Hauts-de-Seine (92)

9 villes franciliennes continuent leur combat contre les pesticides

Publié le 17/05/2021
Pesticides, agriculture
David/AdobeStock

Les arrêtés qui interdisent l’utilisation de pesticides sur les territoires de communes se sont multipliés en France depuis 2019. Mais récemment, le Conseil d’État a confirmé leur annulation dans certaines de ces communes. Cela n’a pas découragé 9 villes d’Île-de-France d’opérer une pirouette en définissant les pesticides comme des déchets, justifiant ainsi leur pouvoir de réglementation en la matière.

En 2019, une centaine de communes françaises décident de prendre des arrêtés afin d’interdire l’utilisation de pesticides sur leur territoire. Le Collectif des maires anti-pesticides et glyphosate, créé en août 2019 et constitué en association le 1er janvier 2020 afin d’avoir à disposition des outils juridiques supplémentaires, est actuellement défendu par l’avocate, Corinne Lepage. Ces maires sont engagés dans une lutte contre le glyphosate mais également contre d’autres produits phytosanitaires qu’ils qualifient de dangereux pour la santé.

Le Conseil d’État tranche sur les premiers arrêtés anti-pesticides

Sur le plan juridique, l’association compte des victoires. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait par exemple rejeté, le 8 novembre 2019, les référés-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs aux arrêtés des maires de Sceaux et de Gennevilliers interdisant l’utilisation du glyphosate et des pesticides, « au motif qu’aucun des moyens soulevés n’était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés en cause ». Même si le juge des référés précise que cela relève de la compétence du ministre de l’Agriculture, il constate que « les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique ». Le communiqué poursuit : « En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause ».

Malgré cette première décision, la cour d’appel administrative de Versailles a par la suite suspendu l’exécution de six arrêtés de maires interdisant l’utilisation de glyphosate à Bagneux, Chaville, Gennevilliers, Malakoff, Nanterre et Sceaux, le 14 mai 2020. Cette fois-ci, le juge des référés considère que « Les communes en cause n’ont pas démontré l’existence d’un danger grave ou imminent en se bornant à faire état de leur engagement pour la protection de l’environnement, du nombre d’écoles, hôpitaux ou résidences pour personnes âgées regroupant des personnes vulnérables et de l’importance de la pollution atmosphérique, causée par la densité du réseau ferroviaire et routier » ; et d’autre part que « l’existence de circonstances locales particulières n’a pas davantage été établie en l’absence de différences notables entre la situation prévalant dans les six communes considérées et celle qui est constatée dans de nombreuses communes de l’agglomération parisienne présentant les mêmes caractéristiques d’équipements et de populations ». C’est donc la légalité des arrêtés qui est mise en doute.

Dans une décision rendue le 31 décembre dernier, le Conseil d’État a définitivement tranché en concluant à l’incompétence des maires pour réglementer l’utilisation de pesticides sur les territoires de leurs villes. Sous l’impulsion du Collectif des maires anti-pesticides, les villes d’Arcueil, Bagneux, Gennevilliers, l’Île-Saint-Denis, Malakoff, Montfermeil, Nanterre, Savigny-le-Temple et Sceaux ont alors choisi de prendre un nouvel arrêté, qui se fonde cette fois sur la compétence des maires en matière de réglementation des déchets.

Obligation de nettoyage

Dans ce nouvel arrêté qui date du 3 mars dernier, il s’agit alors d’obliger l’élimination des déchets provenant de l’utilisation des produits phytosanitaires ou de pesticides. Comme il est précisé dans le communiqué : « L’arrêté s’appuie sur une décision de la Commission européenne du 3 mai 2000 qui définit précisément les déchets provenant de l’utilisation des pesticides comme des “déchets dangereux”, et sur le Code de l’environnement définissant le déchet comme toute substance “dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire” ».

Il y est également rappelé que le dépôt, l’abandon, le fait de jeter ou déverser des « ordures, déchets, déjections, matériaux, liquides insalubres ou tout autre objet de quelque nature qu’il soit » sur le domaine public ou privé, à l’exception des endroits désignés à cet effet, est sanctionné par l’article R. 634-2 du Code pénal d’une amende.

Selon le Collectif de maires anti-pesticides, « les substances issues de produits phytopharmaceutiques rejetées en dehors des parcelles auxquelles elles sont destinées sont des déchets », invoquant ici le Code de l’environnement. Ces 9 villes imposent alors à tout utilisateur de ces produits d’assurer l’élimination des déchets générés par son activité, « c’est-à-dire, des substances à base de pesticides non-utilisées à leurs fins initiales » (article 1 de l’arrêté) selon le modèle disponible sur le site maireantipesticide.fr. L’article 2 ajoute : « Tout utilisateur de produits phytopharmaceutiques ou de pesticides sur le territoire communal, ne pourra utiliser de tels produits, que s’il est en mesure d’assurer qu’aucun résidu ne se dispersera au-delà de la parcelle traitée. Il devra également être en mesure, au cas où des résidus d’utilisation se disperseraient au-delà de la parcelle traitée, de gérer et d’éliminer le déchet généré ».

Les pesticides sont-ils vraiment des déchets ?

Vincent Couronne est docteur en droit à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et fondateur du site Les Surligneurs, legal-checking du discours politique. Sur TV78, il explique en février dernier que ces nouveaux arrêtés sont « un tour de passe-passe » et rappelle qu’il existe une liste de déchets, constituée par la Commission européenne, qui ne contient pas les pesticides.

Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay, développe la démonstration sur le site des Surligneurs, le 23 février 2021. « Il est vrai que ce sont les communes – et donc les maires – qui gèrent les déchets en France, mais le déchet est une notion bien précise en droit », écrit-il. En effet, selon le Code de l’environnement, un déchet est « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».

Dans la liste européenne, regroupant des dizaines de catégories de déchets, on retrouve les « déchets de produits agrochimiques », mais, précise Jean-Paul Markus, « il s’agit des restes de pesticides et engrais non utilisés pour diverses raisons (par exemple du fait de la date de péremption dépassée) ainsi que de leurs emballages ». Rien alors sur les particules de pesticides dispersées dans le voisinage lors des épandages, ou à travers le sol par les écoulements. « Or, poursuit-il, c’est l’objet majeur des arrêtés anti-pesticides ».

Selon ce chercheur, « si le maire gère bien les déchets en vertu du Code général des collectivités territoriales, il doit le faire selon la définition légale et ne peut pas mettre ce qui l’arrange dans cette notion ». Vincent Couronne comme Jean-Paul Markus prévoient le même sort que les précédents à ces nouveaux arrêtés. Dans le Pays de la Loire, le tribunal administratif de Nantes a déjà suspendu plusieurs arrêtés en ce début d’année.

Jean-Paul Markus conclut : « Dire que les émanations de pesticides sont des déchets reviendrait par exemple à dire que les fumées d’usines le sont aussi. Or c’est faux juridiquement : seules les boues issues de l’épuration ou de la filtration des fumées sont des déchets. On pourrait ainsi pousser le raisonnement jusqu’à affirmer que les gaz d’échappement des tracteurs sont des déchets : or toxiques, ils le sont, mais des déchets, non » !

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