La personne morale doit-elle continuer à payer l’addition sans être invitée au déjeuner ?

Publié le 04/08/2016

Par un arrêt du 17 mars 2016, la Cour de cassation a jugé que, contrairement aux personnes physiques, les personnes morales ne peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil. En sus d’être discutable, une telle position ne dénie pas complètement à la personne morale le droit au respect de sa vie privée dont elle peut se prévaloir sur d’autres bases que la disposition visée.

Cass. 1re civ., 17 mars 2016, no 15-14072, PB

1. À première vue, compte tenu de la formulation du premier alinéa de l’article 9 du Code civil, toute personne peut se prévaloir du droit au respect de sa vie privée, y compris les personnes morales. C’est ce que peut suggérer également la jurisprudence, selon laquelle « toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée »1. Néanmoins, par un arrêt du 17 mars 20162, la Cour de cassation dénie aux personnes morales le droit de se prévaloir du droit consacré à l’article précité. Il s’agit d’un arrêt important, dans la mesure où c’est la première fois que la haute juridiction judiciaire se prononce d’une manière aussi directe et tranchée sur la question du droit des personnes morales au respect de leur vie privée.

2. En l’espèce, il était question d’une société qui reprochait à un couple d’avoir installé sur leur immeuble un système de vidéo-surveillance et un projecteur dirigés vers un passage indivis desservant la porte d’accès de la société. Aussi, a-t-elle saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile, pour obtenir le retrait de ce dispositif, ainsi qu’une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte à sa vie privée et de son préjudice moral.

Pour ordonner le retrait du matériel de vidéo-surveillance et du projecteur, le juge a relevé que l’usage du dispositif n’était pas strictement limité à la surveillance de l’intérieur de la propriété du couple, étant donné qu’il enregistrait également les mouvements des personnes se trouvant sur le passage commun, notamment au niveau de l’entrée du personnel de la société, et que le projecteur, braqué dans la direction de la caméra, ajoutait à la visibilité. Par conséquent, il a retenu que l’atteinte ainsi portée au respect de la vie privée de la société constituait un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.

Saisie d’un recours en cassation, la haute juridiction judiciaire a censuré l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 9 du Code civil, en estimant que « si les personnes morales disposent, notamment, d’un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant d’une telle atteinte ».

3. En refusant aux personnes morales le bénéfice d’un droit au respect de la vie privée, dans un attendu de principe, la Cour de cassation semble trancher définitivement et d’une manière claire un débat ancien (I). Cependant, au vu de la formulation de sa réponse, il semble qu’elle ne leur dénie pas complètement un tel droit, dans la mesure où elle ne le fait qu’« au sens de l’article 9 du Code civil ». Par conséquent, il est légitime de penser que l’on reconnaît implicitement aux personnes morales une vie privée devant être protégée sur une autre base que l’article visé (II). Par ailleurs, plusieurs aspects particuliers du droit au respect de la vie privée sont reconnus au profit des personnes morales, en l’occurrence le droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation (III).

I – Une solution qui tranche un débat ancien

4. Par l’arrêt commenté, la haute juridiction judiciaire apporte une réponse à une question qui a fait débat : une personne morale peut-elle avoir une vie privée ? La problématique, liée aux droits de la personnalité confrontés au particularisme des personnes morales, a longtemps partagé la doctrine et divisé la jurisprudence, comme l’a été la notion même de personne morale qui a opposé dès la fin du XIXe siècle les partisans de la théorie de la fiction à ceux de la théorie de la réalité.

5. Parmi les partisans de la reconnaissance aux personnes morales du droit au respect de la vie privée, l’on peut citer Jacques Mestre qui, tout en reconnaissant que la personnalité des personnes morales est moins étendue que celle des personnes physiques, très riche puisque physique, psychologique ou sociale, estime qu’il faut néanmoins admettre que les personnes morales ont « une personnalité psychologique et surtout sociale qui, à ce titre, mérite une protection »3. Dans le même sens, selon Daniel Gutmann, nonobstant une idée très répandue, « la nature humaine du sujet de droit n’est (…) pas une condition de jouissance du droit au respect de la vie privée [qui] désigne avant tout le droit d’empêcher ou de contester la divulgation au public de certaines informations considérées objectivement comme liées à la personne »4.

6. Cependant, lié dans sa définition classique à la protection de l’intimité des personnes et plus exactement à leur vie sentimentale et amoureuse, le droit au respect de la vie privée est dénié aux personnes morales, dépourvues de corps et de sentiments. Ainsi, si certains auteurs admettent que ces personnes peuvent bénéficier de certains droits de la personnalité, il leurs refusent en revanche celui de la protection de la vie privée. D’après Franck Petit, ce droit a pour objet la protection de « l’essence de la personne humaine et concerne, de ce fait, des situations liées aux comportements physiques et sentimentaux, tels que la vie familiale, conjugale ou amoureuse, les relations amicales ou les loisirs. Pour se garder de tout anthropomorphisme, on comprend alors qu’une personne morale ne puisse disposer d’un tel droit »5.

7. Malgré sa rareté, la jurisprudence était également divisée sur la question qui nous préoccupe. La cour d’appel de Paris a jugé, à ce sujet, irrecevable des actions intentées par des personnes morales (associations et sociétés) pour atteinte à la vie privée, au motif qu’elles ne sont pas protégées par l’article 9 du Code civil qui consacre un droit de la personnalité propre aux personnes physiques6.

À l’inverse, par un arrêt du 4 mars 19887, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Limoges a estimé « qu’une personne morale (…) a, parallèlement à la vie publique qui est nécessairement la sienne en raison même de l’objet qui justifie son existence, une vie secrète qui se déroule dans ses locaux privés et à laquelle toute personne étrangère aux membres qui la composent ne peut sans son consentement porter atteinte ». Aussi, a-t-elle conclu à l’applicabilité aux personnes morales de l’article 368 de l’ancien Code pénal qui « protège non seulement l’intimité de la vie privée des personnes physiques, mais aussi celle des personnes morales ». Allant dans le même sens, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a admis d’une manière claire et directe, dans un arrêt du 10 mai 20018, que « les personnes morales sont susceptibles de subir une atteinte à leur vie privée ». Néanmoins, la cour a atténué sa position en affirmant, d’une part, que les personnes morales sont titulaires de droits analogues et non pas identiques aux droits de la personnalité et, d’autre part, que l’article 9 du Code civil n’est applicable que lorsque leur vie secrète « n’est pas autrement protégée par des règles spécifiques, notamment en matière de concurrence ou de secret des affaires ou de contrefaçon ».

De son côté la Cour de cassation avait fait naître des doutes sur la portée d’un arrêt rendu le 3 novembre 20049, dans lequel elle a déclaré fautif l’auteur de la diffusion sur internet, sans autorisation, d’un fac-similé d’une note interne d’une banque relative aux risques liés aux cartes bancaires falsifiées, d’autant qu’il n’était pas destinataire du document. Compte tenu de sa formulation des observateurs se sont demandé si la Cour avait reconnu implicitement un droit au respect de la vie privée des personnes morales10.

Désormais, par l’arrêt commenté, la haute juridiction judiciaire vient de se positionner d’une manière plus claire sur la question en refusant aux personnes morales la protection de l’article 9 du Code civil. Cependant, outre le fait qu’elle soit discutable, cette position constitue une reconnaissance implicite du droit au respect de la vie privée des personnes morales qui peuvent se prévaloir de l’atteinte dont il fera l’objet sur d’autres bases que la disposition précitée.

II – Reconnaissance implicite du droit au respect de la vie privée des personnes morales

8. Force est de constater que la Cour de cassation ne dénie aux personnes morales le droit de « se prévaloir d’une atteinte à la vie privée [qu’] au sens de l’article 9 du Code civil ». Cela revient à dire que les personnes morales ont une vie privée, dont la protection peut se faire sur une autre base que la disposition visée.

Faut-il le rappeler, l’article 9 du Code civil dispose que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».

Cette disposition est composée de deux alinéas, le premier énonce le principe général du droit de chacun au respect de sa vie privée, le second est, quant à lui, réservé aux mesures dont le juge peut user pour empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Or le droit à l’intimité n’est qu’un élément du principe général cité au premier alinéa. Autrement dit, le droit au respect de la vie privée ne se résume pas au droit à l’intimité.

Dans ces conditions, en refusant aux personnes morales la protection de cet article, la haute juridiction judiciaire a-t-elle visé son premier ou son second alinéa ? Logiquement, étant donné qu’elle n’a mentionné aucun des deux, c’est la disposition dans son ensemble qu’il faut retenir, ce qui est contestable au vu de la différence existant entre les deux alinéas. En effet, il n’y aurait aucun inconvénient à reconnaître aux personnes morales le droit au respect de la vie privée sur la base du premier alinéa qui énonce un principe général. Un problème pourrait se poser uniquement sur la base du second alinéa, si l’on adhère à la définition classique qui rattache le droit au respect de la vie privée à l’intimité des personnes physiques.

9. Certes, les juges de la Cour de cassation ne justifient pas leur solution, mais il semble qu’ils aient privilégié la notion de la vie privée au sens de l’intimité. C’est ce sens là qui est retenu également par la cour d’appel de Paris, d’après laquelle « la vie privée s’entend de l’intimité de l’être humain en ses divers éléments afférents à sa vie familiale, à sa vie sentimentale, à son image ou à son état de santé, qui doivent être respectés en ce qu’ils ont trait à l’aspect le plus secret et le plus sacré de la personne »11.

En doctrine, l’intimité de la vie privée est définie par Roger Merle et André Vitu comme « tout ce qui concerne l’individu dans ses relations familiales ou amicales, sa vie conjugale ou sentimentale, sa vie physique, sa santé »12.

Vu sous cet angle, le droit au respect de la vie privée peut sembler incompatible avec les personnes morales. Toutefois, comme nous l’avons relevé, ce droit ne se résume pas à cet aspect. Il serait en effet, comme le soutient la CEDH, « trop restrictif de limiter la notion de « vie privée » à un « cercle intime » où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle »13. Ainsi, si la conception psychologique du droit au respect de la vie privée semble, pour certains, inadaptée à la nature des personnes morales, celles-ci ont néanmoins une organisation interne qui mérite d’être protégée. Pour reprendre Pierre Kayser, « si elles n’ont pas de vie privée, au sens propre du mot, [les personnes morales] ont une vie intérieure, distincte de leur activité externe, qui doit être respectée »14. Philippe Stoffel-Munck écrit, de son côté, à ce sujet, que « derrière la société se trouve une communauté d’hommes et de femmes, une histoire, une culture voire des valeurs », ce qui fait d’elle « un être de chair du moins l’incarnation d’un ensemble de traits qui lui dessinent une personnalité au sens commun du terme »15.

C’est dans ce sens que s’inscrit également la position de la CEDH, d’après laquelle la « vie privée » n’exclut pas les activités professionnelles ou commerciales et le droit de mener une « vie privée sociale », c’est-à-dire « le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur »16.

10. En somme, la protection de la vie privée ne vise pas uniquement à défendre l’aspect intérieur et intime d’une personne mais également l’aspect extérieur de la personnalité, ce qui nous éloigne de la définition classique de cette notion17. Avec l’évolution de celle-ci, les personnes morales sont désormais devenues des « êtres » dotés d’une vie intérieure et d’une vie sociale, méritant protection à l’image des « êtres physiques ». Donc, dire qu’elles ne bénéficient pas de la protection de l’article 9 du Code civil n’est pas tout à fait juste, car son alinéa premier énonce un principe englobant toute les définitions possibles de la vie privée.

Une telle conception est confortée par la reconnaissance progressive aux personnes morales d’un certain nombre de droits, représentant des éléments particuliers du droit au respect de la vie privée. Plus encore, certains de ces éléments relèvent de l’intimité qu’on dit propre aux personnes physiques.

III – La reconnaissance de certains aspects du droit au respect de la vie privée aux personnes morales

11. Avant de dénier aux personnes morales le droit de se prévaloir de l’article 9 du Code civil, la haute juridiction judiciaire a néanmoins concédé que ces personnes « disposent, notamment, d’un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation ». Or, à en croire la doctrine, la CEDH et une certaine jurisprudence nationale, ces droits sont des éléments du droit au respect de la vie privé.

12. Le droit au respect du domicile, qualifié de « sanctuaire »18 et de « réceptacle par excellence »19 de la vie privée, est consacré au profit des personnes morales tant par la jurisprudence nationale20 qu’européenne21. Si le droit au respect de la vie privée est souvent lié à la volonté de protéger la sphère personnelle dans tous ses aspects (familial, sentimental, santé, etc.), le droit au respect du domicile ne peut qu’en être un des éléments les plus fondamentaux, car quoi de mieux qu’un domicile pour préserver cette sphère. La connexité de la protection du domicile à celle de la vie privée est d’ailleurs consacrée par le législateur pénal en insérant le délit de la violation du domicile, article 226-4 du Code pénal, dans la section relative aux atteintes à la vie privée.

13. À l’image du domicile, la protection des correspondances est étroitement liée à la protection de la vie privée. Pierre Kayser estime, à ce propos, que le droit au secret des lettres confidentielles a contribué à la consécration d’« un droit général au respect de la vie privée »22. Par un arrêt du 28 juin 200723, la CEDH a affirmé que le bénéfice de cette disposition ne peut être refusé à une association du seul fait qu’elle soit une personne morale. Au contraire, ses communications sont protégées par la notion de « correspondances » visée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et du citoyen. Dans un arrêt rendu presque une année après, la Cour a jugé que « les communications par téléphone, par télécopie et par courriel se trouvent comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondances » au sens de l’article 8 de la Convention »24.

14. En sus des deux éléments précédents, le droit à la protection de l’honneur et de la réputation des personnes morales est admis par la majorité de la doctrine. Selon Gérard Cornu, « ayant un honneur, une personne morale est en droit de demander en justice la réparation d’un préjudice moral, si elle prétend avoir été victime d’une injure ou d’une diffamation »25. Philippe Malaurie trouve également qu’une personne morale a « un honneur qu’elle peut faire respecter en agissant en diffamation »26.

Dans sa définition extensive de la notion de « vie privée », la CEDH considère la réputation comme un « élément intégrant du droit à la protection de la vie privée »27. En effet, dans une jurisprudence bien établie, la Cour souligne « autant que de besoin que le droit à la réputation figure parmi les droits garantis par l’article 8 de la Convention, en tant qu’élément du droit au respect de la vie privée »28.

Alors que l’honneur est le sentiment de chaque personne sur elle-même, la réputation est le jugement que les autres portent d’elle29. Ainsi, l’honneur et la réputation ont une dimension sociale, intime et psychologique à la fois30. Dans ces conditions, n’est-il pas paradoxal de refuser aux personnes morales le bénéfice du droit au respect de la vie privée sous prétexte qu’elles sont dépourvues d’une personnalité psychologique et d’une vie intime, tout en reconnaissant qu’elles peuvent subir une atteinte à leur honneur et à leur réputation ?

15. Le droit à la protection du nom, cité dans l’espèce comme un des droits acquis aux personnes morales, représente lui aussi un aspect du droit au respect de la vie privée. D’ailleurs, les juges strasbourgeois ont constamment jugé que la notion de « vie privée » peut « englober de multiples aspects de l’identité d’un individu, tels le nom (…) »31.

16. Dans le sillage de la réputation et de l’honneur, l’on a également accordé aux personnes morales des droits qui sont, par principe, propres aux personnes physiques. En effet, « Ni souffrante, ni aimante, sans chair et sans os, la personne morale est [considérée comme] un être artificiel »32. Dès lors, à première vue, il est inimaginable qu’une personne morale puisse vivre de tels ressentis. Pourtant, il a été admis qu’elle peut souffrir d’un préjudice moral qui couvre notamment la souffrance, la dépression et l’affliction touchant le for intérieur des personnes. Pour certains auteurs, ces personnes peuvent subir un préjudice moral, étant donné qu’à travers les « êtres qui l’animent, une personne morale a une dimension intérieure et peut sinon souffrir du moins voir son climat interne se troubler, se tendre et s’assombrir (…) Or, la pesanteur du climat social, le pessimisme du management ou la défiance qui se développe à l’égard de l’entreprise, voire celle qui s’installe entre ses composantes, tout cela forme des maux dont l’effet néfaste est immédiatement palpable au sein de la société »33. Ainsi, « le préjudice moral d’une société peut déjà être l’expression de cette dégradation diffuse du moral au sein de l’entreprise et de la perte de confiance en son devenir. Il peut aussi couvrir d’autres choses. En particulier, il a parfois trait à l’honneur quand la personne morale est porteuse de valeurs qui font son identité, que celles-ci soient professionnelles ou, plus adéquatement, spirituelles, philosophiques ou politiques »34.

Le principe de réparation du préjudice moral des personnes morales est solidement ancré dans la jurisprudence nationale, tant pénale35 que civile36, et européenne. Pour la CEDH, ce préjudice peut comporter pour une société « des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs ». Parmi [lesquels] l’angoisse et les désagréments éprouvés par les membres des organes de direction de la société »37.

En somme, quand bien même l’article 9 du Code civil concerne à l’origine les personnes physiques, son élargissement aux personnes morales ne serait pas choquant au vu de l’évolution des notions de personnalité morale et de vie privée. Par ailleurs, la fictivité des personnes morales ne peut être avancée pour les priver de la protection due à la vie privée dans la mesure où « la réalité de la personne physique (…) est elle-même l’effet d’un certain artifice »38. Enfin, il est intéressant de rappeler que même si personne n’a jamais déjeuné avec une personne morale, certains l’ont néanmoins souvent vu payer l’addition39.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 23 oct. 1990, n° 89-13163 : Bull. civ. I, n° 222, p. 158.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 15-14072, ECLI:FR:CCASS:2016:C100268, FS–PBI (cassation CA Orléans, 14 nov. 2014, n° 14/01423), Mme Batut, prés. – SCP Didier et Pinet, SCP Coutard et Munier-Apaire, av.
  • 3.
    Mestre J., « La protection, indépendante du droit de réponse, des personnes physiques et des personnes morales contre l’altération de leur personnalité aux yeux du public », JCP G 1974, I, 2623, spéc. n° 4.
  • 4.
    Gutmann D., « Les droits de l’homme sont-ils l’avenir du droit ? », in Mélanges Terré F., 1999, PUF, p. 332.
  • 5.
    Petit F., « Les droits de la personnalité confrontés au particularismes des personnes morales », D. aff. 1998, p. 831.
  • 6.
    CA Paris, 1re ch., 21 mars 1988, n° 85/16715, Association L c/ Centre de D. Dans le même sens, v. CA Paris, 14e ch., 7 févr. 1997, n° 95/11553, SCPL c/ Fernandez ; CA Paris, 1re ch., 11 juin 1999, n° 98/25335, Bilski c/ S.A Métropole Télévision M6.
  • 7.
    CA Limoges, ch. corr., 4 mars 1988, Berthe.
  • 8.
    CA Aix-en-Provence, 1re ch., 10 mai 2001, n° 00/19621, X c/ Y .
  • 9.
    Cass. 1re civ., 3 nov. 2004, n° 02-19211, PELE c/ CIO : Bull. civ. I, n° 238, p. 199.
  • 10.
    Lepage A., « Méconnaissance du caractère privé d’un document », CCE n° 1, janv. 2005, comm. n° 16 ; Martron H., Les droits de la personnalité des personnes morales de droit privé, thèse, 2011, LGDJ-Presses universitaires juridiques Université de Poitiers, Thèse, p. 236.
  • 11.
    CA Paris, 1re ch., 5 déc. 1997, Prisma Presse c/ X et autre : D. 1998, IR 32.
  • 12.
    Merle R.et Vitu A., « Droit pénal spécial », n° 2033, cité dans Marie-Clet D., « Atteinte à l’intimité de la vie privée / Pourvoi sur les seuls intérêts civils / Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil », Rev. Judiciaire de l’Ouest, 1983-1, p. 119.
  • 13.
    CEDH, 16 déc. 1992, série A, n° 251-B, § 29, Niemietz c/ Allemagne ; CEDH, 16 déc. 1992, Sidabras et Džiautas c/ Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 43, 2004-VIII ; CEDH, 28 mai 2009, n° 26713/05, Bigaeva c/ Grèce, § 22,
  • 14.
    Kayser P., « Les droits de la personnalité, Aspects théoriques et pratiques », RTD civ. 1971, p. 445, n° 35.
  • 15.
    Stoffel-Munck P., « Le préjudice moral des sociétés », Rev. soc. 2012, p. 620.
  • 16.
    CEDH, 23 mars 2006, n° 77955/01, Campagnano c/ Italie, § 53, 2006-V ; CEDH, 19 oct. 2010, n° 20999/04, § 45, Özpınar c/ Turquie ; CEDH, 28 mai 2009, n° 26713/05, Bigaeva c/ Grèce, § 22-23 ; CEDH, 29 avr. 2002, n° 2346/02, Pretty c/ Royaume-Uni, § 61, 2002-III.
  • 17.
    Sur cette notion, v. Mestre J., op. cit., n° 3.
  • 18.
    Raynard J., « Quand la Cour de Luxembourg se préoccupe de droits fondamentaux », RTD civ. 1999, p. 923.
  • 19.
    Lepage A., « Droits de la personnalité », Rép. civ. Dalloz, p. 39, n° 177. D’autres auteurs rattachent également la protection du domicile à celle de la vie privée, v. Lindon R., « Une création prétorienne : les droits de la personnalité », 1974, Dalloz ,p. 22, n° 48 ; Hauser J., « Le domicile : la vie privée des personnes morales », RTD civ. 1996, p. 130 ; Bouloc B., « La protection pénale du domicile d’une société », Rev. soc., 1996, p. 109.
  • 20.
    Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-81141 : D. 1995, IR, 222 ; Dr. pén. 1995, comm. n° 220, note Véron M. ; RTD civ. 1996, p. 130, obs. Hauser J.
  • 21.
    CEDH, 16 avr. 2002, n° 37971/97, Sté Colas Est et a. c/ France, § 40-41, 2002-III.
  • 22.
    Kayser P. , La protection de la vie privée par le droit, Protection du secret de la voie privée, 3e éd., 1995, Economica, PUAM, p. 119, nos 67 et s.
  • 23.
    CEDH, 28 juin 2007, n° 62540/00, Association pour l’intégration européenne et les droits de l’Homme et Ekimdjiev c/ Bulgarie. V. dans le même sens : CEDH, 1er juill. 2008, n° 58243/00, Liberty et a. c/ Royaume-Uni.
  • 24.
    CEDH, 1er juill. 2008, n° 58243/00, Liberty et a. c/ Royaume-Uni.
  • 25.
    Cornu G., Droit civil : introduction, les personnes, les biens, Montchrestien, 12e éd., 2005, Domat droit privé, n° 822. Dans le même sens, v. Stoffel Munck P., « Le préjudice moral des personnes morales », in Mélanges P. Le Tourneau, 2007, Dalloz, p. 959.
  • 26.
    Malaurie M., Les personnes : la protection des mineurs et des majeurs, 5e éd., 2010, Defrénois, p. 210, n° 442.
  • 27.
    CEDH, 30 mars 2004, n° 53984/00, Radio France et a. c/ France, 2004-II ; CEDH, 14 oct. 2008, n° 78060/01, Petrina c/ Roumanie, § 36 ; CEDH, 21 sept. 2010, n° 34147/06, Polanco Torres et Movilla Polanco c/ Espagne, § 40.
  • 28.
    CEDH, 27 oct. 2009, n° 21737/03, Haralambie c/ Roumanie, § 79 ; CEDH, 19 oct. 2010, Özpınar c/ Turquie, n° 20999/04, § 47.
  • 29.
    V. Moscovi S., Psychologie sociale des relations avec autrui, 1994, Paris, Nathan, p. 119. V. également, Véron M., Droit pénal spécial, 12e éd., 2008, Sirey, p. 169, n° 237 ; Pradel J. et Danti-Juan M., Droit pénal spécial, 5e éd., 2010, Cujas, p. 307, n° 472.
  • 30.
    V. dans ce sens, Véron M., ibid. ; Beignier B., L’honneur et le droit, 1995, LGDJ, p. 20 et s. ; Martron H., op. cit., p. 187.
  • 31.
    CEDH, 17 mars 2016, n° 16313/10, Kahn c/ Allemagne, § 63 ; CEDH, 19 sept. 2013, n° 8772/10, Von Hannover c/ Allemagne (n° 3), § 41 ; CEDH, 27 juill. 2004, Sidabras et Džiautas c/ Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 43, 2004-VIII.
  • 32.
    Cozian M., Viandier A. et Deboissy F., Droit des sociétés, 24e éd., 2011, LexisNexis, n° 168.
  • 33.
    Stoffel-Munck P., « Le préjudice moral des sociétés », Rev. soc., 2012, p. 620, n° 7.
  • 34.
    Ibid.
  • 35.
    Cass. crim., 24 oct. 2012, n° 11-85923, inédit – Cass. crim., 10 oct. 2000, n° 99‐87688, inédit – Cass. crim., 18 juin 2002, n° 00-86272, inédit.
  • 36.
    Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-10278 : Bull. civ., IV, n° 101 – CA Paris, 15e ch., 30 juin 2006, n° 04/06308, Sté Morgan Stanley & Co et a. c/ SA LVMH : RTD com. 2006, p. 875, note Rontchevsky N. ; BJS déc. 2006, p. 1453, note Schmidt D. – Cass. com., 9 févr. 1993, n° 91‐12258 : Bull. civ. IV, n° 53.
  • 37.
    CEDH, 6 avr. 2000, n° 35382/97, Comingersoll S.A. c/ Portugal [GC], § 35-36, 2000-IV.
  • 38.
    Martin R., « Personne et sujet de droit », RTD civ. 1981, p. 785 et spéc., p. 787.
  • 39.
    À Léon Duguit qui a soutenu qu’il n’a « jamais déjeuné avec une personne morale » (la citation est attribuée parfois à Gaston Jèze), le professeur Jean-Claude Soyer répondait : « moi non plus, mais je l’ai souvent vu payer l’addition ».
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