« L’économie francilienne, fer de lance de la neutralité carbone ? »
L’Institut Paris Région organise depuis le mois de décembre dernier, un cycle de rencontres en ligne sur le thème : « Zéro émissions nettes ». Le troisième rendez-vous, organisé le 4 février dernier, était dédié à l’économie francilienne et l’implication des entreprises pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Ont ainsi été présentées des pistes pour comprendre comment mettre en place une stratégie bas carbone et les bons usages à favoriser.
Après les rencontres intitulées « Zéro émissions nettes (ZEN) : l’Île-de-France face à l’exigence de neutralité carbone » et « Les atouts de l’Île-de-France pour relever le défi ZEN », l’Institut Paris Région a voulu interroger la place des entreprises à travers le thème suivant : « L’économie francilienne, fer de lance de la neutralité carbone ? ». Les échanges ont eu lieu en ligne dans un format maintenant éprouvé et adapté aux conditions sanitaires.
Comme l’a souligné dans son propos introductif Martin Hervouët, chargé de projet économie de l’Institut Paris Région, il s’agit aujourd’hui de « maximiser les chances de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C ». Pour ce faire, « toutes les stratégies intramondiales doivent être vues comme une contribution à l’objectif mondial ». Le ZEN, a-t-il poursuivi, est fondé sur la science et les entreprises qui doivent s’aligner. Il faut donc pouvoir faire coexister deux conceptions de la « neutralité » : la neutralité au sens de la science et la « neutralité carbone » au sens des entreprises.
Neutralité carbone ou neutralité climatique ?
Dans l’étude Zéro émissions nettes : de quoi parle-t-on ?, publiée en décembre 2020, l’Institut Paris Région précise que cet objectif est « issu de l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015. En France, cet objectif est repris au sein du plan climat de juillet 2017 et inscrit dans la loi énergie-climat de 2019. Il doit être atteint à l’horizon 2050. En Île-de-France, la stratégie régionale énergie-climat de 2018 intègre les objectifs 100 % énergies renouvelables (EnR) et zéro carbone à ce même horizon ».
Les auteurs poursuivent : « D’un objectif ZEN à l’autre, les termes employés ne désignent pas toujours les mêmes choses. La France, par exemple, entend la neutralité carbone non pas dans le sens restreint de « zéro émissions nettes de CO2 », comme dans le glossaire du rapport spécial 1,5 °C, mais dans le sens plus large de « zéro émissions nettes de tous les gaz à effet de serre (GES) anthropiques » (L. n° 2019-1147, 8 nov. 2019, art. 1). La Commission européenne privilégie le terme de « neutralité climatique » pour désigner « zéro émissions nettes de tous les GES ». Le projet de loi climat de l’Union européenne, en cours d’adoption, propose ainsi de parvenir à la « neutralité climatique » en 2050 à l’échelle des 27 États membres. De son côté, la Chine a annoncé, en septembre dernier, vouloir parvenir à la « neutralité carbone » avant 2060, mais elle n’a pas encore précisé si cela concerne ses émissions de CO2 uniquement ou tous ses GES ».
Un territoire économique majeur
L’Île-de-France est un territoire économique majeur en France et en Europe dans l’application de ces politiques publiques. Que les entreprises soient contraintes, incitées ou volontaires, qu’elles soient des PME ou des ETI, toutes ont leur rôle à jouer. « Ce serait une erreur de se concentrer seulement sur les grandes entreprises, sachant que sur les 1,2 million présentes sur le territoire d’Île-de-France, plus des trois quarts ont moins d’un salarié et qu’elles représentent un cinquième des entreprises artisanales », précise Pascale Leroi, chargée de projet économie à L’Institut Paris Région.
Malgré un engagement sur le papier toujours plus fort, les actions concrètes peinent à se faire sentir. Les freins sont encore nombreux, comme l’a démontré Hélène Quillien, cheffe de projet Diag Eco-Flux de la BpiFrance, lors de son intervention. L’étude intitulée « Les dirigeants PME-ETI face à l’urgence climatique », liste les principaux freins. Sur le podium, on retrouve le manque de moyens financiers, l’absence de solutions technologiques (il n’existe pas toujours une filière correspondant à la typologie de ses déchets par exemple) et le manque de reconnaissance et de valorisation de leur modèle.
« La région doit pouvoir lever les freins »
À ce propos, Sylvain Leclancher, adjoint à la directrice générale adjointe en charge du pôle entreprises et emploi de la région Île-de-France, a insisté sur le fait que « la région doit pouvoir lever les freins ». Il a ainsi exposé les trois actions principales mises en œuvre pour tenter d’y répondre.
D’abord, « une réponse forte et immédiate face à la crise », qui fait ici référence au plan de relance de 1,3 Md€ dont 640 millions consacrés au développement économique et à l’innovation, avec le soutien de projets en prise avec les enjeux de neutralité carbone. 3 M€ ont par exemple été alloués à Solvay (Aubervilliers) pour le projet « batterie du futur » qui permettra de développer des batteries automobiles ; 1,6 M€ pour Turbotech (Toussus-le-Noble) pour un système propulsif hybride afin de remplacer une grande partie des batteries par un générateur d’énergie électrique ; ou encore 540 000 € pour Tellano Technologie (Boulogne-Billancourt) qui développe un système de captation des particules au freinage.
La région Île-de-France s’engage également avec la création d’une « COP régionale » ayant produit 192 propositions « pour une région zan, zen et circulaire », soit « zéro émission nette, zéro artificialisation et région circulaire, avec zéro ressource nette ». Parmi les mesures, citons par exemple les aides aux TPE, PME et ETI « pour favoriser l’installation de panneaux solaires dans l’enceinte de leurs locaux professionnels » ou la proposition faite aux 25 bassins d’emplois d’« un accompagnement dans leurs démarches d’écologie industrielle ».
Enfin, l’enjeu de neutralité carbone se formalise dans les politiques économiques de la région, via la COP Île-de-France 2020, mais également la stratégie régionale 2020-2030 pour l’économie circulaire en Île-de-France et la future stratégie régionale de développement économique et d’innovation 2022-2028.
Au niveau national, avec une implication locale, l’ADEME (avec le programme ACT) et BpiFrance (Diag Eco-Flux) proposent des stratégies d’accompagnement des entreprises, de bilan carbone et d’analyse des pratiques jusqu’à la définition d’un plan d’action.
Un « électrochoc »
Lors de la table ronde : « Comment les entreprises peuvent contribuer à l’objectif de neutralité carbone ? », le fondateur de la Maison Landemaine, Rodolphe Landemaine, a pu exposer sa propre stratégie. Cette enseigne de boulangeries est installée à Paris depuis 2007 avec 16 adresses intra et extramuros (une autre à Lille et deux à Tokyo).
Membre du réseau « Net zéro entreprise » de Carbone 4, le premier cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique, la Maison Landemaine a pu agir efficacement sur son empreinte carbone. En tant qu’entreprise, précise César Dugast, consultant senior chez Carbone 4, « il faut jouer sur trois logiques : réduire son empreinte carbone ; aider les autres à réduire et augmenter les puits de carbone. Ces logiques sont parallèles entre elles ».
C’est ce qu’a fait Rodolphe Landemaine en identifiant les leviers d’action suite à un audit auprès de Carbone 4. « Nous avons vu qu’ils se situaient au niveau des intrants et des produits carnés. Nous avons alors modifié notre offre qui est maintenant à 70 % végétale. 50 % de notre carbone provient de la farine, donc des blés. Nous avons fait attention à circonscrire nos fournisseurs à la région Île-de-France ». Mais le fondateur est allé encore plus loin en s’appuyant sur un changement de paradigme au niveau de ses cadres. « J’ai organisé une conférence “életrochoc” pour que le sujet ne soit pas travaillé à la marge mais de façon centrale dans la prise de décision ». Depuis quelques mois, le remboursement des déjeuners des cadres ne sont validés que s’ils sont uniquement végétariens, du fait de leur plus faible impact. Dans le même temps, la Maison Landemaine finance la plantation d’arbres pour augmenter les puits de carbone.
Persuadé des opportunités économiques de cette transformation, Rodolphe Landemaine y voit également un « volet de création de valeurs » : « Il n’y a pas d’un côté le business et de l’autre la permaculture, il y a un monde entre les deux » !