qui veulent limiter au maximum leur responsabilité, les assureurs qui ne veulent rien assurer et rien payer, le droit de l’urbanisme qui multiplie sans cesse les contraintes, le fisc et la bureaucratie qui modifient perpétuellement les règles du jeu. Sans compter la jurisprudence qui se livre à l’expérimentation juridique… Dans de telles conditions, voyons si des solutions peuvent être proposées…
B – Le traitement
Compte tenu du tableau clinique qui a été dressé ci-dessus, le pronostic ne peut être que réservé. L’étiologie de la maladie, à savoir le déclin structurel du droit légiféré, ne permet pas d’envisager sérieusement une amélioration spontanée de la situation dans le secteur d’activité pourtant porteur que sont les travaux sur existants…
Il semble même hélas que seul un traitement chirurgical lourd soit à même de faire cesser les entraves insupportables qui pèsent désormais sur l’activité économique du pays. Ce qui signifierait la fin d’un État incompétent, intrusif, parfois corrompu, qui n’a plus nulle part les moyens de sa politique mais cherche à s’immiscer partout, et par la force ! Mais la question, on s’en doute, dépasse largement le sujet que nous traitons….
On supposera, pour les besoins de la cause, réglées ces questions de politique générale et nous laisserons aussi de côté leurs conséquences sociales probables… Nous nous contenterons ici de suggérer, d’un point de vue purement technique, quelques pistes susceptibles de permettre l’essor des opérations de réhabilitation de l’habitat ancien, conscients que dans la situation politique actuelle elles ont peu de chances d’être suivies…
La première nécessité absolue, si l’on veut assurer l’essor de la construction et des opérations de réhabilitation, serait de simplifier les règles applicables, de les rationaliser et de les stabiliser. Il n’est pas acceptable que le droit de l’urbanisme comme la législation fiscale changent perpétuellement et de manière quasi pathologique d’une alternance politique à l’autre. Sans stabilité législative, pas de sécurité juridique et sans sécurité juridique, pas d’activité économique. Les clés de la crise sont déjà là…
Si en droit privé, la frénésie réformatrice s’est moins fait sentir et si la législation présente l’avantage d’une plus grande prévisibilité, il serait néanmoins indispensable de clarifier enfin un certain de nombre de points, notamment en matière de responsabilité et d’assurance. Par exemple la notion « d’impropriété à la destination », le contours des garanties, celui de l’assurance obligatoire ou encore la notion de « droit commun »…
La seconde nécessité urgente serait de corriger ce qui ne fonctionne pas, comme le régime de la vente d’immeuble à rénover, lourd, bureaucratique, mal conçu au départ, contraignant. Dans un autre domaine, celui du contrat de construction de maison individuelle, on rencontre du reste les mêmes défauts : maladresses des textes, réglementation tatillonne et excessivement formaliste, inefficacité de la réglementation d’ordre public vu le pourcentage de fraude dans ce domaine…
La troisième urgence serait de sortir rapidement de l’impasse absurde de la surprotection de l’accédant qui se traduit par la multiplication à tout propos de garanties financières extrêmement coûteuses. S’il était justifié d’imposer au vendeur d’immeuble à rénover une garantie bancaire dans le cas d’opérations d’une certaine envergure comportant un risque important, il ne l’était nullement dans le cas de travaux légers. La même dérive a pu être constatée récemment dans le domaine de la vente d’immeuble à construire avec la suppression brutale et injustifiée de la garantie intrinsèque…
Le législateur croit-il que le banquier est une sorte de deus ex machina qui répand ses bienfaits sur le peuple des simples mortels ? En réalité on sait bien que toutes ces garanties ont un prix et qu’elles sont répercutées de proche en proche sur les constructeurs et, au final, les accédants à la propriété. Elles ont en outre un effet pervers qui consiste à exclure du secteur d’activité considéré les petits promoteurs méritants disposant de peu de moyens au profit des grands groupes de promotion immobilière qui jouissent depuis longtemps d’accords avec les banquiers et les assureurs… Naïveté extrême du législateur ? Ou peut-être perversité extrême, consistant à renforcer cyniquement les tendances monopolistiques du capitalisme financier sous couvert de bons sentiments et de protection du consommateur ?
On terminera sur deux considérations plus générales.
D’abord, le rôle du pouvoir législatif n’est pas de satisfaire au coup par coup les exigences des groupes de pression (ascensoristes, grands promoteurs, établissements financiers, banquiers et assureurs), mais d’assurer le bien commun et l’intérêt général à long terme. Le pouvoir politique semble l’avoir totalement oublié…
Ensuite, il y aurait tout avantage, à une époque où l’on ne jure plus que par le droit anglo-américain, à se souvenir que justement les juristes de common law font une distinction fondamentale qui est pour eux le soubassement de l’État de droit et qui surpasse notre distinction entre droit public et droit privé. Il s’agit de la distinction entre the law, c’est-à-dire le droit au sens noble qui est à la fois une science et un art, the statute, c’est-à-dire la loi du Parlement qui est contingente et subordonnée à la common law puisqu’elle doit lui être conforme, et enfin the reglementation, c’est-à-dire l’ensemble des règles bureaucratiques et administratives, arbitraires, changeantes et qui ne méritent même pas le nom de « règles de droit » et doivent donc être limitées au maximum… Les juristes de droit civil qui cherchent à défendre sur le continent le modèle romano-germanique auraient grand avantage à méditer cette pertinente distinction afin de porter un regard critique sur leur propre système de droit. À entendre aujourd’hui les intervenants parler des travaux sur existants, nous avons pu constater qu’il était énormément question de la « reglementation », assez peu du « statute », donc de loi du Parlement, et presque pas de « law », donc de droit…