Projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 : « Des milliers de comportements vont être mis en mémoire » !

Publié le 06/03/2023
JO Paris 2024
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Le 31 janvier 2023, le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques a été adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée. Le texte, qui doit être débattu prochainement à l’Assemblée nationale, contient plusieurs dispositions de surveillance qui préoccupent la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Son président Jean-Marie Burguburu explique à Actu-Juridique pourquoi.

Actu-Juridique : Quelles sont vos inquiétudes quant au projet de loi sur les Jeux olympiques ?

Jean-Marie Burguburu : La CNCDH a à la fois des inquiétudes générales et techniques. Les inquiétudes générales tiennent à la fois à la technique législative et au fait que ces mesures provisoires tendent à être inscrite en totalité ou en partie dans les règles habituelles. Le gouvernement a une fois de plus choisi la procédure accélérée pour faire adopter par le Parlement ce projet de loi, très important au regard des droits de l’Homme. D’autre part, ce projet de loi contient des mesures soi-disant provisoires, dont nous ne doutons pas qu’une fois inscrites dans la pratique, elles survivront à la fin des Jeux olympiques. La période prévue par le projet de loi pour la mise en œuvre de ces mesures va d’ailleurs jusqu’en juin 2025, alors que les Jeux olympiques et paralympiques seront finis dès septembre 2024.

Actu-Juridique : Quelles sont vos inquiétudes techniques ?

Jean-Marie Burguburu : Nous avons noté, dans ce projet de loi, l’autorisation des scanners corporels, qui sont intrusifs, ainsi que la généralisation d’une enquête administrative pour tous les salariés et bénévoles : ce n’est rien d’autre qu’un fichage des participants à ces Jeux. L’expérimentation de caméras augmentées, c’est-à-dire assistées par intelligence artificielle, nous inquiète tout particulièrement. Elles vont scanner des millions de personnes à la recherche de comportement anormaux. Déjà, il faudrait définir ce qu’est un comportement anormal : pour prendre une comparaison simple, quelqu’un qui court, court-il parce qu’il a posé une bombe ou pour attraper le bus ? Des milliers de comportements vont être mis en mémoire. Nous ne contestons pas le principe de la surveillance : il est normal que la police soit vigilante lors d’une manifestation qui va drainer des millions de personnes dont beaucoup de visiteurs étrangers. Nous sommes préoccupés en revanche par l’expérimentation d’une nouvelle technologie qui va concerner les lieux des manifestations sportives mais aussi leurs abords – que là encore il faudrait définir – et les voies de transports publics les desservant. Pour parler clairement, cela implique de surveiller les transports allant de Paris Charles-de-Gaulle jusqu’à Paris centre. Ces tronçons vont faire l’objet d’une surveillance par caméras et par drone. Nous avions déjà émis un avis réservé sur l’usage des drones équipés de téléobjectif puissants pour surveiller les manifestations alors que les manifestations, quand elles sont pacifiques, constituent un droit constitutionnel. La surveillance est normale mais jusqu’à un certain point.

Actu-Juridique : Que va-t-il advenir de ces images ?

Jean-Marie Burguburu : C’est un autre sujet de préoccupation. S’agissant de la durée de conservation des images collectées, le projet de loi renvoie au régime déjà en vigueur pour la vidéoprotection et précise que ce délai ne peut excéder un mois. Ce qui peut poser problème est que ces images vont être réutilisées pour poursuivre l’apprentissage du système d’intelligence artificielle. Comme la CNIL l’a elle-même souligné dans son avis du 8 décembre 2022, l’utilisation de données collectées en conditions réelles comporte un risque particulier, en réduisant les possibilités de contrôle humain sur le développement du système.

Actu-Juridique : Le public sera-t-il informé de cette surveillance massive ?

Jean-Marie Burguburu : Le projet de loi essaye de justifier la surveillance en disant que le public sera informé par tout moyen approprié. Mais il ne précise pas quels seront ces moyens. On voit mal comment le public pourrait être averti d’une surveillance aérienne par drone, encore moins du fait que la collecte des images fait l’objet d’une analyse automatisée. À moins qu’un avion ne traîne derrière lui une banderole informant de la surveillance, mais le tractage par avion a été récemment interdit ! Dans tous les lieux exposés à de la vidéosurveillance, il y a un panneau indiquant qu’il est protégé par des caméras. Dans le cas présent, il faudrait que ce panneau soit posé tous les 100 mètres entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et le centre de Paris. Nous n’y croyons pas. Que l’information fasse défaut est problématique.

Actu-Juridique : Qui regardera ces milliards d’images ?

Jean-Marie Burguburu : Des agents publics spécialement habilités sont en principe les seuls compétents pour visionner les images collectées par les caméras, fixes ou aéroportées. En l’occurrence, cette expérimentation a pour but d’introduire un nouvel acteur dans le visionnage et l’analyse des images : l’intelligence artificielle. Celle-ci attirera l’attention des agents sur telle ou telle image qu’elle estime suspecte. Or, rappelons-le, ce sont des entreprises privées qui paramètrent ces systèmes d’analyse automatisée pour détecter ce qui est « normal », ce qui est « suspect » ou pas. De ce point de vue, l’expérimentation remet quelque peu en cause le monopole de l’État dans la surveillance de la voie publique.

Actu-Juridique : Pensez-vous que ce projet de loi puisse encore être amendé ?

Jean-Marie Burguburu : Il faut être réaliste. Je ne vois pas le gouvernement renoncer à ce projet de loi. Mais il faut espérer que les députés entendent les réserves exprimées par la CNCDH et un certain nombre d’associations de défense des droits humains. Si cela pouvait contribuer à ce que le projet soit affiné et que des dispositions soient précisées ou retirées, cela serait déjà un résultat positif pour les droits humains.

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