Lionel Grotto : « Entre 2019 et 2022, 86 entreprises étrangères ont décidé de s’implanter à Paris-Saclay »
Avec 71 entreprises et 428 000 emplois, le territoire de Paris-Saclay est une part importante de l’économie francilienne. Aujourd’hui, ce cluster d’innovation représente 15 % de la recherche française. À cheval entre les départements de l’Essonne (91) et des Yvelines (78), Paris Saclay s’étend jusqu’à Saint-Quentin-en-Yvelines et la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc. Ce projet d’aménagement a été lancé en 2009 à travers une opération d’intérêt national (OIN). Avec ses universités, ses laboratoires ou encore les entreprises déjà installées, Paris-Saclay est un territoire en perpétuelle évolution avec une attractivité de plus en plus importante. Lionel Grotto, directeur de Choose Paris Region, l’agence de l’attractivité de la région Île-de-France fait un bilan de l’implantation des entreprises étrangères sur ce territoire et plus globalement dans la région francilienne.
Actu-Juridique : Quel regard avez-vous sur l’évolution du cluster d’innovation Paris-Saclay depuis son lancement ?
Lionel Grotto : Il y a dix ans, c’était encore compliqué de placer Paris-Saclay sur une carte des clusters mondiaux d’innovation. L’idée de ce cluster ne date pas d’hier puisqu’elle a été initiée par la recherche fondamentale française dans l’après-guerre avec l’installation à Saclay d’antennes du CEA, du CNRS, de l’ONERA, de l’INRA. Cette dynamique s’est amplifiée sur ces dernières années. Aujourd’hui, vous avez Polytechnique, l’École nationale supérieure, Centrale Supélec ou encore Agro Paris Tech à Paris-Saclay. Beaucoup de grands groupes français y ont désormais des centres mondiaux de R&D. L’importance de pôles universitaires puissants est associé dans de nombreux pays à l’attractivité, notamment en Asie mais aussi aux États-Unis : ainsi, de nombreux dirigeants d’entreprises étrangères, encore dernièrement une dans le quantique et une dans l’IT, nous demandent régulièrement de rencontrer les présidents des universités et des écoles comme l’Inria, l’université Paris-Saclay ou encore Polytechnique. Aujourd’hui, l’université de Paris-Saclay est première en mathématique dans le classement de Shanghai : c’est un élément qui a eu son importance dans la perception du cluster par le monde anglo-saxon. Ensuite, en termes d’aménagement, ce territoire évolue à une vitesse impressionnante : quand vous vous y rendez à un instant T, six mois après, c’est encore différent. Par exemple, le métro du Grand Paris Express est en train d’arriver avec la ligne 18. C’est assez impressionnant de voir le viaduc aérien. Il y a une véritable transformation. Les entreprises savent bien que cette dynamique de projet est structurante pour le territoire.
AJ : Sur ces dernières années, comment évolue l’attractivité économique de ce territoire ?
Lionel Grotto : Nous avons réalisé un bilan des investissements étrangers sur la période 2019-2022. Malgré la crise sanitaire, sur ces quatre années en cumulées, le territoire de Paris-Saclay a accueilli 86 projets d’investissement qui représentent la création de 2 291 emplois déclarés à trois ans. Nous estimons une valeur ajoutée à moyen terme à hauteur de 218 millions d’euros. Sur cette période, les entreprises qui viennent s’installer sont principalement allemandes (11), américaines (9) et italiennes (9). Il y a aussi deux projets suédois qui engendrent sur trois ans la création de 300 emplois. Ces investissements réalisés sur ces quatre années ont permis de lancer 19 sites de recherche et de développement et 19 centres de décision. La R&D est la principale activité avec 674 emplois créés grâce aux investissements réalisés par des sociétés étrangères entre 2019 et 2022.
AJ : Quel constat faites-vous sur le début de l’année 2023 ?
Lionel Grotto : Sur les deux premiers trimestres de 2023, nous accompagnons 117 projets pour 4 527 emplois à Paris-Saclay. Dans ces investissements, nous retrouvons majoritairement des centres de décision (43) et des sites de R&D (39) : encore une fois, l’attractivité est importante sur le volet de la recherche et de l’ingénierie. En ce qui concerne les filières, nous avons des projets dans les services numériques (31), dans la santé et biotechnologie (17), dans l’automobile (11) ou encore l’éco-activité et vie durable (11). Mais plus qu’une logique sectorielle comme on peut le voir davantage ailleurs en Île-de-France, ce territoire est caractérisé par les technologies et l’innovation ; nous avons aussi d’autres secteurs bien représentés comme l’aérospatial et la défense, la mobilité et l’énergie.
AJ : Quels sont les exemples marquants d’implantation sur le territoire de Paris-Saclay ?
Lionel Grotto : Ces dernières années, vous avez déjà l’implantation de Nokia et d’Ericsson qui ont chacun investi dans un centre de R&D pour travailler sur la 5G et la télécommunication de demain. Dans le domaine du quantique, en moins de trois ans, six start-up spécialisées sur ce sujet se sont installées en Île-de-France. Par exemple, l’entreprise espagnole Multiverse Computing a investi à Palaiseau, en 2019. Cette implantation sur ce territoire leur permet de tisser des relations avec des grands groupes comme Total ou EDF, qui ont commencé à travailler sur le quantique. Par ailleurs, la relative faiblesse de ce cluster né comme une concentration de grands centres de recherche publics et privés et moins de start-up est en passe de se résorber : ainsi, en avril 2023, Biolabs s’est associé à Servier pour lancer un incubateur pour les start-up spécialisées dans la santé. Kadans Science Partner a acquis un terrain de 14 000 m2 à Gif-sur-Yvette pour accueillir des start-up dans six filières comme l’agritech/foodtech, la santé, la mobilité, la transition énergétique, l’aérospatial défense et les technologies numériques. C’est le signe d’une évolution vers un véritable pôle de recherche global mondial d’innovation incluant la dimension d’incubation et de start-up. C’est un phénomène en cours et c’est très enthousiasmant de voir tout cela se faire sous nos yeux.
AJ : Quels sont les défis de demain pour le territoire de Paris-Saclay ?
Lionel Grotto : Paris-Saclay est un écosystème en cours de structuration. Ce territoire a une force à travers la quantité de compétences et la diversité d’acteurs présents : entreprises, laboratoires, grands groupes, start-up, financeurs… Nous avons encore cet enjeu de mettre tous ces acteurs en réseau, travail déjà bien engagé par les communautés d’agglomération et par l’Établissement public d’aménagement avec lesquels nous travaillons de manière étroite. Il y a aussi un travail à poursuivre sur le fonctionnement du parcours résidentiel des entreprises, pour permettre aux entreprises de grandir et rester sur le territoire. Globalement, l’idée donc est de renforcer les connexions au sein du cluster d’innovation, et les institutions publiques et les universités ont un véritable rôle à jouer sur ce sujet. Ensuite, tous les acteurs du territoire de Paris-Saclay attendent la ligne 18 du métro du Grand Paris. Cette infrastructure est essentielle dans ce grand projet d’aménagement. La dynamique est déjà intégrée par les entreprises qui pour certaines font face à leurs difficultés de mobilité en se disant que cela ira mieux demain. Ce moyen de transport va permettre de relier l’ensemble des territoires de Paris-Saclay avec Saint-Quentin-en-Yvelines et Versailles-Grand-Parc.
AJ : Plus globalement en Île-de-France maintenant, quelle est la tendance concernant l’évolution de l’attractivité économique ?
Lionel Grotto : Depuis 2017, l’attractivité de l’Île-de-France est croissante. En 2022, la position de la région dans plusieurs classements internationaux est arrivée à un plus haut historique sur 20 ans. Nous avons aussi crevé certains plafonds symboliques : pour la première fois notamment, l’Île-de-France est devenue la première région européenne en nombre d’investissements directs étrangers, devant Londres. Elle a pris aussi la première place du classement du Financial Times des grandes régions européennes du futur. Le même Financial Times qui a défini l’Île-de-France comme la région avec la meilleure stratégie d’attraction d’investissements étrangers. Le Royaume-Uni et Londres ont longtemps aimanté les capitaux et investissements étrangers, mais le Brexit rebat vraiment les cartes. Votée en 2016, la procédure du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a pris du temps : attentisme initial, pandémie de Covid, télétravail, régulateurs qui voulaient initialement laisser du temps aux opérateurs économiques pour s’organiser, etc., mais les choses s’accélèrent désormais notamment dans le secteur de la finance mais pas uniquement. De challenger voire d’outsider, Paris devient peu à peu le point d’entrée naturel pour l’implantation d’activités en Europe. Nous ne mesurons pas toujours à quel point Paris et sa région sont au cœur de l’attention de nombreux acteurs économiques dans de nombreux pays. Les Jeux Olympiques et Paralympiques qui arrivent inscrivent aussi dans une nouvelle dynamique et suscitent une énorme curiosité internationale.
AJ : Comment cette évolution se traduit concernant les investissements directs étrangers ?
Lionel Grotto : En 2022, les investissements directs étrangers représentent 431 projets en Île-de-France, avec 10 900 emplois créés. Par rapport à 2021, cela représente une hausse de 7 % en nombre de projets. Parmi ces projets, 50 % sont des centres de décision, 14 % des centres de recherche et développement, 17 % sont des services aux entreprises et aux particuliers, 6 % des points de vente, 5 % des usines et 4 % de la logistique. À noter l’augmentation la plus importante : une hausse de 41 % du nombre d’emplois créé dans la R&D par rapport à 2021. Nous sommes la première région mondiale sur les investissements en R&D. Une dynamique à laquelle contribue notamment le territoire de Paris-Saclay.
AJ : Quels sont les facteurs d’attractivité de la région Île-de-France ?
Lionel Grotto : Les facteurs d’attractivité dépendent du type de projet d’investissement. Il y a une constante avec la capacité à recruter des personnes qualifiées en nombre dans notre région. Nous avons une profondeur dans notre capacité à former des personnes compétentes, à travers notre tissu universitaire. Il y a énormément d’écoles de formation. Les entreprises qui réfléchissent à bâtir des hubs de recherche sur des innovations viennent souvent chez nous. La proximité avec des clients potentiels est aussi un élément d’attractivité. En Île-de-France, nous avons des centres de décision notamment à La Défense, à Paris ou dans l’Ouest parisien. C’est la capacité pour une entreprise de rencontrer des clients ou des partenaires. Ensuite, de plus en plus, l’Île-de-France est attractive pour les entreprises qui ont la volonté de fonctionner de manière décarbonée. Nous le constatons sur plusieurs projets. Les infrastructures de transport sont un atout décisif, marqué par son maillage et notamment les 390 gares de RER sur les différents territoires franciliens. Il y a toutes les autoroutes qui rejoignent Paris, les gares parisiennes et franciliennes et les aéroports qui permettent une hyperconnectivité avec de nombreux territoires nationaux et internationaux.
AJ : Comment travaillez-vous avec les territoires pour renforcer l’attractivité de la région Île-de-France ?
Lionel Grotto : Depuis 2019, nous animons un comité de territoire. Il regroupe environ une cinquantaine d’acteurs publics territoriaux. Nous travaillons notamment avec les intercommunalités et leur service de développement économique qui sont nos premiers interlocuteurs. Nous collaborons aussi avec les aménageurs publics. À Paris-Saclay, nous avons des liens avec l’Établissement public d’aménagement, qui est missionné par les trois communautés d’agglomération de ce territoire pour travailler sur l’attractivité. Nous associons aussi les pôles de compétitivité. Nous organisons des réunions du comité de territoire sur des sujets spécifiques, et notamment par filières. L’objectif est de partager des constats, une stratégie et une vision et de décliner des actions concrètes : nous sommes un collectif qui avançons ensemble. Nous avons ainsi lancé un Plan de promotion et de prospection des partenaires franciliens de l’attractivité (P4F).
AJ : En quoi consiste ce plan de promotion et de prospection des partenaires franciliens de l’attractivité ?
Lionel Grotto : Ce plan d’action est coconstruit avec une trentaine de partenaires publics et privés. Il permet de mener ensemble des opérations de promotion et de prospection sur des salons en France et surtout à l’étranger. L’idée est de nous coordonner et de mutualiser les coûts. Ces opérations sont cofinancées par les différents partenaires qui souhaitent s’y engager. En fonction des salons, plusieurs modalités d’actions sont réalisées : partage d’un stand, prise de paroles, organisation de side event, etc. Ainsi, nous sommes parfois présents sur un salon avec huit organisations franciliennes sous la bannière Paris Region pour promouvoir la richesse de l’Île-de-France et prospecter de façon coordonnée.
AJ : Avez-vous des exemples de participation commune avec les acteurs du territoire de Paris-Saclay ?
Lionel Grotto : Pour le territoire de Paris-Saclay, nous avons ou allons mener plusieurs opérations communes en 2023. Au mois de juin, nous étions à Bio US à Boston, le plus grand salon au monde sur les dernières innovations en matière de biotechnologies. Lors de cet événement, nous avions un stand commun et nous avons coordonné notre prospection. En septembre, nous allons mener les mêmes actions au salon Quantum Tech à Londres, qui couvre tous les champs du quantique. Puis au mois novembre, avec Paris-Saclay, nous aurons le Web Summit à Lisbonne dédié à la tech et Medica à Düsseldorf, consacré à la medtech. Enfin, nous avons eu aussi des actions communes en France au Salon de l’aéronautique et de l’espace au Bourget et sur Vivatech.
Référence : AJU009x4