Fiscal : Attractivité et optimisation des actifs de propriété industrielle

Publié le 12/05/2022

Marques et brevets affichent une santé insolente en France malgré la crise sanitaire. Attention cependant à bien connaitre et appliquer les règles fiscales. On fait le point avec Me Emmanuelle Hoffman, Me Bastien Mallet et Me Candice André.

Fiscal : Attractivité et optimisation des actifs de propriété industrielle
Photo : ©AdobeDStock/HJBC

La journée mondiale de la propriété intellectuelle qui s’est tenue le 26 avril dernier est l’occasion de rappeler que la propriété intellectuelle (« IP ») est un atout majeur pour le développement et la compétitivité de certaines entreprises sur leur marché.

Les entreprises françaises semblent l’avoir bien compris et font preuve d’innovation si l’on en croit les chiffres relatifs aux demandes d’enregistrement de marques et brevets ces dernières années.

Ainsi, le dépôt de demandes de brevet français se maintient à un niveau élevé en 2021, avec 14 758 demandes, soit une croissance de +3,1 % par rapport à 2020.

L’INPI enregistre également un chiffre record pour les demandes de marques sur l’année 2021, avec 113 070 demandes[1].

La pandémie ne semble donc pas avoir affecté l’attractivité des titres de marques et brevets qui influent positivement, comme les autres actifs incorporels (modèles, savoir-faire…), sur la valeur des entreprises et, par voie de conséquence, sur le montant des plus-values réalisées à l’occasion de la cession de celles-ci : en effet, en cas de cession des titres qu’il détient dans la société, le cédant réalisera une plus-value généralement plus substantielle que dans une société ne disposant d’aucun actif incorporel.

Du point de vue fiscal, rappelons que cette plus-value est imposée au nom du cédant, selon des modalités qui diffèrent en fonction de la qualité de celui-ci :

*Régime des plus-values sur valeurs mobilières ou droits sociaux des particuliers pour les titres détenus – directement ou par société de personnes interposée – par les personnes physiques : en principe, la plus-value est ainsi soumise au prélèvement forfaitaire unique de 30% (« flat tax »);

*Régime des plus-values à long terme s’il s’agit de titres de participation détenus par une société depuis plus de 2 ans. Dans ce cas, la plus-value nette est soumise à l’impôt sur les sociétés (25%) sur la seule base d’une quote-part de frais et charge de 12%. Il en résulte un taux effectif d’impôt de 3% (hors contribution sociale éventuelle).

Ceci étant précisé, il nous est apparu utile de rappeler ci-après, quelques principes applicables s’agissant des marques, d’une part, et des brevets, d’autre part.

Marques : veiller à en préserver la valeur économique à tous les stades

S’agissant de la marque, les titulaires sont invités à anticiper cette valorisation tout au long de la vie de celle-ci en étant attentifs, notamment :

– Avant le dépôt, à l’existence de droits antérieurs ou activités concurrentes susceptibles d’être un frein à son expansion. En effet, il convient de vérifier l’existence de droits antérieurs détenus par des tiers dans les secteurs d’activités visés à moyen et long terme et ce, afin d’éviter le risque de procédure à l’encontre de la marque projetée, par un tiers concurrent.

– Au moment du dépôt, à la portée de celui-ci s’agissant de la désignation des produits et/ ou services dans son libellé d’une part et au choix des territoires couverts par le dépôt d’autre part, en fonction du développement futur de l’activité commerciale de la société à court et moyen terme.

– Après l’enregistrement de la marque, à son exploitation continue : un usage sérieux de la marque est requis pour l’ensemble des produits et/ou services visés à l’enregistrement et sous la forme déposée (ou du moins une forme quasi-identique qui n’affecte pas la distinctivité du signe déposé). En France et dans l’Union Européenne, le risque de déchéance de la marque pour non-usage (et donc d’annulation de la marque) s’apprécie 5 ans après son dépôt/enregistrement.

Ainsi, la transmission de la propriété de la marque n’en sera que plus intéressante pour le cédant qui disposera d’un actif doté d’une véritable valeur économique.

Contrairement à la cession d’actifs de droits d’auteur qui répond à un formalisme exigeant détaillé à l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle, l’acte de cession de marque répond aux impératifs contractuels habituels, précision faite que les parties devront s’accorder sur le sort des frais d’inscription de la cession auprès de l’Office concerné.

Le droit commun semble d’autant plus présent en la matière qu’un récent arrêt du Tribunal judiciaire de Paris du 8 février 2022[2]est venu rappeler, à contre-courant de la pratique, que la cession de marque à titre gratuit correspond à un acte de donation régi notamment par l’article 931 du Code civil.

Ainsi, les juges du fond considèrent que la cession de marque réalisée à titre gratuit entre les parties est une donation non dissimulée nécessitant de passer devant notaire et ce, à peine de nullité.

Il faudra donc passer devant notaire pour tout nouvelle cession à titre gratuit. Si les parties souhaitent s’éviter le formalisme de cette démarche, elles devront nécessairement s’accorder sur un prix juste et non sous-évalué, à défaut de voir leur contrat requalifié en donation.

Du point de vue fiscal, il conviendra également, dans cette situation, d’anticiper le risque de qualification d’acte anormal de gestion si la société cédante ne peut pas démontrer un intérêt propre à consentir une telle gratuité ou à la sous-valorisation manifeste de la marque cédée. Il en irait de même en cas de perception d’une redevance de licence d’exploitation de marque manifestement sous-évaluée pour le concédant ou, au contraire, en cas de paiement d’une redevance manifestement surévaluée si l’on se place du côté de la société utilisatrice. En effet, à l’instar des opérations concernant les autres actifs de l’entreprise, les cessions ou concessions de marques doivent en principe être réalisées sur la base du prix de marché, les revenus ainsi générés demeurant taxés selon les règles de droit commun (impôt sur les sociétés au taux de droit commun s’agissant des sociétés).

Brevets : des dispositifs fiscaux attractifs

S’agissant des brevets, le législateur a souhaité, depuis de nombreuses années déjà, soutenir et encourager les entreprises établies en France dans leur démarche de développement.  Cette volonté de soutien à l’innovation se traduit notamment par certains dispositifs fiscaux attractifs.

On retiendra tout d’abord que les frais de dépôt, de maintenance et de défense de brevets[3] ouvrent droit au dispositif du crédit d’impôt recherche[4], soit généralement 30% des dépenses ainsi exposées. Il en va de même des dotations aux amortissements relatives aux brevets acquis dans l’optique d’opérations de recherche et développement (« R&D ») éligibles.

Par ailleurs, le législateur a institué un régime de taxation spécifique pour les revenus[5] procurés par l’exploitation de brevets et d’actifs incorporels immobilisés assimilés[6] (dispositif dit « IP box » [7]). Ces revenus peuvent en effet être taxés au taux réduit de 10%[8].

Pour pouvoir prétendre à cette taxation réduite, le contribuable devra néanmoins formuler une option en ce sens ; celle-ci devra être réalisée par actif ou, le cas échéant, par produits ou famille de produits (incluant les services). Pour les sociétés de personnes relevant de l’article 8 du Code général des impôts, l’option doit être exercée à son niveau (et non à celui des associés).

Le contribuable doit en outre respecter certaines obligations déclaratives et documentaires.

Enfin, compte tenu de la complexité du dispositif suite à la transposition en droit français de la règle de l’OCDE dite du « Nexus »[9], le contribuable doit mettre en place une procédure appropriée lui permettant de déterminer le revenu éligible de façon à la fois optimisée et sécurisée.

En synthèse, cette dernière règle restreint le champ d’application du régime de faveur aux seuls revenus nets émanant de droits de PI générés par des activités de R&D : ainsi, en pratique, le contribuable doit d’abord déterminer le résultat net de cession, de concession ou de sous-concession éligible (lequel est déterminé par différence entre, d’une part, les revenus tirés des actifs incorporels éligibles (ou produit/famille de produits) et, d’autre part, les dépenses de R&D réalisées directement ou indirectement par l’entreprise et qui se rattachent directement à ces actifs (ou produit/famille de produits)).

Les modalités de détermination de ce revenu net sont assez délicates et nécessitent par conséquent qu’une cartographie précise des revenus et dépenses de R&D soit établie par actif ou produit/famille de produits.

Dans un second temps, il convient d’appliquer à ce revenu net le ratio « Nexus » (ce rapport annuel d’assujettissement au taux réduit s’entend du rapport existant entre, au numérateur, 130% des dépenses de R&D en lien direct avec la création et le développement de l’actif incorporel (ou produit/famille de produits) réalisées directement par le contribuable ou par des entreprises non liées  et, au dénominateur, l’intégralité des dépenses de R&D en lien direct avec la création, l’acquisition et le développement de ce même actif (ou produit/famille de produits) réalisées directement ou indirectement par le contribuable).

Le résultat net bénéficiaire ainsi obtenu est déduit extra-comptablement du résultat de l’entreprise imposable dans les conditions de droit commun (barème progressif à l’impôt sur le revenu ou taux normal à l’impôt sur les sociétés) pour être soumis au taux réduit susvisé.

Lorsque le titulaire des revenus est une société de personnes assujettie à l’impôt sur le revenu, le résultat net bénéficiaire est imposé au taux réduit au nom des associés de la société, à proportion de leurs droits dans les résultats de ladite société.

Enfin, lorsque le résultat net est déficitaire, il est imputé sur les résultats nets bénéficiaires de cession, de concession ou de sous-concession du même actif, produit ou famille de produits réalisés au cours des exercices suivants.

Ce dispositif « IP Box » est donc particulièrement intéressant fiscalement mais aussi relativement complexe à mettre en œuvre. Le jeu en vaut néanmoins la chandelle compte tenu des économies d’impôt substantielles pouvant être réalisées par le contribuable.

La stratégie de protection de vos créations et titres, leur développement, leur transmission et les régimes fiscaux associés sont autant de questions que vous pouvez soumettre à un avocat spécialisé afin de maximiser la valeur de vos actifs !

 

[1] Chiffres clés 2021 de l’INPI : record de dépôts de marques pour la 4ème année consécutive : https://www.inpi.fr/fr/espace-presse

[2] Tribunal Judiciaire de Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142

[3] Incluant les certificats d’utilité et les certificats complémentaires de protection

[4] Article 244 quater B du Code général des impôts (CGI)

[5] Revenus nets de concessions et de sous-concessions de ces droits et plus-values de cession de ces mêmes droits, sous réserve qu’il n’existe pas de liens de dépendance entre le cédant et le cessionnaire et que l’actif incorporel cédé n’ait pas été acquis à titre onéreux depuis moins de deux ans ;

[6] Notamment, les logiciels protégés par un droit d’auteur (« copyright »), les certificats d’obtention végétale ou encore certains procédés industriels

[7] Art. 238 du CGI issu de la loi de finances pour 2019 (loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018), aménagé par la loi de finances pour 2020 (loi n° 2019-1479-1837 du 28 décembre 2019) et commenté notamment au BOI-BIC-BASE-110 du 22 avril 2020 ;

[8] Auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux pour les sociétés de personnes à l’impôt sur le revenu ;

[9] Action 5 du programme BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») de l’OCDE ;

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