Bernard Cohen-Hadad : « En matière d’énergie, il faut mettre en place un bouclier tarifaire sur 5 ans » !
À peine sortis de la crise sanitaire, les entrepreneurs d’Île-de-France se préparent à vivre de nouvelles crises, du fait de la hausse des prix de l’énergie et des pénuries de matériaux. Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Paris-Ile-de-France et du think tank Étienne Marcel fait le point sur les attentes des entreprises de la région.
Actu-Juridique : Dans quel état d’esprit sont les entrepreneurs d’Île-de-France en cette rentrée 2022 ?
Bernard Cohen-Hadad : Le premier quadrimestre de l’année est souvent celui d’un bon moral. Cette rentrée déroge à la règle avec des entrepreneurs mobilisés qui veulent entreprendre et qui se trouvent confrontés à un contexte difficile. Il y a une nouvelle inquiétude et une incertitude de l’avenir, du fait de la pénurie de matériaux et de l’augmentation du coût des matières premières, qui pour certaines d’entre elles ont été multipliées par 4 ou 5. Les prix de l’électricité ont doublé voire triplé et nous craignons que cette augmentation ne soit pas conjoncturelle, et s’étale sur les années 2022 et 2023. Il existe, en Île-de-France, 1 million 350 000 entreprises. Toutes sont touchées, des plus petites au plus grandes. La pénurie pérenne de matériaux change complètement la donne. Pendant des années, nos entreprises ont eu pour unique préoccupation de vendre. Aujourd’hui, on peut vendre mais on manque de produits à vendre. En Île-de-France, les entrepreneurs font en plus face à une augmentation des baux commerciaux notamment dans les Hauts-de-Seine (92) et à Paris le stationnement des deux roues est onéreux. Les assurances ont également augmenté pour beaucoup de nos entrepreneurs…
Actu-Juridique : Que pensez-vous des annonces faites par le gouvernement ?
Bernard Cohen-Hadad : Les annonces du gouvernement sont en demi-teinte. Il y a une volonté de se montrer à l’écoute des entreprises et pour autant, certains propos sont alarmants, voire alarmistes, notamment sur le risque de pénurie et de rationnement de l’électricité. Les entrepreneurs ont par ailleurs l’impression que l’État a des difficultés à réaliser les réformes qu’ils attendent et qui ont pourtant été annoncées, comme celle concernant la baisse des impôts de production. Cela ne rassure pas les entrepreneurs les plus fragiles, qui ont déjà vécu une succession de moments difficiles. Les entrepreneurs redoutent un retour aux politiques de « stop-and-go » qui ont marqué les trois dernières années en matière de soutien aux entreprises. L’annonce du report sur 2 ans de la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) est un message négatif pour leur moral. Nous déplorons que la parole publique n’aille pas au bout des annonces initiales.
Actu-Juridique : Risque-t-on de voir, en Île-de-France, une vague de faillites ?
Bernard Cohen-Hadad : Aujourd’hui, s’il n’y a pas encore de coupure d’électricité et de flambée du prix du gaz, l’inflation est bien là et la plupart des entreprises doivent survivre. La fermeture, du jour au lendemain, de plusieurs piscines en Île-de-France a été une alerte exceptionnelle, tout comme l’arrêt de la production dans de grandes entreprises comme Arc et Duralex sur le territoire national. Cela montre bien que toutes les entreprises grosses consommatrices d’énergie sont sous pression. Et les augmentations des matières premières ont pour conséquences : des marges de plus en plus faibles. Cela crée des inquiétudes liées à la disponibilité financières. Si les entreprises ont de mauvaises cotations bancaires, elles auront des difficultés à conquérir de nouveaux marchés, attirer de nouveaux clients ou de répondre à des appels d’offres qui exigent des critères de solvabilité.
Actu-Juridique : Quel type de solutions les entreprises peuvent-elles imaginer ?
Bernard Cohen-Hadad : La préoccupation est de produire mieux, plus responsable et à moindre prix. Il faut aussi se remettre à produire avec une valeur ajoutée sur le territoire de l’Hexagone et de l’Île-de-France pour aller vers une plus grande autonomie stratégique et énergétique. Il faut mettre en place une économie responsable, circulaire qui soit source de dynamique entrepreneuriale, d’emploi et de création de richesses dans la longue durée. Il faut pour cela accompagner les entreprises en termes de numérique pour qu’elles puissent évoluer vers le digital et le télétravail choisi. Elles doivent pouvoir répondre aux attentes des consommateurs, devenus des « consom’acteurs », qui se tournent vers le web et ont néanmoins une attente de proximité dans les métiers de bouche, les services ou l’artisanat.
Actu-Juridique : Les entreprises vont-elles trouver dans cette crise le moteur pour aller vers plus de sobriété ?
Bernard Cohen-Hadad : La transformation de nos entreprises pour devenir plus sobres, responsables et impliquées sur leur territoire est une priorité. La Covid-19 a été déjà le premier signal d’alarme. Seulement, pour améliorer notre rentabilité nous devons passer temporairement par une surconsommation d’énergie. C’est paradoxal mais c’est ainsi : fabriquer des batteries a un coût énergétique et une empreinte carbone importante conjoncturelle. Nous devons l’accepter pour changer durablement de modèle dans les domaines de la production, des services et trouver les investissements afférents. Il faut également rénover nos locaux professionnels. Beaucoup d’industries de production mais aussi des bureaux et des commerces sont des passoires thermiques. Cela a un coût pour les propriétaires, les bailleurs et les locataires professionnels. Ces coûts s’ajoutent au remboursement des PGE, aux dettes sociales et fiscales qui se sont accumulées pendant la crise sanitaire. On cherche encore le moment d’embellie car l’ensemble des crises sont subies et mettent les entrepreneurs dans de profondes des difficultés financières.
Actu-Juridique : Quelles sont vos attentes ?
Bernard Cohen-Hadad : Il faut mettre en place un bouclier tarifaire en matière d’énergie, sur une durée d’au moins 5 ans. Celui-ci doit être francilien, hexagonal et même européen. Il faut mettre le paquet sur « la PME Nation » pour encourager nos entreprises à revenir dans le jeu de l’exportation, afin que nos entreprises exportent davantage et filialisent moins. Les responsables de TPE et PME, artisans, professions libérales attendent un accompagnement au numérique complet. Il faut mettre en place un « chèque vert » pour toutes les entreprises qui souhaitent jouer le jeu, et pas simplement pour certaines d’entre elles comme cela se fait aujourd’hui. Alléger les charges des entreprises, c’est encourager l’emploi en permettant aux entreprises de pouvoir embaucher des alternants et des apprentis. Il faut aussi accompagner les entreprises dans leur transformation vers une économie plus circulaire et locale. Valoriser nos territoires franciliens et produire local. Et en matière agricole accompagner les professionnels à travers une réflexion sur la méthanisation de leurs activités en Île-de-France.
Actu-Juridique : Comment se porte le secteur de l’hôtellerie et de la restauration ?
Bernard Cohen-Hadad : Certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, le numérique ou le secteur du service à la personne, avaient repris du dynamisme à la sortie de la crise sanitaire mais font face aujourd’hui à une pénurie de compétences et à des marges de plus en plus faibles. Il y a du travail mais ces entreprises ont du mal à embaucher notamment du fait du boom des prix des loyers et de la pénurie de logements en Île-de-France. Aujourd’hui, de moins en moins d’indépendants, d’entrepreneurs et de collaborateurs vivent à Paris intra-muros pour des raisons de coût des loyers ou d’incapacité d’acquérir un logement. Par conséquent, les déplacements pendulaires entre le domicile et le lieu de travail dépassent pour la moitié d’entre eux 1 h 15 par trajet par jour. Cela n’est pas supportable. Cela a des conséquences sur la capacité de travailler dans des emplois à horaires décalés, sur l’attractivité des métiers et sur la qualité de vie au travail.
Actu-Juridique : Avez-vous des revendications concernant le logement ?
Bernard Cohen-Hadad : Nous demandons en effet d’améliorer l’habitat et de privilégier les collaborateurs des métiers du secteur marchand en tension : métiers de la sécurité, infirmiers, médecins, plombiers, électriciens, cuisiniers, restaurateurs, boulangers dont beaucoup travaillent en horaires décalés, quand les transports en commun circulent moins ou plus du tout. C’est une des conditions du retour à l’emploi et de la fin de la difficulté des entrepreneurs à trouver des compétences. Mieux travailler et mieux vivre dans la ville est aussi une nécessité dans une région où se trouvent 7 millions et demi d’emplois salariés et non-salariés.
Référence : AJU006h2