La prison au temps du coronavirus : « un confinement dans le confinement »
Si le confinement a pesé sur le moral des français, il est un lieu où il a été vécu comme une double peine : la prison. Difficile de respecter les gestes barrière quand on vit à trois dans 9m2, cruel d’être soudain privé de visites, de travail ou encore de toute possibilité de préparer sa sortie…Loin, très loin de l’image d’une prison « Club Med », Matthieu Quinquis, avocat au barreau de Paris, membre de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) explique les contraintes supplémentaires imposées à la vie en détention au temps du coronavirus.
Le défi était de taille, mais il semble jusqu’à présent avoir été relevé. Comme l’a souligné la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans un rapport de juillet 2020 : « le risque majeur de développement d’une épidémie dans la promiscuité des milieux clos et au sein d’une population que son état de santé rend souvent particulièrement vulnérable a été évité »[1]. Il est vrai, les prisons semblent avoir résisté au temps du COVID. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà du strict bilan humain, cette crise sanitaire a intensifié les contraintes ordinairement imposées aux personnes détenues et exacerbé les rigidités de l’administration. Aux premiers jours d’un nouveau calendrier de déconfinement, retour sur la gestion de la pandémie dans le monde pénitentiaire.
Surpopulation : ça s’en va… et ça revient
« Moins 13000 personnes détenues », c’est ainsi que se résume souvent le bilan de la crise sanitaire dans les prisons françaises. Entre le début de l’année 2020 et la levée du confinement du printemps dernier, le nombre de personnes détenues a en effet connu une baisse historique en passant de plus de 72.500 au 15 mars 2020 à moins de 58.700 le 1er juillet suivant. Mais s’il y a tout lieu de se satisfaire de cette diminution, le bilan reste bien plus contrasté que ce qu’il laisse a priori apparaître.
D’abord, loin de ce qu’affirme le Gouvernement, cette décroissance n’est pas le résultat de la seule adaptation des règles de procédure pénale pendant l’état d’urgence sanitaire. L’analyse attentive des données démontre en réalité qu’elle a été principalement générée par la suspension de l’activité pénale (hors contentieux de l’urgence) et la mise à l’arrêt forcée de la délinquance quotidienne. Les statistiques le confirment : plus que d’une accélération des sorties, la période mars-juillet 2020 est marquée par une nette diminution des entrées en détention.
Ensuite, la baisse de la population pénale n’a pas entraîné la résorption de la surpopulation carcérale. Ainsi que le relève le CGLPL, « les établissements les plus surpeuplés n’ont pas tous été concernés » par la réduction des incarcérations[2]. Si le taux d’occupation global est passé de 116% au 1er janvier 2020 à 97% au 1er juillet suivant, il s’élevait aux mêmes dates à 138% et 116% pour les seules maisons d’arrêt. Au début de l’état dernier, 422 personnes dormaient encore sur un matelas au sol…
Enfin, il est manifeste que cette réduction de la population carcérale ne s’inscrit pas dans un véritable mouvement de déflation. Passé le confinement du printemps, les incarcérations ont repris de plus belle, effaçant rapidement le bénéfice favorable des mois d’arrêt. Les dernières publications du ministère de la justice dévoilent ainsi que depuis le mois de juillet dernier, le nombre de personnes détenues a augmenté de plus de 6500, pour relever à plus de 65.000 la population carcérale. A incarcérations constantes, la France devrait ainsi avoir retrouvé sa situation initiale dès le mois d’octobre prochain[3].
Gestes barrières : l’AP s’en est-elle lavé les mains ?
« Dans les prisons comme à l’extérieur, le déclenchement de la crise sanitaire a pris de court les autorités. Mais, en ce début mars [2020], une chose est sûre : l’état des prisons françaises ne leur permet pas d’y faire face » jugeait avec autant de sévérité que de lucidité l’Observatoire international des prisons (OIP)[4]. En effet, dans un milieu clos, marqué par la promiscuité et – parfois – la vétusté, comment établir des protocoles de prévention sanitaire et, surtout, comment les faire respecter ?
Longtemps l’administration pénitentiaire semble avoir traité le problème avec distance. « Sur les mesures de prévention, elle avance au gré des tâtonnements et des errements de la politique gouvernementale. […] Les logiques sécuritaires – parfois absurdes – s’opposent aux impératifs de prévention sanitaire, au risque de mettre en danger les personnes détenues » relève ainsi l’OIP[5]. A cet égard, l’histoire ne devra pas oublier que le Ministère a – entre autres – proscrit les solutions hydroalcooliques en détention au prétexte que l’alcool y est interdit…
Elle devra également retenir que sans l’intervention d’associations et d’organisations, l’institution et l’application des protocoles sanitaires se seraient faites encore attendre longtemps. C’est bien sous la pression du contentieux que s’est dessinée la politique de prévention et de gestion de l’épidémie dans les prisons française. Sur ce point, l’ordonnance du Conseil d’Etat du 8 avril 2020 est symptomatique du rapport de force qui s’est engagé avec l’administration pour obtenir un niveau minimal de protection des personnes détenues (dépistage et port du masque)[6]. Le vice-président du Conseil d’État en est d’ailleurs convenu : « c’est au cours de ces audiences que l’administration s’est engagée à mieux formaliser les détections de détenus symptomatiques »[7].
Aujourd’hui, c’est la question de l’accès à la vaccination qui peut poser question. En février dernier, le ministre de la Justice se félicitait de l’inoculation d’une quarantaine de prisonniers âgés de plus de 75 ans et assurait que le reste de la population pénale en bénéficierait dans les mêmes conditions que la population générale. Il est heureux que les personnes détenues ne soient pas ici marginalisées, mais on peut toutefois s’interroger sur les raisons pour lesquelles, à l’inverse de la Suisse, la France n’a pas adopté un plan de vaccination spécial pour les milieux confinés tels que la prison[8]. Cette solution aurait sans doute facilité un retour plus rapide à la normale, notamment en ce qui concerne les parloirs.
Parloirs : le retour des hygiaphones
Au départ réservée aux seules personnes détenues dont la contamination avait été confirmée par l’équipe médicale[9], la suspension des parloirs, salons familiaux et unités de vie familiale (UVF) a été étendue à l’ensemble de la population carcérale à compter du 18 mars 2020[10]. Cette rupture des liens familiaux n’a pu être entièrement compensée par la mise en place de mesures alternatives (crédit téléphonique automatique et dispositif de messagerie entrante[11]) et a généré quelques incidents en détention (mouvements collectifs ou individuels de protestation).
La levée du confinement en mai 2020 a permis la reprise des parloirs famille dans des règles de sécurité sanitaire très strictes[12]. Leurs fréquences et durées ont été réduites, en même temps que le nombre de visiteurs. Cette organisation a automatiquement exclu l’entrée des mineurs de 16 ans et l’accès aux UVF. L’installation de dispositifs de séparation physique était alors recommandée avec souplesse, avant d’être plus fermement exigée dans une note du 2 juin 2020[13].
Ce sont sur ces deux derniers que se sont concentrées les crispations les plus importantes. D’une part, la fermeture des salons familiaux et des UVF porte préjudice à toutes les familles éloignées du lieu de détention de leur proche et pour lesquelles un voyage de plusieurs centaines de kilomètres pour quelques minutes de parloirs est trop difficile. D’autre part, la mise en place de vitre toute hauteur et toute largeur entre la personne détenue et son visiteur prive chacun des contacts physiques et rapprochements qui allègent habituellement le poids de l’enfermement.
Des initiatives contentieuses ont bien été menées pour contraindre l’administration pénitentiaire à adapter et modérer son cadre sanitaire. En mai 2020, sur une requête de Benoit David, avocat au barreau de Paris, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a ainsi jugé que « le dispositif adopté (port du masque et séparation en plexiglas) excède ce que l’efficacité de l’anneau sanitaire peut justifier et méconnaît [le] droit au maintien des liens familiaux »[14].
Face à la progression épidémique et aux nouvelles mesures décrétées par le Gouvernement, les juridictions administratives sont revenues sur leurs positions et ont validé le principe de séparation. Elles ont alors limité leur contrôle à l’acoustique en veillant à ce que les échanges puissent intervenir dans des « conditions acceptables » et en exigeant de l’administration qu’elle modifie, au besoin, l’aménagement des parloirs afin d’améliorer la qualité des communications[15]. En pratique, la pénitentiaire est invitée à réaliser des trous dans les vitre de séparation, de manière à faciliter les discussions et éviter que chacun soit obligé de hausser la voix.
À ce jour, tandis que le milieu libre connaît une levée progressive des restrictions sanitaires, le ministère de la Justice n’a pas communiqué sur l’adaptation des mesures en vigueur dans les établissements pénitentiaires. L’accès aux parloirs reste encore très limité et certaines personnes détenues n’ont pas revu leurs enfants depuis plus d’un an.
De nombreuses autres activités (travail, enseignement, formation, cultes) sont encore à l’arrêt. Chacune d’entre elle contribue pourtant à alléger le quotidien et améliorer – autant que cela est possible – la vie dans les établissements pénitentiaires. De fait, beaucoup de personnes détenues sont encore privées de ressources essentielles pour acheter quelques produits en détention, préparer leur sortie ou payer les amendes et condamnations civiles prononcées. Plusieurs autres voient leurs projets de réinsertion suspendus à la reprise des formations ou des permissions de sortir, difficilement octroyées ces dernières semaines.
La crise sanitaire a durci les régimes de détention. Elle a imposé à l’ensemble de la population pénale des conditions de vie bien plus difficiles que ce que prévoit le cadre légal et réglementaire déjà le cadre rigoureux. L’assouplissement des règles à l’extérieur doit urgemment être transposé à l’intérieur, au risque de rendre plus insupportable ce qui s’apparente déjà pour beaucoup à « un confinement dans le confinement »[16].
[1] CGLPL, Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l’épreuve de la crise sanitaire, Juillet 2020
[2] CGLPL, Ibid
[3] Projections à +3% par trimestre
[4] OIP, « Deux mois de crise, et maintenant ? », Dedans-Dehors, n°107, pp.4-7
[5] OIP, Ibid
[6] CE, Ordce du 8 avril 2020, Observatoire international des prisons et autres, n°439827
[7] Actu Juridique, Entretien avec Bruno LASSERRE, 13 mai 2020
[8] Public Sénat, Emission « Allons plus loin », 20 février 2021
[9] Note DAP du 3 mars 2020, Mesures pour la limitation des risques de propagation du Covid-19 au stade 2 de l’épidémie et la continuité de fonctionnement des services
[10] Note DAP du 17 mars 2020, Mesures prises pour tirer les conséquences des restrictions de mouvements et regroupements jusqu’au 31 mars
[11] Jusqu’alors, les proches à l’extérieur n’avaient pas la possibilité de laisser un message sur la boîte vocale de la personne détenue. Désormais, ils peuvent donner des nouvelles sans attendre que cette dernière les contacte.
[12] Note DAP du 6 mai 2020, Déconfinement et reprise progressive de l’activité
[13] Note DAP du 2 juin 2020, Deuxième phase du déconfinement, du 2 au 22 juin 2020, dans les services déconcentrés de l’administration pénitentiaire
[14] TA Caen, Ordce du 26 mai 2020, n°2000922
[15] Par exemple : TA Poitiers, Ordce du 26 mars 2021, n°2100559
[16] CGLPL, Op. cit.
Référence : AJU216469