« Il faut plus que jamais encourager la création d’entreprise »
Depuis sa création il y a 16 ans, le réseau Entreprendre 93 a accompagné plus de 300 entreprises en Seine-Saint-Denis. L’association mise sur celles-ci pour créer de l’emploi dans un département fragile socialement. Léa Pons, directrice du réseau, nous explique comment celui-ci accompagne les créateurs d’entreprise bousculés par la crise sanitaire.
Les Petites Affiches : Comment se portent les entreprises du réseau Entreprendre 93 ?
Léa Pons : Nous sommes une association de dirigeants, nous donnons du temps et de l’argent à des créateurs d’entreprise pour les aider à démarrer. Nous finançons entre 20 et 25 nouvelles entreprises chaque année. Nous aidons les créateurs d’entreprise par du financement et par de l’accompagnement humain, sous forme de mentorat et d’ateliers collectifs. Dans notre réseau, nous avons donc deux types d’entreprises.
Nous avons à nos côtés 130 dirigeants engagés en tant que mentors qui accompagnent les jeunes créateurs. Ils ont beaucoup d’expérience et une stabilité financière. Ils ont réussi à s’organiser, se sont mis en chômage partiel lorsque c’était possible, et ont de bonnes relations avec leurs banques qui leur ont permis de débloquer le prêt garanti par l’État. Ils sont généralement en capacité de tenir les prochains mois et sont confiants sur la reprise. De l’autre côté se trouvent les créateurs d’entreprises, ceux que l’on accompagne. Pour eux, c’est évidemment beaucoup plus compliqué. Ils ont mis toutes leurs économies dans un projet, ceux qui ont ouvert un restaurant ont fait de long mois de travaux. Lorsqu’ils ont enfin la possibilité de commencer et faire du chiffre d’affaires, tout s’arrête ! Ces créateurs que nous accompagnons sont souvent des demandeurs d’emploi au RSA ou même sans revenus. C’est difficile moralement car ils ne voient pas quand cela va finir. Les entreprises du secteur de l’événementiel savent qu’elles ne redémarreront pas avant septembre. Ces créateurs sont d’autant plus inquiets que les mesures d’aides aux entreprises qui existent, très importantes, ne les concernent pas. On demande pour y accéder de fournir des éléments comptables sur l’année précédentes. Pour les start-ups, qui commencent petit et grandissent vite, c’est impossible. En 2019, nos créateurs n’avaient pas de chiffre d’affaires et pas de salariés. Leur situation en 2020 est totalement différente.
LPA : Quelle est votre mission pendant la crise ?
L. P. : Nous continuons notre travail d’accompagnement. Dans les premières semaines, nous avons accéléré nos décaissements. Nous octroyons des prêts sans intérêts et avons fait en sorte que ceux-ci soient versés très vite. La première semaine de confinement, nous avons ainsi décaissé 90 000 euros. Nous avons contacté les établissements bancaires avec lesquels nous travaillons pour les inciter à accompagner nos lauréats et à être réceptifs face à leurs éventuelles demandes de prêt garantis par l’État. Nous continuons au maximum les activités d’accompagnement de projet, à distance et en télétravail. Nous poursuivons l’étude des business plans, ainsi que les rendez-vous et conférences, désormais en visio. Nous avons créé un groupe WhatsApp pour nos lauréats et leur envoyons toutes les semaines une newsletter avec nos actualités. Nous favorisons les échanges de bonnes pratiques. Si une entreprise est parvenue à obtenir l’aide du fonds de solidarité, nous lui proposons d’expliquer à d’autres comment elle a procédé. Enfin, parmi nos mentors, certains proposent des consultations gratuites : un cabinet d’avocats propose du conseil gratuit, un autre, spécialisé en coaching, aide les entrepreneurs à gérer les relations avec leurs équipes et éventuels associés. Nous essayons aussi de faire jouer la solidarité. Lorsqu’une entreprise est spécialisée sur un domaine, elle met son expertise à disposition des autres, par skype ou téléphone.
LPA : De quelles manières les créateurs peuvent-ils s’adapter ?
L. P. : Une entreprise, pour élaborer un business plan, doit se projeter sur les 3 prochaines années, prévoir les recrutements et les charges sur cette période. Ce sont des dossiers longs à réaliser, il faut faire des recherches et des études de marché pour se projeter et imaginer ce qu’on va être capable de faire. Les créateurs avaient commencé à réunir des éléments depuis des semaines et en mars toutes leurs prévisions sont tombées à l’eau. Imaginez un restaurateur qui pensait faire 50 couverts à son démarrage, non seulement ce n’est plus le cas mais il ne sait pas quand ça va reprendre. Toutes les prévisions financières sont caduques. Il faut les revoir avec eux. L’étude de marché est également rendue difficile. Quand on lance un concept, on étudie les pratiques des consommateurs. Celles-ci sont en train d’évoluer. Des choses que l’on pensait dans l’air du temps ne le sont plus. Par exemple, un restaurateur que nous accompagnons a ouvert un mois avant le confinement. Pour se démarquer de ses concurrents, il avait imaginé faire des rencontres intergénérationnelles sur le temps du thé ou du goûter. Des enfants en bas âge devaient rencontrer des personnes âgées. Il est peu probable qu’un tel concept survive au confinement. Ce restaurateur va devoir trouver une autre idée pour attirer des clients et booster l’activité sur cette tranche peu dynamique de 14 heures à 17 heures.
LPA : Encouragez-vous les créateurs à continuer ?
L. P. : Plus que jamais, mais en prenant la crise en compte dans leur projet. Globalement, nous les invitons à revoir leurs prévisions à la baisse et à faire plusieurs scénarios selon la date de reprise. On les incite à se projeter sur trois scénarios de reprise : le premier ayant lieu en juin, le deuxième en septembre ou et le dernier en janvier 2021. Dans ce laps de temps, un certain nombre d’aspirants à la création d’entreprise, qui sont inscrits à Pôle emploi, arriveront en fin de droits. Ils ont pendant ce ralentissement subi un peu de temps pour tester de nouvelles idées, faire des études de marché, des sondages en ligne. Nous les incitons à mettre ce temps à profit. Sinon, quand ils vont relancer la machine, ce sera encore plus dur.
LPA : Est-ce particulièrement important, pour la Seine-Saint-Denis, que la création d’entreprise se poursuive ?
L. P. : La maxime de notre association est que pour créer des emplois, il faut créer des employeurs. La Seine-Saint-Denis est un département sur lequel il y a des difficultés sociales et économiques et un taux de chômage élevé. Et c’est en même temps un territoire dynamique, très jeune et multiculturel, avec plein d’idées. La création d’entreprises est une solution pour tous ces jeunes qui ont plein d’idées et qui ne rentrent pas forcément dans les cases pour trouver un emploi en CDI. Cela leur permet de trouver leur voie, et de lancer de nouvelles idées et innovations. C’est donc une solution pour eux personnellement mais aussi pour le territoire. Leur énergie est encore plus nécessaire en ce moment. En période de crise économique, la création d’entreprise est un outil d’insertion et un outil personnel pour accéder à des revenus. Au vu des difficultés qui ne manqueront pas d’arriver, il faut accompagner la création d’entreprise car ce sont elles qui vont recréer du dynamisme dans quelques mois.