Les entreprises en difficulté dans la loi PACTE
La loi PACTE contient plusieurs dispositions intéressantes concernant le droit des entreprises en difficulté. Elles visent à améliorer la prévention des difficultés de l’entreprise et leur traitement. Elles ont également pour ambition de favoriser le rebond rapide du débiteur.
Qu’est-ce qu’un droit des entreprises en difficulté efficace ? La réponse à cette question varie selon les périodes. De 1807 à 1985, une faillite était considérée comme efficace lorsqu’elle permettait de payer un maximum de créanciers. Si, au passage, on pouvait éliminer le débiteur du monde des affaires, c’était mieux. Depuis la loi de 1985, le paradigme a changé. Un droit des entreprises en difficulté efficace est désormais celui qui permet de sauver l’entreprise et les emplois qui s’y rattachent. La loi de sauvegarde de 2005 a accéléré le mouvement et, depuis lors, les réformes se succèdent, avec deux credo : anticiper les difficultés du débiteur et favoriser son rebond après une liquidation judiciaire. La loi PACTE1, si elle n’est pas une loi sur les procédures collectives, contient des mesures sur les entreprises en difficulté qui s’inscrivent clairement dans ce sens. Si ses innovations n’ont rien de révolutionnaire, elles améliorent la prévention des difficultés de l’entreprise (I) et le sort de ses dirigeants (II).
I – Améliorer la prévention des difficultés en anticipant
Prévenir la défaillance d’une entreprise est fondamental. L’on sait depuis fort longtemps déjà que plus les difficultés d’une entreprise sont prises tôt, plus les chances de redressement sont grandes. C’est d’ailleurs ce constat qui a présidé à la création de la procédure de sauvegarde en 2005. Aujourd’hui, cette préoccupation gagne l’Europe tout entière et le droit français fait, à cet égard, figure de modèle. La directive européenne sur les cadres de restructuration préventifs2 le montre, même si notre droit doit tout de même être adapté. La loi PACTE anticipe cette adaptation (A), pourtant, alors même qu’elle prône la prévention, certaines de ses dispositions pourraient avoir des incidences néfastes sur l’anticipation des difficultés des entreprises (B).
A – Anticiper la transposition de la directive
Le 28 mars dernier, la directive européenne relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement a été adoptée.
La loi PACTE donne habilitation au gouvernement pour transposer la directive par ordonnance dans un délai de 2 ans. L’objectif est d’assurer une insertion rapide et efficace de ses dispositions dans le droit français. L’article 196 de la loi anticipe sur la transposition de la directive en listant déjà neuf points sur lesquels le livre VI du Code de commerce devra être adapté. Certains de ces points sont très généraux, comme la nécessité de développer des mesures destinées à favoriser le rebond de l’entrepreneur individuel faisant l’objet de procédures de liquidation judiciaire et de rétablissement professionnel3. D’autres sont d’ores et déjà plus précis.
La loi PACTE amorce en particulier un bouleversement des règles de représentation des créanciers. À l’heure actuelle, le droit français réunit les créanciers en comités, c’est-à-dire selon leur qualité (principaux fournisseurs, établissements de crédit et assimilés). Or la directive, inspirée sur ce point par le droit anglo-saxon, prévoit que l’approbation du plan par les créanciers se fera par classes, c’est-à-dire en fonction de leur rang. Au minimum deux classes de créanciers devront donc être créées, celle des créanciers privilégiés ou munis de sûreté et celle des créanciers chirographaires.
L’article 196, 1°, de la loi PACTE prévoit d’ores et déjà la mise en conformité du droit français par l’institution de classes de créanciers qui se substitueront aux actuels comités de créanciers. Ce qui est étonnant est que le texte ne prévoie ce remplacement que pour l’adoption des plans de sauvegarde4. Certes, la directive européenne affirme se cantonner aux procédures préventives. Cependant, il serait incohérent de regrouper les créanciers par classes pour l’approbation d’un plan de sauvegarde, mais de conserver les comités de créanciers pour le redressement judiciaire5. Cette dernière procédure devrait donc également être modifiée en conséquence. La loi PACTE n’y fait pas obstacle puisque l’article 196, 7°, prévoit la mise en cohérence à la fois de la sauvegarde et du redressement judiciaire avec les dispositions de la directive.
Une autre anticipation de la loi PACTE sur la transposition du texte européen est de prévoir la consécration de la pratique du « cross-class cram-down ». L’article 196, 2°, prévoit en effet que le tribunal devra pouvoir arrêter le plan malgré l’opposition d’une ou de plusieurs classes de créanciers. L’ordonnance devra cependant préciser les garanties et conditions nécessaires à la protection des intérêts du débiteur, des créanciers et des personnes concernées par les plans de sauvegarde6.
Pour une fois, le législateur français semble donc faire figure de bon élève en Europe s’agissant de la transposition d’une directive. Cependant, alors que cette directive promeut le recours aux procédures préventives et que la France était jusque-là un exemple au sein de l’Union, certaines dispositions de la loi PACTE risquent, de manière incidente, de porter atteinte à l’anticipation des difficultés.
B – Anticiper les difficultés de l’entreprise
Le droit français des entreprises en difficulté a élaboré au fil du temps tout un système de prévention permettant non seulement d’alerter le dirigeant sur les difficultés de son entreprise, mais encore de l’inciter à les traiter avant l’état de cessation des paiements. Indirectement, la loi PACTE affaiblit ces deux mécanismes.
Le premier coup est porté à la procédure d’alerte7. Cette procédure vise à avertir le chef d’entreprise des difficultés rencontrées par celle-ci et à l’inciter à réagir avant qu’il ne soit trop tard. Il est assez fréquent, en effet, que le chef d’entreprise, pris dans les problèmes et la gestion quotidienne de son activité, ne prenne pas la mesure des difficultés de son entreprise. La procédure d’alerte permet de mettre le dirigeant face à la réalité de la situation et l’oblige à prendre les dispositions nécessaires pour éviter la cessation des paiements. Le commissaire aux comptes est un des titulaires du droit d’alerte. Il a l’obligation de déclencher celle-ci dès lors qu’il relève, à l’occasion de sa mission, « des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation ». Or, la loi PACTE réduit très significativement le nombre de cas où un commissaire aux comptes est obligatoire. En effet, il est désormais facultatif dans toutes les sociétés, y compris dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions, dès lors que certains seuils ne sont pas atteints. Ces seuils ont, de plus, été sensiblement relevés par le décret d’application, pour être alignés sur les seuils européens8. Finalement, c’est plus de 70 % des mandats de commissaires aux comptes qui pourraient disparaître9.
Pourtant, par son expertise comptable, le commissaire aux comptes est le mieux placé pour mettre en œuvre la procédure d’alerte, bien plus que le comité social et économique ou les associés, qui sont les autres titulaires de la procédure d’alerte. Par cette mesure, c’est donc un coup « presque fatal »10 que la loi PACTE porte à cette procédure. Pourtant, l’article 9 de l’étude d’impact sur le relèvement des seuils du commissariat aux comptes n’aborde absolument pas la question des procédures d’alerte, comme si ce point n’avait pas été considéré.
Une autre disposition de la loi PACTE va également avoir pour effet collatéral d’affaiblir la détection des difficultés de l’entreprise. Il s’agit du rehaussement du seuil au-delà duquel le Trésor a l’obligation de publier son privilège. Il était jusqu’à présent de 15 000 €, il est passé à 200 000 € depuis l’entrée en vigueur du décret du 28 juin 2019. Selon l’étude d’impact, la mesure vise à ne pas détériorer la santé économique des PME par l’effet de la publicité sur leur réputation. Là encore, l’étude ne fait aucune allusion aux effets de cette mesure sur la prévention des difficultés.
Ainsi, dans la loi PACTE, le législateur semble avoir porté atteinte à la prévention des difficultés, sans même s’en rendre compte, par la poursuite d’autres objectifs, louables par ailleurs : alléger les PME du coût du commissariat aux comptes et préserver leur réputation… Le législateur aurait pu contrebalancer cette atteinte à la prévention en prévoyant le remplacement de la publication du privilège en deçà du seuil par un devoir d’alerte de l’administration fiscale. Non publiée, la procédure n’aurait pas porté atteinte à la réputation du chef d’entreprise et aurait pu remplacer efficacement la disparition des commissaires aux comptes dans les PME. Les charges fiscales sont, en effet, souvent les premières à ne pas être payées par le dirigeant en cas de difficultés financières. Il est vrai que cela aurait constitué un grand changement, puisque cela serait revenu à autoriser un créancier à déclencher la procédure d’alerte, alors même que celle-ci est réservée classiquement aux organes de l’entreprise. On peut néanmoins le regretter. En effet, même si la mise en œuvre de la procédure d’alerte – surtout par un créancier – peut être ressentie avec difficulté par le chef d’entreprise, elle pourrait constituer un mal nécessaire, obligeant celui-ci à réagir plus tôt aux difficultés de sa société afin d’en faciliter le sauvetage.
C’est justement sur cette réaction rapide qu’il convient à présent de s’arrêter. Depuis 2008, de nombreuses mesures de faveur visent à inciter le débiteur à demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde plutôt que d’attendre d’être forcé par la cessation des paiements à demander l’ouverture d’un redressement judiciaire11. Deux mesures de la loi PACTE affaiblissent cette prime à l’anticipation.
La première mesure permet au débiteur de proposer le nom d’un administrateur judiciaire12, comme c’est le cas en sauvegarde. Sa proposition sera généralement suivie, sauf avis contraire du ministère public.
La seconde mesure touche à la rémunération du débiteur en redressement judiciaire. Alors que jusqu’à présent le juge-commissaire devait nécessairement statuer sur la rémunération du débiteur, celle-ci sera désormais automatiquement maintenue. Ce n’est que si les organes de la procédure ou le ministère public saisissent à cette fin le juge-commissaire que celui-ci sera amené à réévaluer la rémunération du chef d’entreprise13. Ils ne le feront que s’ils estiment que, trop élevée, elle risque d’obérer les chances de redressement ou que, le débiteur totalement dessaisi, cette rémunération n’a plus lieu d’être et devrait être remplacée par des subsides. La solution se rapproche donc de celle prévue pour la sauvegarde, où, en l’absence de disposition sur ce point, la rémunération du débiteur est maintenue.
Si ces deux mesures peuvent être critiquées comme n’envoyant pas « de bons signaux au débiteur pour l’inciter à utiliser la sauvegarde »14, elles doivent être approuvées, car elles vont dans le sens de l’amélioration du sort du débiteur en difficulté, qui est le deuxième objectif de la loi PACTE s’agissant du droit des procédures collectives.
II – Améliorer le sort du débiteur en difficulté
Deux axes sont retenus par la loi PACTE pour améliorer le sort du débiteur en difficulté. Le premier axe vise à faciliter le traitement des difficultés de l’entreprise (A), tandis que le deuxième a pour objectif de faciliter le rebond du chef d’entreprise lorsque l’entreprise n’a pu être sauvée (B).
A – Faciliter le traitement des difficultés
Plusieurs mesures de la loi PACTE améliorent nettement le traitement des difficultés de l’entreprise.
La première corrige ce qui était clairement une incongruité des textes antérieurs en remplaçant, dans le livre VI du Code de commerce, le terme « agriculteur » par « toute personne exerçant des activités agricoles » et en supprimant la référence au débiteur personne physique dans l’article L. 351-8 du Code rural15. Le changement est d’importance. Désormais, les sociétés agricoles pourront, comme les agriculteurs, bénéficier d’un plan de sauvegarde ou de redressement sur 15 ans au lieu de 10 ans pour les autres débiteurs. La loi précise que cette disposition s’applique aux « procédures en cours », ce qui vise expressément les procédures au stade de la période d’observation, mais également les demandes de modification des plans déjà adoptés. Cette solution est la bienvenue tant il s’agit ici de revenir sur une dichotomie aussi injuste qu’injustifiée entre les agriculteurs ayant fait le choix d’exercer leur activité en leur nom propre et ceux qui ont choisi la forme sociétaire.
Ensuite, la loi PACTE met fin à une pratique répandue, mais qui peut faire obstacle à la cession de l’entreprise en difficulté : celle de l’insertion, dans le contrat de bail, d’une clause de « garantie inversée ». Cette clause impose au cessionnaire du bail de garantir la totalité des loyers et charges dus par le preneur à la date de cession du bail.
En l’état des textes antérieurs, seule la clause de garantie solidaire mise à la charge du cédant du bail – à savoir le débiteur en procédure collective – était réputée non écrite par le livre VI du Code de commerce. Pour le reste, le bail est cédé dans les conditions prévues au contrat, avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent. Cela avait conduit les juridictions à valider ces clauses même lorsque la cession du bail avait lieu en cours de procédure collective, et ce, que cette cession se fasse de manière isolée16 ou dans le cadre d’un plan de cession du cédant17. Cette solution était très avantageuse pour le bailleur, mais pouvait être dévastatrice pour le cessionnaire.
On ne peut dès lors s’étonner que la présence de cette clause de garantie inversée dans un bail commercial soit un obstacle insurmontable à la cession du bail du débiteur en procédure collective. Très rares sont, en effet, les cas de procédure collective dans lesquels le débiteur n’a pas de créances de loyer importantes… Quel entrepreneur accepterait de reprendre une entreprise en difficulté avec cette charge, parfois considérable ? Certes, pour permettre la cession malgré la présence d’une clause de garantie inversée dans le contrat de bail, le prix de cession pouvait être réduit à hauteur des loyers impayés par le débiteur. Cependant, dès lors que le fonds de commerce contenant le bail avait une valeur inférieure à la somme en cause, la cession était compromise. Cela était d’autant plus préjudiciable que le bail commercial est souvent le principal actif cessible des petites et moyennes entreprises. C’est pourquoi la loi PACTE répute non écrite toute clause du contrat de bail imposant au cessionnaire la garantie des dettes du cédant.
Le législateur cantonne néanmoins cette solution au cas où le bail est cédé dans le cadre d’un plan de cession et non en tant qu’actif isolé. Ce choix s’explique par la nécessité de mettre en balance les intérêts en présence. En effet, seul le plan de cession a pour objectif la poursuite d’activité et le maintien des emplois qui y sont liés et justifie le sacrifice des intérêts du bailleur.
Les dernières mesures de la loi PACTE visant à faciliter le traitement des entreprises en difficulté cherchent à généraliser l’accès aux procédures rapides lorsque le redressement de l’entreprise est manifestement impossible. En accélérant le traitement des difficultés, on favorise, en effet, le droit au rebond.
B – Faciliter le rebond du chef d’entreprise
Les spécialistes estiment qu’en France près de 40 % des procédures collectives seraient ouvertes à l’encontre de débiteurs dits « impécunieux », c’est-à-dire des débiteurs dont l’actif déclaré ne permet même pas de couvrir les frais de procédure. La procédure traditionnelle de liquidation judiciaire est, à leur égard particulièrement inadaptée, car inutilement longue et complexe. Or, tant qu’une procédure de liquidation judiciaire est en cours, le rebond du débiteur personne physique est impossible. Tout d’abord, celui-ci est dessaisi : il ne peut pas disposer de ses biens, et tous ses droits et actions concernant son patrimoine sont exercés par le liquidateur. Ensuite, le débiteur personne physique a l’interdiction d’exercer une quelconque activité indépendante tant que la procédure n’est pas clôturée. Depuis plusieurs années, le législateur français s’efforce d’imaginer des procédures permettant de limiter dans le temps l’impact de la liquidation judiciaire sur le débiteur personne physique. Deux procédures vont dans ce sens, la liquidation judiciaire simplifiée et le rétablissement professionnel. Sans en modifier le fonctionnement général, la loi PACTE favorise l’accès à ces deux procédures.
S’agissant, tout d’abord, de la liquidation judiciaire simplifiée, la loi de 2019 en généralise l’ouverture dès lors que le débiteur ne dépasse pas certains seuils. Depuis l’ordonnance de 2008, coexistaient une procédure de liquidation judiciaire simplifiée obligatoire pour les plus petits débiteurs18 et une liquidation judiciaire simplifiée facultative ouverte au débiteur dépourvu d’actif immobilier, qui n’avait pas employé plus de cinq salariés durant les 6 mois précédant l’ouverture de la procédure, et dont le chiffre d’affaires hors taxes ne dépassait pas 750 000 € à la clôture du dernier exercice comptable. La loi nouvelle et son décret d’application accroissent le champ de la liquidation judiciaire simplifiée en la rendant systématiquement obligatoire en deçà de ces seuils19. Il n’y a donc plus aujourd’hui qu’une seule liquidation judiciaire simplifiée, toujours obligatoire.
S’agissant de la durée de la procédure, malgré la réécriture de l’article L. 644-5 du Code de commerce, elle ne devrait pas changer par rapport au droit antérieur. Jusqu’à présent, la durée de la procédure de liquidation simplifiée était de 6 mois pour la version obligatoire et 1 an pour la version facultative. Le texte dispose désormais que la durée de la procédure est de 6 mois à compter de la décision d’ouverture de la procédure simplifiée, mais que ce délai est porté à 1 an au-delà de certains seuils. Le décret d’application retient les seuils de l’ancienne liquidation judiciaire simplifiée obligatoire. La procédure est donc, comme auparavant, de 1 an dès lors que le débiteur emploie plus d’1 salarié et réalise plus de 300 000 € de chiffre d’affaires hors taxes. Certes, la loi PACTE n’a pas eu pour effet d’accélérer la procédure20, mais cette solution a le mérite de la rationalité. Pour réaliser une liquidation judiciaire, même simplifiée, dans un laps de temps aussi court, il faut vraiment qu’aucun grain de sable ne vienne bloquer les rouages de la procédure. Exiger que ce délai soit tenu même lorsque l’entreprise emploie plusieurs salariés aurait été contre-productif.
Toujours dans l’objectif de favoriser le rebond du débiteur, la loi PACTE facilite l’accès à la procédure de rétablissement professionnel, sans pour autant en assouplir les conditions d’éligibilité. Ainsi, les conditions d’accès à cette procédure simple et rapide, qui permet l’effacement des dettes du débiteur, sont toujours aussi restrictives. Comment s’y est pris le législateur pour favoriser le rétablissement professionnel sans en étendre le champ d’application ? Tout simplement en confiant au tribunal le soin de proposer cette mesure. En effet, faute d’être connue des entrepreneurs individuels, l’ouverture d’une procédure de rétablissement professionnel est rarement demandée. C’est pourquoi la loi nouvelle prévoit qu’en présence d’une demande d’ouverture de liquidation judiciaire, le tribunal saisi doit examiner si les conditions du rétablissement professionnel sont réunies et la proposer à l’entrepreneur individuel.
En outre, en cas de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement, le tribunal peut désormais proposer au débiteur l’ouverture d’une procédure de rétablissement professionnel comme alternative à la liquidation judiciaire, dès lors, bien entendu, que les conditions en sont remplies. Dans tous les cas, le débiteur reste toujours en droit de refuser.
La loi PACTE donne donc ici l’élan nécessaire à l’essor du rétablissement professionnel et, partant, au rebond du débiteur. Il faut relever, en outre, que, même si la loi conduit à l’effacement des dettes du débiteur, le rétablissement professionnel ne lèse pas l’intérêt des créanciers. Vu la faiblesse des actifs des débiteurs concernés, la procédure de rétablissement professionnel vise des hypothèses où les créanciers ne récupéreraient rien même si une procédure de liquidation judiciaire était ouverte. Aussi, cette procédure pragmatique permet aux créanciers d’obtenir rapidement le certificat d’irrécouvrabilité qui leur permet d’enregistrer leur perte comptablement.
Cependant, le droit au rebond n’est pas seulement le droit d’être libéré de ses dettes passées. C’est aussi le droit pour un entrepreneur de pouvoir se lancer dans une nouvelle activité sans être stigmatisé. Si ce droit à une seconde chance fait partie depuis toujours de la culture américaine, en France la route est encore longue. Il ne s’agit, en effet, pas uniquement de faire évoluer la loi, mais de faire changer les mentalités. Deux dispositions de la loi PACTE vont en ce sens. Tout d’abord, par la suppression de l’inscription de la liquidation judiciaire au casier du débiteur. Cette mention figurait jusqu’alors sur les bulletins n° 1 et n° 2 accessibles à l’autorité judiciaire et aux administrations publiques durant 5 ans.
Ensuite, par l’éligibilité des chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective au tribunal de commerce. Seuls les débiteurs ayant fait l’objet d’une sanction telle que la responsabilité pour insuffisance d’actif ou faillite personnelle restent inéligibles.
Ces deux mesures, si elles peuvent sembler symboliques, voire anecdotiques à certains, ont un impact psychologique important pour le chef d’entreprise qui a fait faillite. Non, le failli n’est pas un délinquant (d’ailleurs, désormais, sauf sanction, son casier judiciaire reste vierge après une liquidation judiciaire) et il n’est plus dorénavant considéré comme indigne d’être élu juge consulaire.
En conclusion, sans bouleverser fondamentalement le droit des entreprises en difficulté, la loi PACTE continue sa modernisation et ouvre des perspectives intéressantes. Ainsi, elle autorise le gouvernement à réformer le droit des sûretés par voie d’ordonnance, dans un délai de 2 ans. L’article 60 prévoit expressément que cette réforme devra articuler le droit des sûretés avec le livre VI du Code de commerce. Pour une fois, une réforme de droit des sûretés sera coordonnée avec le droit des entreprises en difficulté et, espérons-le, avec ses objectifs. L’enjeu est grand. En effet, un droit des sûretés mal calibré pourrait annihiler tous les efforts que le législateur a faits au niveau des procédures collectives en faveur du droit au rebond du débiteur.
Notes de bas de pages
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1.
Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, NOR : ECOT1810669L : JO, 23 mai 2019, texte n° 2.
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2.
Directive relative aux cadres de restructuration, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement : JOUE L 172, 26 juin 2019 ; Vallens J.-L., « Directive insolvabilité et harmonisation des procédures », DP diff. entr. bull. n° 413, avr. 2019, p. 1 ; Roussel Galle P., « Elle est arrivée ! », Rev. proc. coll. 2019, repère 4.
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3.
Loi PACTE, art. 196, 6°.
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4.
Loi PACTE, art. 196, 1°.
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5.
En ce sens, égal., Vallens J.-L., « Directive insolvabilité et harmonisation des procédures », DP diff. entr. bull. n° 413, avr. 2019, p. 1.
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6.
Loi PACTE, art. 196, 3°.
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7.
Monsèrié-Bon M.-H., « Le projet de loi PACTE, une avancée pour le droit des entreprises en difficulté ? », BJE sept. 2018, n° 116g4, p. 338.
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8.
Décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d’exercice professionnel. Désormais, seules sont tenues de désigner un commissaire aux comptes les sociétés commerciales qui dépassent, à la clôture de l’exercice social, deux des trois seuils suivants : total du bilan 4 000 000 € ; CA HT 8 000 000 € ; 50 salariés.
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9.
Lucas F.-X., « Alerte !!! », LEDEN juin 2018, n° 111r9, p. 1.
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10.
Monsèrié-Bon M.-H., « Le projet de loi PACTE, une avancée pour le droit des entreprises en difficulté ? », BJE sept. 2018, n° 116g4, p. 338.
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11.
Il en est ainsi par exemple des mesures permettant aux garants personnels de bénéficier des délais des plans de sauvegarde.
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12.
C. com., art. L. 631-9 sur renvoi à L. 621-4.
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13.
C. com., art. L. 631-11.
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14.
Le Corre P.-M., « L’incidence de la loi PACTE sur le droit des entreprises en difficulté », Gaz. Pal. 9 juill. 2019, n° 355x9, p. 35.
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15.
Loi PACTE, art. 67, modifiant les articles L. 351-8 du Code rural et de la pêche maritime et L. L620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce.
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16.
Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-23539 : Bull. civ. IV, n° 141 ; Loyers et copr. 2011, comm. 298, note Brault P.-H. ; RTD com. 2011, p. 722, obs. Saintourens B. ; D. 2011, p. 2399, obs. Lienhard A. ; LEDEN oct. 2011, n° 158, p. 4, obs. Rubellin P. ; JCP E 2012, 1000, n° 6, obs. Pétel P. ; Gaz. Pal. 21 janv. 2012, n° I8492, p. 11, spéc. p. 19, note Kendérian F. Adde Vauvillé F., « Clause de solidarité et procédure collective : attention danger ! », Defrénois 28 févr. 2012, n° 40358, p. 186.
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17.
CA Versailles, 13e ch., 12 mars 2015, n° 14/02599, et CA Versailles, 13e ch., 12 mars 2015, n° 14/03274 : D. 2015, p. 1615, obs. Dumont-Lefrand M.-P. ; LEDEN juin 2015, n° 091, p. 1, obs. Lucas F.-X. ; Gaz. Pal. 5 mai 2015, n° 223y4, p. 23, note Kendérian F.
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18.
Débiteurs dont le chiffre d’affaires hors taxes n’excédait pas 300 000 € à la clôture du dernier exercice comptable et qui n’avaient pas employé plus d’un salarié durant les 6 derniers mois.
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19.
C. com., art. D. 641-20 tel qu’issu du décret n° 2020-101 du 7 février 2020, art. 10.
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20.
Martineau-Bourgninaud V., « Le rebond du débiteur dans la loi PACTE », BJE juill. 2019, n° 117c2, p. 50.