« La claque prise par les commerces lors du 1er confinement a été un électrochoc pour passer au commerce en ligne »

Publié le 06/04/2021

La crise sanitaire et économique a accéléré la transformation digitale des plus petites entreprises. Si de nombreux commerçants ont subi le premier confinement, lors du second confinement, certains étaient préparés aux outils numériques, d’autres n’avaient pas encore pris ce virage. Face à cette situation, le gouvernement a demandé au réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) de réaliser des diagnostics numériques auprès des TPE. 5 000 sociétés ont été étudiées et accompagnées. Le bilan avec Sandrine Wehrli, directrice générale déléguée de CCI France.

Actu-Juridique : Quel bilan faites-vous de ces 5 000 diagnostics numériques auprès des TPE ?

Sandrine Wehrli : Nous avons réalisé les 5 000 diagnostics en priorité auprès des commerçants. Nous les avons faits quand on a vu arriver le second confinement. Certains secteurs d’activité étaient considérés comme non-essentiels et étaient fermés. C’était notre première cible.

« Plus les commerçants sont reculés et situés loin d’autres commerces, plus ils ont intérêt à être présents sur internet »

Cette étude, à travers les diagnostics, a permis de constater que les commerçants situés en zone rurale ont le plus développé leur présence en ligne. Plus les commerçants sont reculés et situés loin d’autres commerces, plus ils ont intérêt à être présents sur internet. Sur les 5000 TPE diagnostiquées, 14 % n’ont aucune présence en ligne. Ce chiffre tombe à 2 % dans le département de l’Ain, 3 % dans l’Allier, 4 % dans le Doubs mais il monte à 36 % en région Île-de-France. Ce constat défend encore plus les politiques menées depuis longtemps de désenclaver, faire arriver la fibre dans les territoires les plus reculés car les commerçants, ayant déjà les outils numériques sont plutôt situés dans ces zones-là.

AJ : Quel constat avez-vous fait par rapport aux secteurs d’activité ?

S. W. : Par exemple, sur les 5 000 commerçants diagnostiqués, 6 % des commerces de jouets et de jeux n’ont pas de présence en ligne. C’était le premier secteur concerné lors du deuxième confinement puisqu’ils avaient fait le plein de leur stock en vue des fêtes de fin d’année. Ce taux est de 10 % chez les libraires et 14 % chez les restaurateurs. Mais quand on regarde les 5 000 commerces diagnostiqués, 57 % des libraires ont généré du chiffre d’affaires via les ventes en ligne. La claque prise par certains commerces lors du premier confinement a été un révélateur, un électrochoc pour passer au commerce en ligne. Les premiers parmi ces commerçants ont été les libraires, qui ont longtemps été réfractaires. Je me souviens, dans le réseau des CCI, on nous avait demandé d’être partenaire d’Amazon pour rencontrer les commerces sur le territoire. L’idée était d’expliquer que cette multinationale pouvait les aider à développer un autre canal de présence et de vente en ligne. On a dû renoncer à ce partenariat car les libraires étaient assez remontés. C’était avant la crise sanitaire. Et finalement, les libraires avec les restaurateurs sont les premiers à avoir effectué cette transition avec la crise.

AJ : Quelle méthode avez-vous utilisée pour réaliser ces 5 000 diagnostics ?

S. W. : Nous avons développé un outil, il y a deux ans et demi, appelé “Digipilote“ à l’intention, dans un premier temps, des PME pour les aider à mesurer et à évaluer leur maturité digitale ou numérique. L’idée était d’analyser tous les postes d’une entreprise c’est-à-dire sa communication, sa visibilité, sa recherche de clients, sa capacité de vendre, encaisser et facturer en ligne mais aussi la gestion des stocks. Cet outil permet à travers des questions et des réponses proposées d’effectuer le diagnostic. Au final, on croise ces enseignements avec la situation géographie, la taille et les secteurs d’activité des entreprises. C’est cet outil que nous avons utilisé. Lors du deuxième confinement, l’État nous a demandé de mettre en place un dispositif, en urgence pour que les commerçants, qui n’avaient pas pris le virage digital lors du premier confinement, ne subissent pas le deuxième confinement. Dans toutes les chambres, on a appelé 30 000 commerçants des secteurs d’activité dits prioritaires du deuxième confinement car non-essentiels et très engagés dans les fêtes de fin d’année. C’est l’habillement, les chaussures, les jeux et jouets, l’horlogerie et la bijouterie, les librairies ou encore la restauration. On les a appelé en leur conseillant de passer au MVN : le minimum vital numérique.

AJ : Qu’est-ce que le minimum vital numérique et comment les TPE doivent se saisir des outils numériques ?

S. W. : Le minimum vital numérique pour ces commerçants, c’est d’abord garder le lien avec les clients et avertir du maintien d’une activité, malgré la fermeture administrative. C’est donc la présence en ligne au moins sur les réseaux sociaux et au mieux avec un site internet ou sur une market place. C’est faire en sorte que ces commerces ne disparaissent pas de l’esprit ou du réflexe de leurs clients ou consommateurs habituels à cause de la fermeture administrative.

« Le click & collect était une question de survie notamment lors du deuxième confinement »

Ensuite, l’autre aspect du minimum vital numérique, c’est la vente en ligne à travers le click & collect. Des commerçants ont mis en place ce système et même le click & drive ou le click avec la livraison à domicile. Le click & collect est un moyen pour le commerçant de rester ouvert, d’avoir du passage. Certes, il ne reçoit pas dans les conditions normales mais il continue à vendre. Même si le chiffre d’affaires du commerce en ligne était loin de compenser le chiffre d’affaires habituel. Cela a permis aussi de bénéficier de l’attractivité des autres commerces dits essentiels qui sont restés ouverts. Pour les inciter à mettre en place ce minimum vital numérique, on leur a expliqué la méthode, les outils qui existent et les aides dont ils peuvent bénéficier. Le click & collect s’est vraiment bien développé entre le premier et le deuxième confinement et surtout pour les secteurs les plus concernés. C’était une question de survie notamment lors du deuxième confinement.

« La claque prise par les commerces lors du 1er confinement a été un électrochoc pour passer au commerce en ligne »
Romain TALON / AdobeStock

AJ : Pourquoi la digitalisation des TPE est une urgence économique ?

S. W. : D’après une étude de la CCI Haut-de-France, un commerçant sur deux a estimé que les outils digitaux les avaient aidés à sortir de la crise, après le premier confinement. Cette tendance est confirmée au niveau national. C’était d’abord un enjeu de maintien d’activité. Puis, la digitalisation a été une facilitation pour la reprise. Quand les commerces ont été fermés et qu’ils ont maintenu un minimum d’activité grâce à la vente en ligne, cela a facilité le déconfinement.

« Aujourd’hui le commerce en ligne c’est moins de 10 % du chiffre d’affaires global »

À l’inverse, la non-utilisation de canaux digitaux a fragilisé ceux qui étaient en situation difficile. Il y a encore des marges de progression à faire sur le chiffre d’affaires réalisé en ligne. Aujourd’hui, il atteint moins de 10 % par rapport au chiffre d’affaires global. Les commerces disent aussi que le recours au numérique a eu un effet protecteur ou bouclier. La crise nous a appris qu’on ne pouvait plus vivre avec un seul canal de distribution. Les consommateurs ont changé leur mode de consommation. Quand on a une entreprise, on adapte son offre à la demande. 86 % des Français ont prévu de continuer à acheter en ligne après le premier confinement. C’est un enjeu de survie pour les commerces. Ils ne peuvent plus considérer cela comme une rustine temporaire avec un retour à la normale. C’est clairement un changement durable du mode de consommation. C’est un facteur de compétitivité puis il ouvre une zone de chalandise plus large. Les commerçants ont des clients ailleurs pas seulement au bout de leur rue ou autour de leur quartier grâce au commerce en ligne.

AJ : Quels sont les effets du numérique sur la gestion d’une entreprise ?

S. W. : L’intégration du numérique dans l’organisation est une source d’optimisation de la productivité. Il y a une marge de progression importante mais on a eu une bonne surprise. Sur les 5 000 commerçants diagnostiqués, on en a 55 % qui utilisent des logiciels dédiés à leur activité organisationnelle. Ce sont des logiciels de CRM gestion de la relation client, de gestion de stock, de relation fournisseur. Pour nous, la suite de ce diagnostic, c’est de poser un plan d’action, en poussant les solutions ou les aides existantes. Nous sommes dans une stratégie des petits pas. La préoccupation première des commerçants c’est la visibilité, ensuite de vendre en ligne puis pour ceux qui sont mûrs sur les deux premiers points, c’est d’améliorer leur organisation, grâce à la numérisation.

AJ : Quels sont les dispositifs et les aides existants pour permettre la transformation numérique des TPE ?

S. W. : Vous avez plusieurs types d’aides directes et indirectes, qui peuvent être nationales, régionales ou locales. D’abord en aide directe financière, vous avez le chèque numérique national de 500 €, distribué par l’État. Il permet à un commerçant de se faire accompagner en bénéficiant d’un conseil par un consultant. Ce dispositif a été annoncé en novembre 2020 et lancé en janvier 2021 par l’État. Dans les aides directes vous avez celles des régions et des autres collectivités locales. Tous les conseils régionaux ont mis en place des aides sous forme de chèque à destination des commerçants. En Normandie, ce dispositif s’appelle “Impulsion transition numérique“ qui couvre 50 % des frais, en Bourgogne-Franche-Comté c’est “Kapnumerik“, en Haut-de-France c’est “Booster numérique“, qui va jusqu’à 1 000 € de prise en charge. Après, vous avez des aides indirectes. Ce ne sont pas des aides qui vont aux commerçants. Mais, ces dispositifs vont leur permettre de bénéficier d’outils, que d’autres acteurs vont leur proposer et qu’ils n’auront pas à payer. Ce sont par exemple les aides mises en place par l’État à destination des collectivités pour qu’elles mettent en place des plateformes de commerce en ligne. L’État a fait un gros effort envers les collectivités. Une aide de 2 000 € aux collectivités pour mettre en place des “market place“. Nous, les CCI, y avons contribué puisque nous avons appelé les collectivités qui n’étaient pas dotées de plateformes de commerce en ligne. Puis, vous avez d’autres aides indirectes, celles qui nous ont permis de faire les 5 000 diagnostics, qui n’ont pas été facturés aux entreprises puisque l’État a contribué à 50 % au prix de ces diagnostics. D’ailleurs nous allons continuer ces diagnostics en 2021 en étendant à d’autres secteurs.

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