Simplification et qualité du droit : une urgence démocratique !

Publié le 19/10/2016

Le Conseil d’État a présenté le 27 septembre dernier son étude annuelle. Elle est consacrée à la simplification et à la qualité du droit. Pour la haute juridiction, il y a urgence à mettre en place une vraie politique de simplification du droit.

Le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, est un homme plutôt réservé. Alors quand il déclare à l’occasion de la présentation à la presse de l’étude annuelle de l’institution, consacrée à la simplification du droit, « Le Conseil d’État aurait été gravement défaillant s’il ne s’était saisi du sujet », c’est qu’il y a réellement péril en la demeure. D’ailleurs, l’introduction n’hésite pas à évoquer la « menace » pour l’État de droit que constitue « la complexité croissante des normes », voire à brandir l’« urgence démocratique ». Il est vrai que le Conseil d’État occupe un poste d’observation privilégié pour évaluer la qualité du droit, tant au titre de son activité consultative que juridictionnelle. D’ailleurs, c’est la troisième fois en moins de trente ans qu’il tire la sonnette d’alarme sur le sujet. Son premier rapport sur la question remonte à 1991. C’est l’époque de la prise de conscience. Quinze ans plus tard, il sort un deuxième rapport qui inspirera la réforme constitutionnelle de 2008, imposant le recours aux études d’impact pour évaluer les réformes. « Mais le bilan est décevant. Les maux n’ont pas été traités et se sont au contraire aggravés », constate Jean-Marc Sauvé.

Agir en s’inspirant des exemples étrangers

D’où ce troisième coup de semonce. Une étude de plus, songera-t-on. Un pensum gigantesque et savant que seuls liront, et encore pas en entier, quelques universitaires intéressés par la question. Le Conseil d’État a anticipé ce danger et opté pour un rapport condensé d’une petite centaine de pages. Il est vrai qu’il a tout dit sur les causes et les effets de l’inflation des textes dans ses précédents rapports. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une maladie française, mais une pathologie commune à toutes les démocraties. Elle est la conséquence de la complexification du monde, du poids grandissant des normes supranationales, mais aussi d’une action politique toujours tentée de s’exprimer sous forme de loi pour intéresser les médias et convaincre le public de sa détermination et de son efficacité. Il n’y a rien à ajouter au diagnostic dressé en 2006, il faut désormais agir, ce qui suppose de modifier en profondeur la culture législative en France. « La loi sur la transition énergétique comprenait à l’origine 64 articles. Au final elle en compte 215, soit plus du triple. Son efficacité est-elle trois fois plus grande ? Je ne suis pas sûr », a déclaré Jean-Marc Sauvé. Ou le projet était gravement lacunaire, ou il y a un manque de maîtrise. Pour identifier et proposer des remèdes, le Conseil d’État a mené quelques études de droit comparé avec des pays de l’Union. Conclusion ? « Ils sont soumis aux mêmes contraintes mais, à l’évidence, beaucoup de pays résistent mieux à la pression », observe Jean-Marc Sauvé. Ainsi l’Allemagne, par exemple, s’est engagée dans un programme de lois dites « de nettoyage » qui l’a menée à abroger pas moins de 150 000 textes. L’Italie en a supprimé 60 000. Les Pays-Bas, de leur côté, ont réalisé 2 milliards d’euros d’économies grâce à un programme de simplification. L’Europe elle-même est parvenue à réduire en 2015 à 80 le nombre de nouvelles directives contre 300 dans les années « fastes » !

Élaborer des outils d’analyse

De l’analyse des modèles étrangers et de ses propres travaux, le Conseil d’État a dégagé 27 propositions pour changer la culture de la réglementation en France. L’objectif ? Faire en sorte que la simplification, actuellement perçue comme une ennuyeuse obligation et reléguée en fin de processus législatif, devienne une politique à part entière. Ce qui suppose de commencer par se doter d’outils d’analyse. Malgré les chiffres qui circulent en effet sur le nombre de textes en vigueur en France, les productions annuelles de nouveaux textes, etc., l’étude du Conseil d’État souligne qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun outil statistique fiable pour mesurer la production de normes ainsi que les effets de la norme et la manière dont elle est perçue. Pourtant, ces outils existent. S’agissant par exemple des coûts de la réglementation, les Pays-Bas appliquent deux méthodes, le SCM (standard cost model), qui part de la loi pour évaluer les coûts des obligations imposées aux entreprises (méthode promue par l’OCDE), et la CAR (cost-driven approach to regulatory burden), qui part de l’entreprise et identifie les coûts d’adaptation et de mise en œuvre. La première étape consiste donc à réunir juristes et statisticiens pour mettre en place les méthodologies d’analyse.

Systématiser les études d’impact ex ante et ex post

Sur la base de données statistiques fiables, il s’agira ensuite pour le Premier ministre de fixer les axes d’une véritable politique de simplification, concevoir un code de bonne conduite, puis diffuser les consignes dans les ministères. L’un des principaux moyens d’action prônés par l’étude est le renforcement des études d’impact. Actuellement elles sont réalisées en fin d’élaboration de réforme et limitées aux projets de loi. L’une des propositions consiste à les étendre à tous les textes, y compris aux ordonnances et aux textes réglementaires, voire même aux amendements les plus importants. Aussi et surtout, il s’agit de les faire remonter en amont du processus législatif, au stade initial de l’étude d’option, pour évaluer avant tout projet si une réforme apporterait ou non des avantages par rapport à d’autres moyens d’action. Ces études devraient être réalisées sous le contrôle d’un organisme indépendant, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays européens. Le Conseil d’État recommande également de confronter plus systématiquement les projets de réforme à leurs utilisateurs via la création d’un conseil unique d’évaluation des normes. De même, il souhaite voir se développer les évaluations ex post via des clauses de réexamen inscrites systématiquement dans les textes sur le modèle anglo-saxon.

Pour donner l’exemple et sans doute aussi convaincre les pouvoirs publics de l’urgence d’agir, le Conseil d’État a lui-même pris plusieurs engagements dont celui de rejeter à l’avenir les textes qui introduiraient une complexité excessive dans notre système juridique. Un engagement pour l’exemple qui ressemble à s’y méprendre à une menace…