« J’ai le sentiment que l’économie francilienne n’est pas complètement repartie »

Publié le 30/09/2020

Spécialisée dans le financement et le développement des entreprises, la Banque publique d’investissement joue un rôle majeur dans la crise économique depuis le confinement. Prêt garanti par l’État, accompagnement et conseils auprès des entrepreneurs, la mobilisation se poursuit pour faciliter la reprise, avec quelques signes optimistes, en Île-de-France. Le regard et les explications d’Olivier Vincent, directeur régional de Bpifrance d’Île-de-France Ouest.

Actu Juridique : Globalement, quel est le rôle de Bpifrance dans la gestion de la crise économique actuelle ?

Olivier Vincent : Concernant le contexte, l’économie a subi un arrêt cardiaque. Nous nous sommes donc immédiatement organisés pour perfuser l’économie. Je prends cette image car elle est proche de la réalité. À Bpifrance, nous avons mobilisé l’ensemble des équipes, nous avons sorti des produits pour supporter nos clients et toutes les entreprises de France. Beaucoup d’entreprises se sont retrouvées sans chiffre d’affaires, ce qui a nécessité une mobilisation immédiate, comme l’injection de cash pour limiter la casse. Je pense notamment aux entreprises du tourisme, mais pas seulement. Nous avons travaillé avec l’ensemble des acteurs de l’État, en sortant des prêts Bpifrance notamment en partenariat avec les régions, puis rapidement, nous sommes arrivés à la mise en place du prêt garanti par l’État (PGE). Ce prêt concerne l’ensemble des banquiers et de l’économie française. Nous avons eu aussi un rôle d’accompagnement et de conseil auprès des entrepreneurs, car il y a vraiment eu des personnes dans la douleur. Ce qui a été assez fantastique, c’est que l’ensemble des salariés de Bpifrance, comme des « pompiers jaunes », se sont mis à l’écoute des entrepreneurs.

AJ : La région Île-de-France représente plus de 30 % du PIB national. Quelles ont été les principales difficultés des entreprises franciliennes ?

O.V. : L’économie francilienne est très vaste, chaque secteur connaît une situation différente. Nous avons dû adopter une approche très granulaire, pour répondre à énormément de sociétés avec chacune son histoire et sa problématique. Mais globalement, il y avait deux choses. D’abord, concernant les très petites entreprises (TPE), il n’y avait aucune visibilité au-delà du mois en cours, elles ne se sentaient pas capable de payer leurs salariés. Elles étaient dans une urgence face au risque de déposer le bilan. Pour les entreprises de taille plus significative, la visibilité était à très court terme. Il y avait aussi des entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise. Toutes ces sociétés se sont organisées pour régler leur problème de trésorerie le plus rapidement possible. Le manque de visibilité a aussi conduit de nombreux entrepreneurs à avoir recours au PGE pour sécuriser une situation inconnue, plutôt que pallier un véritable manque de trésorerie.

AJ : Quel sentiment avez-vous sur la reprise économique depuis le déconfinement ?

 O.V. : C’est un peu le yin et le yang. Je constate des choses qui me rendent optimiste notamment par rapport à nos clients. J’ai des situations qui sont effectivement de bonne qualité, avec des entrepreneurs qui ont beaucoup emprunté par manque de visibilité, et me disent bientôt commencer à rembourser. Je vois aussi des dirigeants d’entreprises qui me disent que c’était moins grave que ce qu’ils pensaient, et qu’ils sont repartis. Si l’on prend l’exemple du BTP, les sociétés ont arrêté des chantiers déjà démarrés et ont repris au moment du déconfinement. Mais j’ai aussi le sentiment que l’économie francilienne n’est pas complètement repartie, de nombreuses entreprises sont encore en télétravail. Mais, je crois que l’on aura une vision réelle des choses à la fin de l’année 2020 et à l’échéance des PGE, au premier semestre 2021.

Je vois aussi des dirigeants d’entreprises qui me disent que c’était moins grave que ce qu’ils pensaient, et qu’ils sont repartis

AJ : Par rapport à la reprise économique, vous avez lancé avec la région Île-de-France le prêt Rebond. Quel premier bilan faites-vous de cet outil ?

O.V. : On est toujours très actif sur ce sujet. C’est un prêt, à taux zéro, allant de 10 000 à 300 000 € et destiné aux PME et TPE. Nous avons vraiment une volumétrie de dossiers très forte sur cet outil, sur lequel nous travaillons en partenariat complet avec la région Île-de-France. Globalement pour les PME et TPE, ces prêts financent les besoins de trésorerie. Certains ont un besoin quasi immédiat, d’autres veulent ce prêt pour avoir un « matelas de cash » supplémentaire pour stocker un peu d’argent, dans des conditions attractives, puisque c’est à taux zéro.

AJ : Bpifrance a un rôle important auprès des créateurs d’entreprises. Comment ont évolué les créations d’entreprise ces derniers mois ?

O.V. : Entre juin 2019 et juin 2020, les créations d’entreprises ont augmenté de 20 % en Île-de-France. Mais, cette évolution n’a pas de grande signification car il y avait une tendance positive, qui s’est ensuite affaissée au moment de la crise. En revanche, on constate une baisse de 13 % si on compare la période janvier-juin 2019 et janvier-juin 2020, ce qui peut indiquer que la création d’entreprise a pris un coup derrière la tête. Néanmoins, je ne suis pas certain qu’on ait envie de créer sa société en juillet ou en août, et créer son entreprise ne se décide pas sur un coin de table en deux minutes. Il pourrait donc y avoir un effet report, dans les prochains mois.

Entre juin 2019 et juin 2020, les créations d’entreprises ont augmenté de 20 % en Île-de-France

AJ : Vous venez de lancer un plan de 40 Md€ pour financer la transition environnementale jusqu’en 2025. En quoi consiste ce plan ?

O.V. : Globalement, ce plan représente notre ADN. L’idée, qui est dans les cartons depuis 2 ans, c’était de faire une banque verte. Cette banque verte est donc en place en collaboration avec la Banque des territoires (Caisse des dépôts), qui participe à hauteur de 50 % du montant global et aura un rôle important auprès des collectivités puisque c’est son activité. De notre côté, nous allons mettre en place une palette de produits pour financer et accompagner la transition énergétique des entreprises. Aujourd’hui, on finance déjà des gros projets comme l’installation d’éoliennes, ou encore l’innovation pour les « Green Techs ». Nous allons descendre le curseur pour se focaliser sur les chefs d’entreprise de TPE et PME, pour les sensibiliser à la transition écologique. On fera cela de concert avec l’Agence de la transition écologique (ancienne Ademe).

AJ : Quel rôle Bpifrance va jouer dans le cadre du plan de relance du gouvernement ?

O.V. : Bpifrance a plusieurs rôles dans le cadre de ce plan qui est extrêmement large et recouvre de nombreux domaines de l’économie. Par exemple, en ce qui concerne le financement de la relocalisation, Bpifrance a un rôle technique et financier pour accompagner l’État pour l’octroi de subventions. C’est aussi le même mécanisme pour les subventions aux entreprises de l’aéronautique et de l’automobile qui souhaitent se transformer. Pour analyser un dossier, vous regardez trois axes : la contrepartie, à savoir l’histoire de l’entreprise et sa stratégie. Ensuite, vous avez un axe financier et enfin le projet en lui-même, qui fait l’objet de la demande de subvention. Nous sommes également le bras armé de l’État pour le financement de l’innovation, qui va être augmenté. Bpifrance va enfin participer au renforcement des fonds propres des entreprises dans le cadre des mesures gouvernementales. Globalement, sur ce plan de relance, par expérience, je constate que l’État fait un vrai effort et qu’il est très impliqué. On verra les résultats à long terme. Pour l’économie, cette stratégie globale est une excellente nouvelle.

X