« Le chômage coûte cher à la société en général, et aux entrepreneurs en particulier »

Publié le 21/07/2017

Entrepreneur depuis l’âge de vingt-cinq ans, Hervé Allart de Hees se définit comme un chef d’entreprise autodidacte. Il a développé des technologies innovantes de transcription de la parole pour permettre à des personnes sourdes de vivre en entreprise. Il est aujourd’hui à la tête de Tadeo, entreprise d’une centaine de salariés basée à Saint-Maur-des-Fossés (94), et préside le Medef de l’Est parisien, qui a pour mission de développer l’emploi dans les départements du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis.

LPA – Quelle est la vocation du Medef de l’Est parisien ?

Hervé Allart de Hees – Nous représentons environ un millier d’entreprises, principalement des TPE et des PME, travaillant dans des secteurs aussi divers que la chimie, l’industrie, les services… Nous portons leur voix auprès des institutions locales, des collectivités territoriales et des administrations. Nous veillons à faire remonter les besoins qui seront traités à l’échelle nationale, concernant par exemple la réforme du Code du travail ou de la fiscalité. Il faut accompagner les entreprises du territoire pour soutenir leur croissance et leur permettre d’embaucher. Le principal combat est celui de l’emploi. Le chômage coûte cher à la société en général, et aux entrepreneurs en particulier.

LPA – Comment accompagnez-vous le développement des entreprises ?

H. A. de H. – Principalement en permettant aux entrepreneurs d’entrer en relation les uns avec les autres. Nous organisons des temps de rencontre très régulièrement, sous la forme de petit-déjeuner, de déjeuner ou de réunions autour de thématiques spécifiques. Nous couvrons l’ensemble des sujets qui font la vie d’une entreprise : la transmission, la fiscalité, les accès au financement, mais aussi l’emploi des seniors, des personnes handicapées… Ces rendez-vous sont très réguliers et réunissent entre 50 et 100 adhérents à chaque fois. Contrairement aux idées reçues, les Medef territoriaux rassemblent surtout des TPE et des PME, car les grands groupes bénéficient déjà des services que nous pourrions leur proposer en interne. Les petites structures ont en revanche besoin d’être accompagnées. Ces réunions ne sont pas des formations à proprement parler, mais elles contribuent à permettre à l’entrepreneur de mieux comprendre les problématiques liées à l’entreprise. Elles créent une ambiance d’échange et d’émulation. C’est important, car les entrepreneurs sont assez seuls au quotidien. Là, ils peuvent challenger des idées de stratégies, des voies d’expérimentation, partager leur vécu et leurs expériences.

LPA – Le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis sont des départements où l’entrepreneuriat est important, mais fragile…

H. A. de H. – Oui, c’est particulièrement vrai en Seine-Saint-Denis, département qui jouit d’un très fort taux de création d’entreprises mais également d’un fort taux d’échec. Cela tient en partie au fait que c’est un département avec un fort taux de chômage : les habitants ont donc tendance à créer leur entreprise pour créer leur emploi. Or le passage de l’idée à sa réalisation n’est pas facile. Cela dit, on a en France la spécificité de beaucoup parler des échecs et peu des réussites. Il y a aussi de très belles réussites de la part de jeunes entrepreneurs qui se lancent seuls, en sachant à peine ce qu’est une entreprise, et qui trois ans plus tard ont une dizaine de collaborateurs. Ces histoires existent, j’en ai vu un certain nombre. Par ailleurs, il faut cesser d’envisager l’échec comme un point final. Un premier échec permet de réfléchir, de se repositionner et d’être plus fort ensuite. Il arrive souvent que des créateurs arrivent à créer une structure qui fonctionne après avoir essuyé un échec, c’est une trajectoire assez courante. Les entrepreneurs apprennent souvent de leurs échecs. On ne le dit pas assez.

LPA – Est-ce une bonne idée de se lancer dans l’entrepreneuriat lorsqu’on est au chômage ?

H. A. de H. – Je me mets à la place des demandeurs d’emploi et je comprends bien leur attitude. C’est dans l’absolu une bonne idée, mais c’est toujours un risque. Il y a évidemment des difficultés, même lorsque l’on est mû par le goût du risque et l’envie d’apporter quelque chose à la société. Lorsque l’on a été salarié et que l’on n’a pas dans son entourage de contact avec des entrepreneurs, on ignore tout des codes et des règles de l’entrepreneuriat. C’est pour cela que nous accompagnons, au Medef, les personnes qui ont cette vocation. Nous sommes là en renfort et pour leur faire rencontrer d’autres entrepreneurs qui peuvent être leurs clients de demain.

LPA – Vous faites un important travail de lobbying. Quel est le message que vous portez ?

H. A. de H. – Nous essayons de faire en sorte qu’existent les conditions nécessaires pour entreprendre. Nous travaillons avec les sénateurs, les députés, nous leur expliquons ce dont nous avons besoin pour être en confiance, pour investir, et pour in fine créer de l’emploi. Car c’est cela l’objectif premier des chefs d’entreprise ! Plus on va être dans une dynamique positive, plus les entrepreneurs seront en capacité de créer de l’emploi. Le chef d’entreprise n’a rien à voir avec la caricature que l’on a tendance à en faire dans notre pays. Croyez-moi, il n’y a rien de pire, pour un entrepreneur, que de se débarrasser d’un collaborateur avec lequel il travaille depuis des années.

LPA – Que demandez-vous concrètement ?

H. A. de H. – Nous disons très clairement qu’il faut assouplir les règles du travail. Je ne connais pas, aujourd’hui, une seule entreprise qui ne soit pas en sous-effectif, et pourtant aucune n’embauche. Il y a des freins à l’embauche. Pour les lever, il faut permettre à l’entreprise de pouvoir s’adapter en temps réel à ses besoins. Pour le moment, tout le monde se dit : « Si je dois licencier, combien est-ce que ça va me coûter ? ». La plus grosse crainte des entrepreneurs aujourd’hui est de se retrouver aux prud’hommes. Dans ces conditions, que reste-t-il aux entreprises comme liberté, comme capacité d’évoluer ? Le barème dont on parle aujourd’hui peut être un moyen de rassurer l’entrepreneur. On a trop brimé la capacité d’entreprise et d’audace. Ces contraintes vont à l’encontre de l’intérêt général car seule l’entreprise peut créer un contrat d’embauche. Pour faire baisser le chômage, il faut évidemment penser en termes de formation, mais il faut surtout permettre aux chefs d’entreprises de créer de l’emploi. Vous savez, un chef d’entreprise a deux obsessions : remplir son carnet de commandes et rentrer de l’argent pour payer les salaires. Laissons-le se concentrer sur cela !

LPA – Les Medef territoriaux ont-ils la même fonction que le Medef national ?

H. A. de H. – Nous sommes évidemment sur la même ligne. Le Medef national est en charge des grands sujets à l’échelle nationale. Les représentants discutent en ce moment avec le gouvernement des projets d’ordonnance pour réformer le droit du travail. Le Medef territorial agit à un échelon local, il est en contact avec la préfecture, les présidents de conseils départementaux, les maires, les députés. Nous abordons des problématiques plus locales, comme le transport aérien par exemple, puisque notre zone compte trois aéroports. Contrairement au Medef national, nous sommes en contact direct avec les entreprises. Nous faisons ensuite remonter ses informations au Medef national, et nous pouvons être force de proposition.

LPA – Travaillez-vous sur l’organisation des Jeux olympiques ?

H. A. de H. – Oui, car c’est un événement dont le tissu local, les entreprises aussi bien que les habitants, doivent bénéficier. On sensibilise donc les acteurs qui organisent les Jeux en ce sens. Il nous faut être vigilant, et ne pas nous contenter d’être le territoire qui accueillera les Jeux sans y être associé, comme cela s’est déjà vu trop souvent par le passé. Souvenons-nous de la COP 21 : nous avons regardé les trains passer, tandis que les diverses missions liées à l’événement étaient assurées par des travailleurs détachés ! Il ne faut pas que cette situation se reproduise. Nous faisons passer le message en amont, auprès du comité olympique, des hommes politiques, et globalement de tous ceux qui seront en charge de la réalisation des Jeux. Il faut passer des contrats qui incluent les TPE et PME, inclure dans les marchés des clauses spécifiques qui favoriseront les entreprises locales, et anticiper les besoins de formations pour permettre à certaines personnes d’acquérir les bases d’un métier à l’occasion des jeux.

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