Droit du bâtonnier de visiter les prisons : un vrai sursaut démocratique !

Publié le 31/05/2021

Parmi les innovations contenues dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire adoptée en première lecture à l’assemblée nationale le 25 mai dernier figure le droit pour le bâtonnier de visiter les prisons. C’est le fruit d’un amendement porté par la profession d’avocat. Me Julia Courvoisier salue une avancée historique. 

bâtonniers en robe
Les bâtonniers de France réunis autour des représentants de la profession à l’AG statutaire de la Conférence des bâtonniers en janvier 2020. (Photo : ©P. Cluzeau)

Les détenus ne sont pas des sous-hommes. Nous, les avocats, le savons bien.

En 2010, la France comptait 66.089 détenus. En 2020, elle en dénombrait 82.260. La justice française n’a jamais autant incarcéré et, pourtant, le sort de nos détenus n’émeut pas grand monde. De plus en plus, la vengeance remplace la justice. La haine infuse les débats.  Combien de fois ai-je entendu « qu’ils n’avaient qu’à pas se retrouver en prison ! ».

« Il ne faut pas les plaindre, ces gens-là, ces rebuts de la société ».

Pendant longtemps, la France a fait la sourde oreille face au délabrement alarmant de nos prisons.

Mais qui pour alerter ? Qui pour raconter ? Qui pour témoigner ?

Qui pour tirer la sonnette d’alarme du Pays des Droits de l’Homme ?

Qui pour oser parler de dignité dans le monde carcéral ?

Les avocats, accusés de défendre les indéfendables, ces « sous hommes », n’ont pas été écoutés. Jusqu’à cette semaine, puisqu’après des années de combat, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire adopté en première lecture à l’Assemblée nationale vient d’accorder au Bâtonnier (le représentant des avocats), le droit de visiter les prisons pour savoir ce qu’il s’y passe. Une avancée fondamentale pour un combat historique.

L’humidité, la crasse, les rats…

Verrouillé, inaccessible à la majorité des citoyens, totalement méconnu, l’univers carcéral demeure un monde à part. Dans l’opinion, on s’intéresse peu à ceux  qui « n’avaient qu’à pas se retrouver en prison ». Ils n’inspirent que de la honte parfois, du dégoût ou de la haine, le plus souvent.

Peu de témoignages, ou de reportages pour invalider ce ressenti : une fois passés par la case prison, les anciens détenus font tout pour oublier, pour ne pas penser à ces mois, voir ces années passées dans l’humidité, la crasse, les murs craquelés, les matelas au sol, les toilettes bouchés, les odeurs d’urine, au milieu des rats et des punaises de lit.

Un jour, en poussant la porte d’une prison de région parisienne, j’ai mis ma main sur un cafard qui, lui, était en liberté sur cette grande porte sordide. J’ai alors imaginé à quel point mes clients devaient faire un effort pour toujours arriver propres à nos entretiens. Se laver 3 fois par semaine, aller aux toilettes devant ses codétenus, se coucher dans des lits sales et puants, dormir par terre : leur normalité.

Et puis le 15 juin 2000, la loi « renforçant la présomption d’innocence » a enfin entrouvert la porte  en accordant aux parlementaires le droit de visiter, à tout moment, les lieux de privation de liberté. Donc les prisons. Le 24 novembre 2009, ce droit de visite a été étendu aux parlementaires européens élus en France. Le 15 avril 2015, la loi a autorisé les parlementaires à être accompagnés de journalistes (sauf pour les locaux de garde à vue).  Pour autant, ce droit de visite des prisons n’a pas été beaucoup utilisé et peu de parlementaires s’y sont rendus. Parfois, « avoir le droit de » suffit à satisfaire celui qui le détient sans qu’il éprouve le besoin de s’en servir.

Ce n’est qu’en décembre 2017 que la réforme a enfin montré son utilité ;  une quarantaine de parlementaires s’est rendue dans plusieurs prisons de France et a constaté avec effroi ce que nous dénoncions en vain depuis si longtemps  : surpopulation, vétusté, addictions, bruits, violences, radicalisations, indignité… Leurs mots choqués, en sortant de nos prisons, étaient les mêmes que ceux des avocats, ceux que l’on se dit entre nous, à chaque parloir. Nos parlementaires (et seulement 40 d’entre eux) venaient de découvrir ce que nous dénoncions depuis des années, sans réussir à obtenir une oreille attentive de leur part.

Qui a peur de la parole des avocats ?

On ne peut pas nous accuser de les avoir influencés à ce moment-là, la présence des avocats avait été exclue des visites parlementaires par une note du 20 janvier 2017 (NOR JUSK1701984N). Les journalistes, oui, pas les avocats. Comme si notre parole faisait peur….

Comment les avocats, au contact quotidien des détenus, mais aussi des surveillants pénitentiaires et du monde carcéral ont-ils pu, pendant des années, être les oubliés de ce débat ? Comment les avocats, confesseurs des détenus, ont-ils pu être considérés comme extérieurs à cette question de l’état des prisons ?

Toujours est-il qu’ils se sont battus avec leurs armes : la procédure, la justice, le respect des lois et des libertés fondamentales.  Ils ont dû aller jusqu’à la Cour européenne de droits de l’homme pour faire condamner leur pays.

Comment les détenus peuvent-ils se réinsérer dans des conditions pareilles ?

Ces conditions indignes iraient-elle de pair avec l’augmentation de la récidive ?

Si la prison crée des délinquants, est-ce que l’indignité fait la récidive ?

Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour l’état de ses prisons, jugeant nos conditions de détention « inhumaines et dégradantes ».

L’indignité de nos prisons, nous, les avocats, la constatons depuis des années. Nos bâtonniers pourront dorénavant s’y rendre sans que l’accès leur soit refusé. Ils pourront alerter les pouvoir publics. Ils pourront parler librement, comme ils ont le devoir de le faire. Georges Kiejman a dit un jour que « la démocratie, ça ne doit s’arrêter nulle part, et surtout pas au seuil de la prison ». La loi qui vient d’être adoptée est, sur ce point, un vrai sursaut démocratique. Si rare en ces temps troublés, ce sursaut doit être souligné.

L’avocat, comme sentinelle des libertés publiques, de l’humanité et de nos droits les plus fondamentaux.

C’est aujourd’hui une réalité.

C’est évidemment une fierté.

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