Journée ExpérimentiELLE ou les enjeux de l’entrepreneuriat au féminin

Publié le 03/04/2019

Le 15 mars dernier, une journée organisée par la mairie de Levallois (92) permettait aux femmes entrepreneuses de se rencontrer, d’assister à des tables rondes ou des débats. Dans le cadre revigorant et ludique du château de la ville, rebaptisé Zalthabar, et aujourd’hui utilisé pour des séminaires d’entreprise, elles ont pu apprendre comment mieux réseauter, concilier vie familiale et vie professionnelle ou encore optimiser le potentiel de l’entrepreneuse grâce à l’auto-coaching. Nous nous sommes particulièrement intéressées à la question de la présence des femmes dans les conseils d’administration, véritables lieux de pouvoir. Une obligation légale depuis 2011, mais pas toujours appliquée correctement…

Le 15 mars dernier, une effervescence bon enfant mais studieuse, s’est emparée du Zalthabar, où l’événement ExpérimentiELLE était organisé. Une formidable opportunité pour les femmes dirigeantes de réseauter, de prendre de bons conseils et des stratégies judicieuses pour s’imposer dans le monde encore très masculin de l’entrepreneuriat. D’ailleurs, les hommes étaient rares ce jour-là et discrets dans les parterres de participantes. Les femmes, elles, étaient ravies de prendre la parole… ainsi que de la donner. Parmi les nombreux ateliers organisés, celui sur la féminisation des conseils d’administration et de surveillance permettait d’aborder la place des femmes dans les entreprises de façon à la fois chiffrée et pratique. Les intervenantes, Viviane de Beaufort, professeure de droit, fondatrice, entre autres, du programme « Women Empowerment » de l’Essec, et Anne Navez, fondatrice et présidente de Votre-Administrateur.com, en avaient à dire, sur ce thème sensible. Car « les boards sont des lieux de pouvoir et d’influence ». Pour Viviane de Beaufort, le constat est clair et le combat pour une plus grande représentation des femmes dans les conseils d’administration – une disposition désormais légalement requise en France –, indispensable. Celle qui est également fondatrice du Club Génération #Startuppeuse a vocation à « accompagner les femmes, à faire du lobbying puisqu’elles sont encore ultraminoritaires dans un milieu qui n’a pas été conçu pour elles. Il faut les aider à renforcer leurs compétences (finances, droit, marketing…), les faire travailler sur leur assertivité, leur confiance en elles, leurs capacités de médiation, etc. », estime-t-elle.

Car malgré la loi Coppé-Zimmermann de 2011, qui pose l’obligation de respecter un quota minimum de membres de chaque sexe afin d’assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des entreprises, le compte n’y est pas encore, en dehors des entreprises du CAC 40 (où les femmes sont présentes à 43 %). En effet, Viviane de Beaufort souligne deux freins majeurs. « Il existe un vrai problème de data, car hors SBF120 (société des bourses françaises), les entreprises n’ont pas l’obligation de publier de résultats. Or sans données, on ne peut pas avancer sur ces questions », explique-t-elle. Par ailleurs, face à des habitudes culturelles fortes, il est nécessaire « d’élaborer une stratégie, tout autant que désapprendre sa façon de faire pour en adopter une autre ».

Anne Navez constate, quant à elle, que le « marché de la gouvernance n’est pas organisé », d’où son ambition d’accompagner les entreprises à travers sa société Votre-administrateur.com, soit « à trouver de bons administrateurs ou à réaliser l’évaluation du fonctionnement du CA ». Elle mène ainsi des actions de formation, est en contact avec des associations (qui comptent également des administrateurs) et avec de jeunes entreprises, notamment les start-up qui ont besoin d’être accompagnées. « La notion de CA peut faire peur ! », reconnaît-elle.

Changer de paradigmes

Viviane de Beaufort a mis en place des outils pratiques pour reprendre sa place, en tant que femmes dans ces lieux de pouvoir. D’abord, les femmes doivent lutter contre le « syndrome de l’imposteur » (qui n’existe pas encore officiellement au féminin !) mais qui concerne surtout des femmes. « On ne peut pas deviner que vous voulez un mandat. Il faut le montrer, travailler votre CV dans ce sens », conseille-t-elle. « Présenter ce que vous voulez en mode ‘’administratrice’’ et bien préciser quelle sera votre valeur ajoutée ».

Deuxième syndrome, celui du « miroir ». En face d’elles, les femmes qui souhaiteraient obtenir un mandat d’administratrice, ont très majoritairement, « des hommes blancs, cravaté et de 70 ans. Instinctivement, ces derniers vont aller au profil ‘’miroir’’, qui leur ressemble le plus, or c’est une bêtise, car c’est de la diversité que naît la valeur ajoutée ».

Enfin, le troisième syndrome, le syndrome « paresseux » consiste à reproduire, sans susciter de réflexion, un même système. « Aller regarder ailleurs n’est pas induit. Il faut développer son adaptabilité, prendre le risque de recruter un.e RH ». En tout cas, pour elle, une chose est sûre : « Vous pouvez amadouer et « séduire » les décideurs plutôt que de vous battre frontalement ». Pour les structures de décision (Comex), les mécanismes sont similaires. Le but de ce changement de paradigme : créer un « effet aspirateur », qui permette ensuite de renforcer l’égalité salariale, l’égalité des carrières ou encore de renforcer la position des femmes au cœur du middle management

Une société qui va dans ce sens

Si la loi Pacte peut être critiquée pour son côté fourre-tout, « sur la gouvernance, les décisions sur les Comex et le Codir, elle a eu un effet. Car les comités détestent être des cancres dans les classements, et n’apprécient que moyennement l’effet de concurrence, surtout quand il est en leur défaveur », estime Anne Navez. Cette dernière se réjouit que « les entreprises puissent se fixer des objectifs sociétaux et humanistes », au-delà de l’aspect purement économique et business. Selon elle, « de plus en plus de projets d’entreprises cherchent à avoir un impact sociétal positif ». Ce qui va dans le sens d’une plus grande diversité, y compris une meilleure représentativité des femmes dans les CA. « Une entreprise, ce n’est pas que des sous, mais aussi des talents ! a-t-elle rappelé. On peut oser introduire une sensibilité féminine quand on veut porter la finance responsable », par exemple. « La tendance émerge et s’accélère, surtout du côté des femmes, jeunes, et des hommes de bonne volonté ». Et de citer des chiffres issus d’une étude réalisée sur une décennie qui a porté sur 8 000 entreprises américaines qui comptaient des femmes dans les CA. Résultat : les femmes administratrices prenaient généralement des décisions concernant les fusions-acquisitions différemment des hommes, avec moins de prise de risque, moins d’endettement, un taux d’échec inférieur, de restructuration, etc. « Il y a donc une vision différente… quand on est en position de l’apporter », a-t-elle conclu.

Devenir administratrice : plus qu’un job, un investissement

« Quand vous devenez administratrice, vous avez une responsabilité civile et pénale. Ce n’est pas un job, c’est une façon de participer à la stratégie de l’entreprise et à son développement, ainsi que prendre des décisions collégiales ». Certes, les administratrices touchent une rémunération ou des jetons de présence (pour encourager leur assiduité, NDLR) « mais cela ne constitue pas un salaire, rappelle Anne Navez. Et si jamais une femme souhaite plusieurs mandats, cela crée une situation de dépendance qui n’est pas forcément saine ». Elle doit aussi toujours postuler avec l’aval de son entreprise. En effet, a-t-elle mis en garde, « on ne devient pas administratrice par un effet de mode. Il faut de la disponibilité (compter entre 10 et 20 jours par an, NDLR). Il n’est pas non plus question de venir à un CA sans être bien préparée ». Si, dans la foulée de la loi Coppé-Zimmermann, « les femmes sont davantage venues dans les CA, seules quelques-unes étaient correctement préparées, en tout cas au tout départ. Puis elles ont osé poser leurs questions et cela a fait boule de neige », se satisfait-elle. Résultats : l’arrivée des femmes (mixité et diversité) a renforcé les compétences et l’efficacité des conseils d’administration. « Même Serge Weinberg (directeur de Sanofi depuis 2010), un farouche opposant à la loi Coppé-Zimmermann, a reconnu dans une vidéo sur Youtube postée en 2013 qu’il avait fait une erreur et que son CA ne s’était jamais aussi bien porté que depuis que les femmes étaient plus présentes ! Finalement, nos meilleurs ambassadeurs sont les évangélisés », a-t-elle plaisanté, mettant encore en avant la fin des guerres d’ego et la montée du niveau moyen des échanges.

Des avantages dont devraient aussi bénéficier les entreprises de 250 salariés, puisqu’elles devront bientôt également se plier au seuil de femmes dans les CA défini par la loi Coppé-Zimmermann, et ce dès 2020.