Paris (75)

Bernard Cohen-Hadad : « Nous encourons la mort de l’économie »

Publié le 20/11/2020

Déjà frappées par le premier confinement et l’instauration d’un couvre-feu au début de l’automne, les TPE et PME d’Île-de-France doivent affronter, pour certaines d’entre elles, une nouvelle mise à l’arrêt de leur activité. Les craintes sont nombreuses quant aux conséquences économiques à l’approche de la période des fêtes de fin d’année. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Paris Île-de-France organisait dans ce contexte, le 3 novembre dernier, l’édition 2020 de son Université francilienne des entreprises. Bernard Cohen-Hadad, le président de l’organisation patronale régionale, espère « une réouverture progressive et responsable de l’activité économique, en fonction des résultats sanitaires ».

Les Petites Affiches : La série de tables rondes que vous avez organisé le 3 novembre dernier avait pour problématique : « Crise du Covid-19 : comment s’en sortir ? ». Comment répondriez-vous à cette question aujourd’hui ?

Bernard Cohen-Hadad : Nous avons choisi ce thème car nous savons que cette crise sans précédent va durer dans le temps et causera, de ce fait, beaucoup de dégâts. Et ce d’autant plus que de nombreuses TPE/PME du territoire vivent en ce moment sous perfusion des aides de l’État et de la région avec le soutien des banques, ce qui est tout à fait nouveau si l’on compare à la crise financière de 2008-2009. Cependant, après le premier confinement, le couvre-feu et le reconfinement, nous craignons d’autres moments très difficiles. Il est donc encore compliqué de répondre clairement à la question posée. Nous sommes en revanche persuadés qu’il est urgent de nourrir le débat. La crise que nous traversons nous oblige à ne plus penser en silo. Les effets du moment inédit que nous traversons et que nous commençons tout juste à ressentir, auront des impacts sur l’ensemble de l’activité économique. Si nous ne pensons pas et n’agissons pas ensemble, nous encourons la mort de l’économie et donc des entreprises.

LPA : Vous ne croyez donc pas à un rebond de l’activité après ce deuxième confinement ?

B.C.-H. : Je sais la résilience des entreprises et des entrepreneurs de notre région. Nous l’avons d’ailleurs constaté en juin et en juillet derniers après le premier confinement. Le rebond de l’économie dépassait alors les prévisions. Or la réalité qui est la nôtre actuellement nous laisse dans l’inconnu quant à notre capacité à juguler le virus et l’empêcher de circuler. Il y aussi des questions sur l’acceptation sociale des restrictions et de leur durée dans le temps. Le doute règne aujourd’hui.

Message sur une devanture indiquant : fermé jusqu'à nouvel ordre
Thomas Dutour / AdobeStock

LPA : Comptez-vous sur une réouverture des commerces et des entreprises non-essentiels en décembre pour sauver Noël ?

B.C.-H. : Oui, mais pour cela il faut réussir à faire respecter, par tous, les mesures mises en place pour contrôler ce virus, que ce soient le couvre-feu, les gestes barrières ou les restrictions de circulation. Il n’y a que comme cela que nous pourrons sauver nos entreprises. C’est le meilleur remède face au virus et pour relancer le plus vite possible l’économie.

Suite au premier confinement, il me semble que toutes les précautions sanitaires n’ont pas toujours été respectées. Les entreprises ont joué le jeu, mais les Franciliens ont peut-être eu plus de mal à le faire parfois, notamment dans la sphère privée. Or le non-respect des gestes barrières en privé, dans les espaces clos, a un impact sur les TPE/PME d’Île-de-France et de toute la France aujourd’hui.

LPA : Après les annonces du président de la République, en octobre dernier, votre organisation a réclamé « qu’un aménagement du reconfinement au bénéfice des acteurs et secteurs aujourd’hui qualifiés de “non-essentiels” soit étudié dans les meilleurs délais ». Est-ce toujours le cas ?

B.C.-H. : Nous souhaitons une réouverture progressive et responsable de l’activité économique en fonction des résultats sanitaires. Nous ne sommes pas arc-boutés sur une date précise même si nous espérons bien sûr l’annonce de bonnes nouvelles rapidement, dès que possible. La réalité est que nous venons de perdre au rayon des activités autorisées, les coiffeurs, esthéticiens et masseurs à domicile, et même les livraisons de repas après 22 heures. Nous sommes donc face à un durcissement de la situation. Le meilleur moyen d’aider les acteurs économiques de la région, je le répète, c’est de respecter rigoureusement les consignes sanitaires.

Nous devons comprendre, en tant que citoyens, que de nombreux commerces réalisent jusqu’à 50 ou 60 % de leur chiffre d’affaires pendant la période de Noël. Je pense, par exemple, à ceux qui travaillent dans le chocolat, aux fleuristes avec les sapins, aux magasins de jouets, à la maroquinerie, parfumerie ou encore l’habillement. Tous ces secteurs dépendent de l’activité de fin d’année. Et n’oublions pas que depuis deux ans ils ne peuvent plus profiter pleinement de cette période, entre les gilets jaunes et les grèves dans les transports. Aidons-les en portant nos masques et en évitant les contacts non nécessaires.

LPA : Vous avez alerté les pouvoirs publics sur le risque de distorsions de concurrence entre le commerce en ligne et le commerce physique. Faut-il soumettre le commerce en ligne à des restrictions ?

B.C.-H. : Il faut avant tout un minimum d’équité. Le commerce en ligne qui paie ses impôts en France ne nous gêne pas ! Nous nous opposons en revanche à l’action monopolistique des GAFA qui déversent auprès des consommateurs des produits qui ne sont pas « made in France », alors qu’il est essentiel de soutenir le commerce de proximité et de protéger nos savoir-faire. Le petit commerce du coin, en bas de chez vous, vend des produits du terroir qui sont difficiles à trouver en ligne. Et aujourd’hui, il ne peut pas le faire. C’est un vrai souci qui est posé par cette crise.

Nous nous inquiétons également des conséquences sociales. Le commerce de proximité permet de créer du lien social, notamment pour les personnes isolées. Pour les plus fragiles, il n’est pas toujours simple, ou possible, de commander sur internet ou de se déplacer au-delà de la périphérie des villes. Ce sont, hélas, les mêmes publics, ceux qui font déjà face à de nombreuses difficultés, qui sont impactés par les fermetures.

LPA : Le paquet de mesures développé pour soutenir les acteurs économiques (fonds de solidarité, chômage partiel, prêt garanti par l’État, etc.) vous semble-t-il proportionné aux risques encourus, notamment pour les TPE/PME ?

B.C.-H. : Il faut se souvenir de la crise financière qui a débutée en 2008 et les craintes que l’on pouvait avoir à l’époque quant à la capacité de nos banques à y survivre. Nous avions frôlé le pire à l’époque. L’Union européenne elle-même a failli imploser. Aujourd’hui, nous sommes dans un tout autre scénario. L’action de l’État et des collectivités – dont la région Île-de-France – nous permettent d’envisager l’avenir de manière plus optimiste. Le renforcement du fonds de solidarité, la possibilité de contracter un prêt garanti par l’État durant une plus longue période, ou encore la poursuite du chômage partiel sont autant de relatives « bonnes nouvelles », salvatrices, pour nos TPE/PME.

Il reste tout de même un point noir, c’est la question des baux commerciaux. Le crédit d’impôt imaginé par l’État pour les propriétaires qui exonéreraient leurs locataires d’un mois de loyer n’est pas suffisant. Je ne crois pas que les bailleurs soient tentés par un tel dispositif. Il faut davantage le muscler.

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