La cellule de continuité économique d’Ile-de-France, submergée d’appels, les entreprises paniquées

Publié le 31/03/2020

En ce jeudi matin, 19 mars, Xavier Raher, directeur de la cellule de continuité économique d’Ile-de-France, au sein de la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la communication, du travail et de l’emploi) répond à nos questions par téléphone, la ligne saturée d’appels. Lancée en 2015, cette cellule a vocation à être activée dès qu’une crise conjoncturelle se présente (manifestations, grèves, attentats…). Elle permet d’accompagner les entreprises plongées dans les difficultés, qu’il s’agisse du report et/ou du dégrèvement des charges sociales et fiscales, de la mise en place de l’activité partielle, de l’obtention d’un crédit bancaire ou de la médiation des entreprises. Une boîte à outils plus que jamais sollicitée depuis que la crise du coronavirus a bloqué partiellement l’économie, et d’autant plus depuis l’annonce de la fermeture de tous les commerces non essentiels. En Ile-de-France, qui concentre 35 % de l’économie française, les entreprises sont innombrables à se poser des questions relatives à la survie de leur activité.

Les Petites Affiches : Dans quelle mesure faites-vous face à une explosion des sollicitations ?

Xavier Raher : Depuis le début de la crise, nous avons comptabilisé 8 000 entreprises qui nous ont contactées, par mail ou par téléphone. Nous faisons face à un flux continu et qui ne cesse de croître. Rien qu’hier, nous avons reçu 1 400 mails. Je pense que d’ici peu, ça sera plutôt 2 000 sollicitations quotidiennes et cela ne va faire qu’augmenter ! À titre indicatif, au plus fort du mouvement des Gilets Jaunes, nous recevions une vingtaine de sollicitations quotidiennes. Depuis, nous avons dû mettre en place une organisation spécifique au niveau du réseau de la Direccte d’Ile-de-France. En temps habituel, une à deux personnes tournantes travaillent pour l’accompagnement des entreprises. Actuellement, le dispositif a été très largement renforcé, avec environ 50 personnes mobilisées. Les demandes proviennent de tout type de secteur.

LPA : Qu’est-ce qui peut soulager les entreprises, dans ce contexte particulier ?

X.R. : Toutes les mesures présentées par le gouvernement et qui visent les professionnels, comme le report de charges sociales et fiscales, le report du paiement des impôts sauf la TVA ou encore, pour les indépendants, le fait de ne pas être prélevé ce mois-ci.

Le volet relatif à l’activité partielle – le terme administratif pour le chômage partiel – a été très largement renforcé, comme l’ont précisé les différents ministres comme Bruno Lemaire ou Muriel Pénicaud. Ce geste fort, encouragé par le gouvernement, permet aux entreprises de garder leurs salariés pendant cette période pour le moins compliquée. Les entreprises ont de nombreuses questions à ce propos : comment gérer leurs salariés ? Comment utiliser les dispositifs auxquels elles ont droit ? Elles se demandent aussi comment gérer les litiges surgissant avec des clients ou des fournisseurs.

LPA : En quoi la taille des entreprises peut-elle avoir un impact sur les problématiques rencontrées par les entreprises ?

X.R. : Une chose est sûre : pour les grandes entreprises, il y a moins de problématiques de trésorerie ou de capacité technique. Sur le financement et l’anticipation, c’est plus simple pour elles. Du côté des petites entreprises, elles sont moins outillées que les grands groupes. Pour certaines, leurs structures étaient déjà extrêmement fragiles et elles se retrouvent complètement désemparées.

Des questions générales se posent sur les services qui continuent et ceux qui doivent être arrêtés, sur les modalités du B to B et celles du B to C, entre les problématiques propres au secteur industriel et celles propres aux services… Un arrêté publié la semaine dernière indique quelles activités économiques peuvent continuer.

LPA : Quid du droit de retrait que certains salariés voudraient faire valoir ?

X.R. : Le gouvernement met tout en place pour que l’activité économique ne s’arrête pas, et pour que les entreprises puissent continuer à tourner, l’objectif étant de leur éviter de surréagir. Dans ce cadre, le droit de retrait peut s’exercer, mais si les salariés ne font pas face à un large afflux de public dans une forte promiscuité, et s’il n’y a pas de non-respect des mesures barrières (sanitaires pour éviter la contagion), il n’y a pas de raison d’avoir recours à un droit de retrait. Certaines demandes sont abusives, comme lorsque des salariés demandent des masques alors que la situation ne se justifie pas. Le droit de retrait est un droit du salarié, cela n’en fait pas un droit absolu pour autant.

LPA : Concernant le recours à l’activité partielle, comment cela se passe-t-il concrètement ?

X.R. : Dans le droit commun, une entreprise doit en faire la demande 15 jours avant son entrée en vigueur. Mais ce verrou a sauté : désormais, elles peuvent le faire immédiatement. Et même, elles peuvent le faire jusqu’à 30 jours après l’avoir décrété dans leur entreprise, de façon rétroactive.

L’objectif du gouvernement, c’est zéro licenciement et zéro faillite. Nous mettons tout en œuvre pour y parvenir.

À ce titre, les règles ont changé. Avant, le chômage partiel était indemnisé à hauteur de 70 % du salaire brut. En contrepartie, vous bénéficiez d’une allocation forfaitaire cofinancée par l’État et l’Unedic de 7,23 euros par heure chômée pour les grands groupes et pouvant aller jusqu’à 8,04 euros par heure chômée pour les PME. Un décret sera pris dans les tous prochains jours pour réformer le dispositif d’activité partielle, afin de couvrir 100 % des indemnisations versées aux salariés par les entreprises, allant bien au-delà des indemnisations habituelles. C’est un point majeur qui participe du maintien de l’activité, même partielle.

LPA : Concernant le financement des entreprises, en quoi se trouvent-elles en difficultés ? Quels outils peuvent-elles activer pour faire face ?

X.R. : Pour les entreprises, le sujet principal est d’avoir de la trésorerie pour payer les salaires de leurs employés et les investissements. Plusieurs situations sont possibles : soit le prêt est déjà ouvert, auquel cas il n’y a pas de difficultés particulières, soit, dans le cas de nouveaux financements, l’entreprise fait appel à sa banque en priorité, sachant que La BPI garantira jusqu’à 90 % (70 % auparavant) des prêts demandés par les PME à leur banque, ce qui devrait permettre de rassurer les établissements financiers et donc les inciter à financer les entreprises, même si celles-ci sont en difficulté. Par ailleurs, le chef de l’État a annoncé une enveloppe de 300 milliards d’euros pour garantir les prêts bancaires. Quand les banques ne jouent pas le jeu, le ministère de l’Économie se montrera vigilant à ce qu’elles remplissent leur mission de financement, sachant que 90 % des sommes sont couvertes par l’État, il ne restera que 10 %, des risques une charge résiduelle, aux banques.

LPA : Vous évoquiez des litiges potentiels. De quelle nature peuvent-ils être ?

X.R. : Les litiges peuvent concerner des clients, des fournisseurs ou encore des partenaires. Qu’il s’agisse de rompre des contrats, d’imposer des clauses supplémentaires de façon opportuniste ou de profiter de l’occasion d’une quelconque manière, les entreprises peuvent faire appel à la médiation des entreprises. Ce traitement non judiciaire des difficultés a l’avantage d’être plus rapide et moins cher qu’un recours en justice.

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