Guillaume Cairou : « Notre territoire, les Yvelines, est résilient face aux difficultés économiques »

Publié le 27/11/2023

Dans ses prévisions de septembre 2023, la Banque de France a estimé une croissance à hauteur de 0,9 % pour 2024. Le ralentissement de l’activité prévue cette année devrait se poursuivre l’année prochaine. Un phénomène engendré par la forte inflation, qui devrait atteindre 5,8 % en 2023, d’après la Banque de France. Pour tenter d’endiguer cette évolution, la Banque centrale européenne a décidé le 14 septembre 2023 de porter son taux directeur à un niveau jamais atteint depuis la création de cette institution. Le taux de dépôt qui fait référence dans le domaine économique a été porté à 4 %. Dans cette situation, plusieurs secteurs d’activité et certaines entreprises connaissent des difficultés. C’est le cas notamment dans les Yvelines (78) même si le territoire résiste mieux par rapport à d’autres départements. Le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) des Yvelines, Guillaume Cairou, analyse la conjoncture actuelle et son impact sur le tissu économique du département. Entretien.

Actu-Juridique : Comment pouvez-vous décrire la conjoncture économique actuelle ?

Guillaume Cairou : Globalement, la situation économique en cette rentrée 2023 est plutôt alarmante. Nous constatons un essoufflement global de la croissance que nous avons connue suite à la crise sanitaire. Néanmoins, il y a une légère augmentation du pouvoir d’achat et de la consommation des ménages. Mais cette évolution déplace la pression sur les entreprises. Nous sommes en train de constater un risque sur l’investissement de production et l’emploi notamment à travers la très mauvaise situation de l’immobilier d’entreprise et de la construction. Le secteur du bâtiment est vraiment sinistré en ce début de rentrée.

AJ : Avez-vous quelques chiffres concernant le département des Yvelines ?

Guillaume Cairou : Dans les Yvelines concernant le secteur du bâtiment, nous constatons une baisse de 23 % des surfaces autorisées à la construction et une chute brutale des chantiers de plus de 60 %. Cette conjoncture a un impact sur les défaillances avec une hausse de 33 % sur le premier semestre 2023. Parallèlement, les créations d’entreprises ralentissent avec une diminution de 5 %. En revanche, le chômage se stabilise à travers une légère baisse de 0,1 %. Le taux de chômage dans les Yvelines fait partie des plus faible de la région Île-de-France. Dans le même temps, le secteur du tourisme a aidé à porter cette économie essoufflée. Cet été, nous avons noté une augmentation de la fréquentation hôtelière à hauteur de 22 %. Mais cette évolution reste inférieure à la période avant la crise sanitaire.

AJ : Quelles sont les conséquences et les raisons de cette conjoncture ?

Guillaume Cairou : Les moteurs de la croissance s’essoufflent avec un impact possible à moyen et long terme sur l’emploi. Le ralentissement est aussi constant au niveau mondial. Nous avons une sensible réduction du PIB national et du PIB mondial mais qui n’est pas suffisante pour rassurer les acteurs économiques à long terme. C’est une conséquence de l’augmentation des taux d’intérêt suite aux décisions des banques centrales dans leur politique monétaire pour tenter de réduire l’inflation. Il y a aussi le spectre de la fiscalité mais la Première ministre et le ministre de l’Économie nous ont rassurés sur le décalage de la suppression de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui viendrait porter un coup brutal aux efforts fournis par l’ensemble des acteurs économiques sur la période de reconstruction. La situation reste incertaine. Il va donc falloir redoubler d’effort.

AJ : Comment cette conjoncture économique est-elle ressentie sur le terrain par les dirigeants d’entreprise yvelinois ?

Guillaume Cairou : Notre économie est portée à la fois par des acteurs traditionnels comme le secteur de la construction et du bâtiment. Ce sont les fondations d’une bonne conjoncture économique et d’un taux d’emploi satisfaisant dans un territoire. En revanche, les sociétés engagées dans ces activités sont dans des situations que nous n’avons pas connues même avant la crise sanitaire. Puis, nous avons l’émergence de nouveaux acteurs liés à la quatrième révolution industrielle portée par les technologies innovantes. Il y a l’intelligence artificielle ou la robotique qui sont largement représentées dans les Yvelines et notamment sur le plateau de Saclay, où il y a un gros pôle d’innovation et de compétitivité pour l’ensemble de la région Île-de-France et même du territoire national. Nous avons aussi des acteurs de la transition numérique et de la cybersécurité qui se portent très bien.

AJ : En quoi les Yvelines semblent mieux s’en sortir par rapport à cette conjoncture économique ?

Guillaume Cairou : Notre territoire reste résilient car il a su tirer parti du plan de relance et des efforts réalisés sur la décarbonation notamment dans le cadre du programme France 2030. Notre territoire est porté par de gros acteurs de la transition numérique et écologique avec des innovations dans les énergies alternatives. Le département est aussi une plateforme logistique importante au niveau régional et national avec la Seine. C’est l’un des principaux couloirs économiques de notre pays. Cet axe fluvial fait vivre un certain nombre d’industries. Il y a l’activité spatiale, aéronautique ou encore la mobilité notamment décarbonée. Plusieurs entreprises ont réussi leur transformation dans ce dernier domaine. Plusieurs sociétés technologiques à très forte valeur ajoutée sont aussi présentes dans les Yvelines. Notre seul département a engrangé plus de 500 millions d’euros d’investissement dans les secteurs d’avenir. Avec cette position de premier acteur industriel de la région Île-de-France, nous nous en sortons mieux notamment en regardant les chiffres du chômage. Le secteur du tourisme est aussi important avec le château de Versailles qui attire des touristes et contribue à la dynamique des commerces dans la ville. Mais, encore une fois, les acteurs du territoire et les risques sont assez contrastés par rapport à la conjoncture et aux secteurs d’activité.

AJ : Quelles sont les entreprises touchées aujourd’hui par les difficultés ?

Guillaume Cairou : Les entreprises concernées aujourd’hui par les difficultés sont majoritairement des TPE et PME qui n’ont pas pu prendre la vague de la transition numérique et écologique. Elles n’ont pas pu bénéficier du soutien financier des acteurs du financement. Le problème principal n’est pas forcément le carnet de commandes mais la situation financière de ces sociétés fragilisées notamment par le remboursement du prêt garanti par l’État (PGE). Pour certaines entreprises, qui ont bénéficié de ce dispositif, n’ont pas su rebondir trois ans après la crise sanitaire. Par conséquent, nous constatons une accélération des fusions et acquisitions avec des regroupements dans les différents secteurs de l’économie. La dynamique de rachat est plus importante que d’habitude.

AJ : Vous êtes depuis quasiment deux ans président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines. Quel bilan faites-vous de votre mandat ?

Guillaume Cairou : Nous avons su retrouver la place naturelle d’une CCI comme un acteur essentiel de l’économie de nos territoires. Nous avons 250 communes. Nous avons mis en place un certain nombre de leviers à travers les territoires. La problématique essentielle des près de 142 000 entreprises des Yvelines était l’accès aux financements, de pouvoir bénéficier d’un accompagnement et d’une information sur l’ensemble des possibilités et des aides à disposition notamment des petites entreprises. Nous avons de plus en plus de sociétés. Si je me réfère à la soirée des entrepreneurs qui s’est tenue avant la période estivale, nous avons reçu 600 chefs d’entreprise. Du jamais-vu depuis 20 ans ! Les chefs d’entreprise ont compris l’intérêt de travailler en réseau, de se soutenir mutuellement les uns les autres et d’utiliser un outil parmi d’autres. La CCI travaille avec un tissu d’acteurs à la création et au développement d’entreprises. Le challenge principal de la CCI est de mettre en œuvre avec les services de l’État le plan de revitalisation concrétisé par la cogestion du fonds de revitalisation. Ce dispositif permet la création de plusieurs milliers d’emplois sur notre territoire. On est aujourd’hui plus reconnu que nous ne l’étions à travers la centaine d’acteurs et d’associations qui existent sur le territoire. Nous essayons de fédérer et de rassembler les acteurs économiques yvelinois en travaillant main dans la main avec les services de l’État et les collectivités.

AJ : Avec la conjoncture actuelle et les difficultés que peuvent connaître certaines entreprises, comment la CCI peut-elle agir auprès de ces sociétés ?

Guillaume Cairou : Le fil rouge de mon programme est de garder une relation de proximité avec l’ensemble des entreprises. L’idée est de pouvoir communiquer en temps réel. Sur ces deux dernières années, nous avons connu une problématique centrée sur les ressources humaines et les tensions que peuvent connaître certains secteurs d’activité. Aujourd’hui, nous allons nous attacher à un problème un peu plus large avec des sociétés qui vont avoir envie de se maintenir dans la période que nous allons aborder sur l’aspect financement et notamment le besoin en fonds propre. Nous allons mobiliser les différents acteurs de ce domaine notamment les banques, la banque publique d’investissement ou encore la région Île-de-France pour soutenir cette croissance indispensable de nos TPE et PME. La moitié des aides sont concentrées aujourd’hui sur une poignée de grands groupes industriels qui ont les équipes pour pouvoir répondre à des appels à projet. On va devoir accélérer l’ingénierie sur l’accès à des financements et le financement en lui-même de la création d’entreprise et du maintien de certaines sociétés fragilisées. C’est donc un gros axe de travail sur l’investissement productif pour maintenir un taux de chômage faible et l’innovation nécessaire à la croissance pérenne des entreprises.

AJ : Du côté des CCI et de leur fonctionnement, attendez-vous aussi un soutien de la part de l’État ?

Guillaume Cairou : Comme président de chambre de commerce et d’industrie, nous savons que les budgets de ces organisations ont été rabotés au fil des gouvernements successifs alors que la question principale est la résilience du développement de notre tissu de PME et de TPE qui passe par les acteurs de l’accompagnement. Il ne faut pas les négliger. Il faudrait une stabilisation des dotations budgétaires des établissements consulaires qui accompagnent nos 4,4 millions d’entreprises dans les transitions et les transformations nécessaires de notre économie, qui vont passer par davantage de sobriété et de décarbonation.

AJ : Avec la Coupe du monde de rugby 2023 et les Jeux olympiques de Paris en 2024, quel regard portez-vous sur l’impact de ces deux événements sportifs sur l’économie ?

Guillaume Cairou : Ces deux événements sportifs sont des accélérateurs. On a déjà eu une Coupe du monde de rugby en France il y a quelques années. On voit l’impact que ces rendez-vous peuvent avoir sur le tourisme, sur la visibilité et l’attractivité de notre territoire et plus largement de notre région capitale. Les Jeux olympiques seront une vitrine pour l’ensemble des entreprises du territoire, de la région et du pays. Une dizaine d’épreuves olympiques et paralympiques se dérouleront dans notre département. Nous avons des véritables opportunités. Un secteur comme la construction en bénéficie déjà avec l’aménagement de certaines infrastructures. Dans les Yvelines, certaines sociétés n’ont pas encore véritablement conscience de l’impact des Jeux olympiques. Les conséquences seront phénoménales avec des milliards de personnes qui auront les yeux braqués sur notre territoire et sur nos villes. Il y a Versailles qui est un exemple de fleuron de notre industrie. Le château a été précurseur sur un certain nombre de sujets notamment avec la création de Saint-Gobain. Nous avons aussi été pionniers avec Parly II, premier centre commercial de France, le palais des congrès de Versailles qui est le premier palais des congrès de France. Nous avons été précurseurs sur plusieurs sujets et nous allons travailler là-dessus à travers des expositions et de la communication.

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