Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : C. D’Intorni réclame une « immunité de robe »

Publié le 04/03/2023

Le 28 février dernier, lors des questions au gouvernement, la députée LR Christelle D’Intorni, avocate de profession, a interpellé le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti sur l’affaire concernant Me J. Cohen-Sabban et Me X. Nogueras pour demander la création d’une immunité de robe (lien vers la séance ici). Dans ce dossier, jugé début février par le tribunal correctionnel de Paris, les deux pénalistes parisiens sont accusés de violation du secret professionnel et, surtout, de complicité de tentative d’escroquerie au jugement pour avoir communiqué, à leur insu, une fausse pièce dans un procès de stupéfiants aux assises. Le parquet a requis des peines de prison ferme (respectivement trois ans et deux ans) ainsi qu’une interdiction d’exercer de cinq ans, avec exécution provisoire. 

La députée, rappelant au ministre son ancienne profession d’avocat et la manière dont, sans doute, il aurait réagi si cette affaire s’était passée quand il exerçait encore, a demandé la création d’une « immunité de robe ». Christelle D’Intorni nous explique qu’elle prépare une proposition de loi pour créer au bénéfice de l’avocat une présomption de bonne foi.

Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : C. D'Intorni réclame une "immunité de robe"
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Actu-Juridique : Vous avez employé lors de votre intervention l’expression très forte de « mort annoncée de la défense », pourquoi ?

Christelle D’Intorni : L’avocat bénéficie d’une immunité judiciaire en vertu de l’article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 pour tous les écrits et discours produits devant les tribunaux, ce qui signifie qu’il ne peut être poursuivi pour diffamation, injure ou outrage.  L’affaire Cohen-Sabban Nogueras révèle en revanche l’absence de protection dont il bénéficie s’agissant des pièces qu’il produit si celles-ci s’avèrent être des faux. Or, l’avocat en France n’est pas en mesure d’enquêter contrairement à son confrère américain. Il n’a pas non plus les pouvoirs d’un juge d’instruction. Quand il porte des doléances devant un juge, accompagnées de documents, il n’a aucun moyen de vérifier la véracité des pièces. Dans le dossier Cohen-Sabban Nogueras, il s’agit d’une affaire pénale mais c’est la même chose au civil. Quand je produis par exemple des attestations, je n’ai aucune garantie qu’elles sont exactes. Je ne doute pas un instant que si cette affaire s’était produite lorsque Éric Dupond-Moretti exerçait encore, il se serait indigné lui qui disait d’ailleurs « défendre ce n’est pas mentir et pour ne pas mentir je ne demande jamais à mes clients s’ils sont coupables », ou encore «  Le jour où je deviens juge de celui que je défends j’arrête le métier ». C’est pourtant ce qu’il tente de nous imposer aujourd’hui !! Je m’étonne sincèrement que cette affaire ne fasse pas plus de bruit, c’est la mort annoncée de la défense.

AJ : Avez-vous été satisfaite de la réponse du gouvernement ? 

C. D’I. : C’est Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement qui m’a répondu, le dossier faisant partie des sujets de déport du garde des sceaux. Il a d’abord expliqué que l’affaire était en cours et qu’il ne pouvait donc se prononcer en raison du principe de séparation des pouvoirs. Ce n’est absolument pas ce que je demandais ! Puis il a profité de la question pour rappeler que le gouvernement avait beaucoup fait pour les avocats dans la loi Confiance avec l’inscription du secret dans l’article préliminaire du CPP, le renforcement de la protection du secret en perquisition et la réforme de la discipline. Il a enfin rappelé son attachement à la présomption d’innocence. Je n’ai donc reçu aucun élément de réponse et je l’ai d’ailleurs interpellé en lui précisant qu’il n’avait pas répondu à ma question qui était pourtant limpide.

AJ : Qu’entendez-vous exactement par « immunité de robe » ?

C. D’I. : Je suis en train de travailler depuis une quinzaine de jours sur une proposition de loi visant à créer cette immunité de robe. Ce serait une immunité pénale qui serait traduite par la création d’un alinéa 2 de l’article 313-1 du code pénal. Il préciserait que  « les avocats bénéficient d’une présomption légale mixte de bonne foi dans le cadre des diligences réalisées afin de garantir le plein exercice des droits de la défense, à ce titre, ils ne peuvent être poursuivis sur la base de pièces communiquées au cours d’une procédure ». La présomption ne pourrait être retournée qu’en démontrant que l’avocat a participé à l’élaboration du faux produit devant les tribunaux. Nous aurions ainsi une véritable immunité pénale pour toutes les pièces qui seraient communiquées dans le cadre des droits de la défense. Je ferai également modifier les dispositions des articles 127,1, 313-3,  321-1 et 441-1 pour intégrer cette immunité. Enfin, je propose de faire modifier  le 2° de l’article 42 de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021, lequel précisera que le code de déontologie des avocats doit respecter le principe d’immunité de l’avocat dans le cadre de la production de pièces en cours de procédure. J’espère de tout cœur que la profession, nos bâtonniers, nos ordres et nos instances nationales se mobiliseront pour porter cette réforme nécessaire à la survie de notre profession.

 

Lire nos compte-rendus d’audience dans cette affaire : le témoignage du vice-bâtonnier de Paris Vincent Nioré sur l’impossibilité de mettre à la charge des avocats une obligation d’authentification des pièces, le réquisitoire, le premier jour des plaidoiries de la défense et le deuxième jour

Le jugement est attendu le 18 avril prochain. 

Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : C. D'Intorni réclame une "immunité de robe"
Dessin : ©Me François Martineau

 

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