Yvelines (78)

Juliette Mandrin : « Les femmes ne s’autorisent pas facilement à se diriger vers l’entrepreneuriat dès le début de leur vie professionnelle » !

Publié le 19/07/2023

À l’heure actuelle, plus de 30 % des entrepreneurs sont des femmes en France ! Un chiffre en progression signe que l’entrepreneuriat féminin se développe. Participer à ce dynamisme de l’entrepreneuriat des femmes et à leur valorisation auprès des entreprises, c’est le choix de deux Yvelinois : Juliette Mandrin et Nicolas Jaboulay, cofondateurs de elleboss.fr, en 2021. Cet outil numérique permet de mettre à disposition des entreprises des expertes pour répondre à leurs besoins de recrutement flexible ou pérenne. Avec 1 300 femmes entrepreneures inscrites sur la plateforme, Juliette Mandrin a une vision large et connaît de nombreuses femmes à la tête d’une entreprise. Elle rencontre aussi des situations différentes et constate l’existence encore de certaines barrières. Actu-Juridique est allé à sa rencontre à son domicile de Feucherolles dans les Yvelines (78) pour faire le point sur le sujet de l’entrepreneuriat des femmes.

Actu-Juridique : Quelle est la particularité de l’entrepreneuriat féminin ? Pouvez-vous nous donner un exemple dans les Yvelines ?

Juliette Mandrin : Les femmes ont des compétences et des qualités différentes. Leurs expériences familiales, parentales et professionnelles font qu’elles ont une implication très forte dans l’entrepreneuriat. Elles sont leur propre patron. Ce sont des femmes très expertes dans leur domaine. Pour prendre l’exemple des 1 300 entrepreneures suivies sur ma plateforme, le profil-type est une femme qui a entre 35 et 60 ans. Elle a souhaité changer son parcours de vie et a choisi de travailler d’une autre façon. Les femmes que nous suivons ont au minimum un bac+2 et ont cumulé des expériences et des expertises qu’elles proposent aux entreprises. Ensuite, plus globalement, concernant les domaines d’engagement, les entrepreneures sont plutôt dans le domaine tertiaire ou encore sur des sujets à impact sur la société, tel que la RSE. La quête de sens et de valeurs est très importante pour elles. Par exemple dans les Yvelines, à Louveciennes, Yvette Roozenbeek a créé sa société WeeTulip pour produire une carafe filtrante afin d’éviter la consommation de bouteilles plastiques.

AJ : Quand on voit certains hommes qui ont cette envie d’entreprendre dès le début de leur vie professionnelle, retrouve-t-on ce phénomène aussi chez les femmes ou est-ce plus rare ?

Juliette Mandrin : Les femmes veulent plus de sécurité. Elles ne s’autorisent pas facilement à se diriger vers l’entrepreneuriat dès le début de leur vie professionnelle. Le parcours pour entreprendre n’est pas facile. Par exemple, à 45 ans, je suis solide maintenant grâce à mon expérience. Mon contexte familial et financier m’a permis et me permet aujourd’hui de gérer mon entreprise installée dans les Yvelines. Les enjeux financiers, commerciaux mais aussi la parentalité créent des freins auprès des femmes. Du coup, la majorité se lance dans l’entrepreneuriat plus tard, quand leurs enfants ont grandi. Mais, il ne faut pas généraliser ce phénomène.

AJ : Quelles sont les barrières qui existent encore face à l’envie d’entreprendre des femmes ?

Juliette Mandrin : Les barrières sont intellectuelles. Les femmes se mettent elles-mêmes des obstacles moraux car il n’est pas facile de tout concilier. Dans leur esprit, elles craignent le cumul entre la vie privée et la quantité importante d’énergie et d’engagement nécessaire à l’entrepreneuriat. Les hommes ont sans doute moins cette barrière de l’engagement. Par exemple, les femmes représentent aujourd’hui seulement 2 % des levées de fonds. Nous entendons régulièrement que les hommes sont capables d’aller chercher cinq millions d’euros lors de recherche de fonds auprès d’investisseurs alors qu’une femme sur le même projet ne demandera qu’un million d’euros. Par ailleurs, certains comportements déplacés existent encore. Au sein de l’incubateur Willa à Paris, j’ai entendu des femmes entrepreneures qui se retrouvaient face à des investisseurs qui posaient la question : « Comment allez-vous faire quand vous aurez des enfants ? » Certaines étaient déstabilisées, d’autres répondaient que la question n’était pas légitime. La levée de fonds est un véritable chemin de croix pour une femme. Ensuite, pour faire évoluer cette situation, il faudrait plus accompagner les femmes sur leur confiance en elles et leur leadership. Enfin, la barrière est financière. C’est encore la question de la sécurité…

AJ : Face à cette barrière financière, comment les femmes trouvent-elles des solutions pour créer leur entreprise malgré tout ? Pouvez-vous nous donner un exemple dans les Yvelines ?

Juliette Mandrin : Un phénomène se développe de plus en plus. Des femmes qui se font appeler les « slasheuses ». Elles vont cumuler plusieurs activités dans la même journée ou dans la même semaine. En général, elles ont le souhait de développer une activité passion, souvent liée au bien-être ou au développement personnel. Par exemple, nous avons des sophrologues, des naturopathes, des coaches, … Aujourd’hui, elles ne peuvent pas gagner leur vie avec leur projet entrepreneurial. Elles utilisent donc leurs expériences professionnelles précédentes pour avoir une activité supplémentaire et obtenir un revenu suffisant pour vivre. Certaines femmes s’inscrivent dans cette pratique pour des raisons financières. D’autres s’épanouissent en ayant deux activités. Par exemple, à Versailles, Sophie fait du recrutement et elle est sophrologue le reste du temps. Elle ne peut pas vivre totalement de la sophrologie, elle a donc décidé de diversifier ses activités.

En dehors de ce phénomène, il est aussi possible de se faire aider par de multiples dispositifs d’accompagnement au développement de projet, ou encore de trouver des aides financières.

AJ : Comment les femmes sont-elles accompagnées dans le département des Yvelines ?

Juliette Mandrin : Le gouvernement et le département des Yvelines mettent en place de nombreux dispositifs. Des institutions sont aussi présentes pour accompagner les femmes dans leur projet. Par exemple, pour le financement, il y a France Active en collaboration avec le réseau Initiative, qui vient garantir un prêt au démarrage de l’activité. Dans ma création d’entreprise, j’ai pu avoir 50 000 euros de crédit garanti. France Active vient garantir le prêt. Il existe aussi plusieurs associations dans les Yvelines comme Femmes entrepreneures, Femmes des territoires ou encore CréActives. Autre acteur important, le Réseau Entreprendre 78 a une vraie volonté de parité dans la sélection des entrepreneurs parrainés. Dans cette association, les entrepreneurs ont vocation à créer de l’emploi et à sortir de la microentreprise.

AJ : Quels conseils pouvez-vous donner à une femme qui a une idée et souhaite se lancer dans l’entrepreneuriat ?

Juliette Mandrin : Si une femme souhaite se lancer dans l’entrepreneuriat, elle doit d’abord s’orienter dans des réseaux d’entrepreneur(e). L’objectif est de rencontrer des personnes et d’identifier des dispositifs ou des programmes d’accompagnement de l’État, des collectivités ou d’associations. Je pense aussi à l’école des indépendants Envischool, à Paris, qui permet de challenger et structurer le projet entrepreneurial. Les rencontres et les échanges avec d’autres femmes entrepreneures sont primordiales pour obtenir des conseils ou être aidées. La sororité est très importante. Une fois le projet ficelé, il ne faut pas hésiter à aller chercher des financements, auprès des partenaires déjà cités : France Active, Initiative France, Bpi France ou encore le Réseau Entreprendre. Il existe aussi des concours dédiés à l’entrepreneuriat féminin dans les Yvelines et en Île-de-France. Enfin, je conseille de s’appuyer sur des compétences externes pour accompagner le démarrage d’une société sur la partie marketing, commerciale, comptabilité, … Par ailleurs, avoir un associé peut aussi être intéressant pour éviter d’être seule. Mais le soutien dans son projet est aussi important notamment de la part de ses proches ou de sa famille. Il y a des hauts et des bas forts, des moments compliqués, sans soutien, la motivation peut rapidement s’effondrée.

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