EIRL : le dépôt d’une déclaration d’affectation sans aucune mention des éléments affectés à l’activité justifie la réunion des patrimoines

Publié le 15/05/2018

Le dépôt d’une déclaration d’affectation par un entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne mentionnant aucun bien, droit, obligation ou sûreté affecté à l’activité professionnelle constitue un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines.

Cass. com., 7 févr. 2018, no 16-24481, ECLI:FR:CCASS:2018:CO00179, PBI (FS)

L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) occupe une place plus importante dans la littérature juridique1 que dans les statistiques de l’INSEE sur les créations d’entreprises qui, sanction sans doute d’un succès très limité, ne les dénombre pas2. Ce premier arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 février 20183 sur l’EIRL ne sera sans doute pas de nature à renforcer l’attrait de ce statut d’exercice qui, depuis la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, permet à un entrepreneur individuel d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel sans création d’une personne morale4. La Cour de cassation dénie en effet le bénéfice de la séparation des patrimoines à un entrepreneur qui avait mal rempli sa déclaration d’affectation. L’arrêt met en lumière le caractère assez largement illusoire de la protection offerte par la loi chaque fois que l’entrepreneur ne respecte pas scrupuleusement les règles d’affectation et de séparation des patrimoines. L’issue était malheureusement annoncée par les auteurs5 qui se sont en général montrés très sceptiques sur l’efficacité pratique de la séparation des patrimoines dans l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure collective au bénéfice du patrimoine affecté de l’entrepreneur6.

En l’espèce, un entrepreneur, 15 jours après avoir débuté une activité de vente ambulante de boissons, s’immatriculait en qualité d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en déposant, par l’intermédiaire d’un cabinet d’expertise-comptable, une déclaration d’affectation vierge de toute indication sur les biens affectés sans susciter de réserve particulière du greffe du tribunal de commerce. Un peu moins d’un an après son début d’activité et à la suite d’importants ennuis de santé, le commerçant saisissait le tribunal de commerce d’une déclaration de cessation des paiements conduisant à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire entreprit alors une action en réunion des patrimoines privé et professionnel de l’entrepreneur. Au soutien de sa demande il faisait valoir plusieurs éléments. La déclaration d’affectation n’affectait aucun bien et ne mentionnait pas de compte bancaire dédié à l’activité professionnelle. Les comptes de l’activité n’avaient pas été déposés. Enfin, l’entrepreneur avait confondu son patrimoine affecté et son patrimoine personnel puisqu’il avait mentionné dans sa déclaration de cessation des paiements un immeuble et des matériels qui ne figuraient pas dans sa déclaration d’affectation au greffe.

Pour résister à l’action en réunion des patrimoines, l’entrepreneur faisait valoir qu’il avait ouvert quelques jours simplement après sa déclaration d’affectation un compte bancaire dédié à son activité et que son véhicule utilitaire était immatriculé avec la mention de son nom et de sa qualité d’EIRL et figurait à l’actif de son bilan simplifié.

Au vu de ces éléments et après avoir relevé l’absence de volonté de dissimulation de ses actifs par l’entrepreneur, le tribunal de commerce puis la cour d’appel d’Angers repoussèrent la demande du liquidateur judiciaire tendant à obtenir la réunion du patrimoine personnel et professionnel de l’EIRL7. Pour les juges d’appel, « la déclaration d’affectation a pour principal objet de rendre opposable aux créanciers de l’entrepreneur la décision de celui-ci d’affecter à son activité professionnelle tel ou tel bien qu’il utilise pour l’exercice de cette activité mais qui, par nature, n’est pas nécessaire à cet exercice, non celui de dénoncer l’existence de biens par nature nécessaires à cet exercice qui, ne figureraient-ils pas sur la déclaration, n’en constitueraient pas moins le gage des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de cette activité professionnelle ». Ils en déduisirent que l’omission d’une déclaration expresse d’affectation des biens nécessaires à l’activité ne caractérisait en soi « ni une confusion des patrimoines professionnel et personnel, ni un manquement grave aux règles de l’alinéa 2 de l’article L. 526-6 du Code de commerce ».

Ils sont censurés par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui considère au contraire que le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun élément affecté constitue un manquement grave de nature à justifier la réunion des patrimoines.

L’arrêt est important en ce qu’il permet de bien mesurer à la fois la portée de l’obligation déclarative de l’EIRL (I) et la sanction de la réunion des patrimoines qui s’attache à la violation de cette obligation (II).

I – L’obligation déclarative, nécessité pour opérer la séparation des patrimoines de l’EIRL

L’intérêt du statut de l’EIRL est de déroger au principe de l’unité du patrimoine8 et de permettre une séparation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur après le dépôt d’une déclaration d’affectation. En principe, les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle un patrimoine est affecté ont pour seul gage général ce patrimoine affecté. Les autres créanciers, autrement dit les créanciers personnels, ont quant à eux pour gage général le patrimoine non affecté sauf s’il est insuffisant, auquel cas, leur droit peut s’exercer sur le bénéfice réalisé par l’entrepreneur lors du dernier exercice clos9.

L’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 a modifié le droit des procédures collectives pour tenir compte de la situation de l’entrepreneur individuel qui peut affecter un ou plusieurs patrimoines à ses différentes activités professionnelles10. Il n’est alors plus question de mettre en procédure collective un entrepreneur à la tête d’un patrimoine unique mais d’appliquer à l’EIRL les dispositions du livre 6 du Code de commerce patrimoine par patrimoine11.

La consistance du patrimoine affecté est donc une question clé en matière d’EIRL puisqu’elle fixe les droits des créanciers et les obligations du débiteur dans le cadre de la procédure collective. L’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2018 apporte une contribution importante à la détermination de la substance et des contours du patrimoine affecté.

La Cour rappelle les termes de l’article L. 526-6 du Code de commerce qui prévoit que le patrimoine affecté est composé de l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle. Elle souligne également que l’entrepreneur a l’obligation de déposer une déclaration à un registre de publicité légale12 comportant un état descriptif des actifs affectés à son activité professionnelle précisant notamment leur nature et leur valeur13. La chambre commerciale va plus loin cependant que la simple lettre des textes en précisant que l’EIRL « doit affecter » un patrimoine. Elle fustige ainsi la déclaration qui ne comprendrait aucun élément d’actif. La déclaration de pure forme n’est donc pas acceptable si elle ne comprend aucun élément nécessaire à l’activité. Il est impératif que la déclaration d’affectation ait une certaine consistance et corresponde à la réalité de l’activité.

Il n’est en conséquence pas possible d’établir une déclaration d’affectation pro forma à charge ensuite d’envisager la réalité des éléments affectés par l’entrepreneur à son activité pour déterminer le gage des créanciers professionnels. C’était la thèse défendue par la cour d’appel qui considérait que la déclaration fixait simplement la décision de l’entrepreneur d’affecter à son activité professionnelle une partie de son patrimoine, qu’elle permettait de prendre date et que, pour le reste, il fallait considérer la réalité de l’affectation des biens. Ce raisonnement des juges du fond revenait à faire du dépôt de la déclaration une simple règle probatoire en fixant une présomption irréfragable d’affectation pour les éléments mentionnés au registre et une présomption simple de non-affectation des éléments ne figurant pas au registre14.

La Cour de cassation fait donc de la réalité tangible de l’affectation des biens une condition de fond du bénéfice de la protection patrimoniale de l’EIRL. Elle donne ainsi tout leur sens aux articles du Code de commerce qui détaillent les modalités d’établissement, de publicité et de contrôle de la valeur des actifs affectés. Le contenu de la déclaration d’affectation initiale ou complémentaire a vocation à être exhaustif et doit impérativement énumérer l’ensemble des biens nécessaires à l’activité. La déclaration vide de toute mention d’affectation sera nécessairement jugée fautive.

Cette exigence de fond relative à l’obligation d’une déclaration d’affectation complète sur les éléments nécessaires à l’activité doit être éclairée par quelques remarques complémentaires.

Dans l’espèce concernée par cet arrêt, il était bien souligné par les juges du fond que le débiteur n’avait pas tenté de dissimuler des actifs nécessaires à son activité. Au contraire, la camionnette avait été identifiée comme faisant partie du patrimoine affecté par le commerçant à son activité d’EIRL. Le problème n’est donc pas de savoir si un actif a pu manquer dans la déclaration d’affectation alors qu’il aurait pu être nécessaire à l’activité mais de relever que des biens avaient été affectés sans avoir été déclarés.

Dans le même ordre d’idées, il faut rappeler que l’article L. 526-6 du Code de commerce prévoit que le patrimoine affecté peut comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire qui sont utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle et qu’il décide d’affecter à celle-ci. Il ne peut donc pas être fait grief à l’EIRL de n’avoir pas affecté un bien simplement utile à son activité mais, évidemment, si ce bien utile est affecté sans avoir été mentionné dans la déclaration, cela ouvre la perspective d’un reproche. Là encore, la question n’est pas tant d’étendre ou de réduire le droit de gage des créanciers professionnels que d’afficher un patrimoine affecté conforme aux déclarations effectuées.

Il est par ailleurs assez surprenant d’observer dans cette affaire que le greffe du tribunal de commerce a accepté de recevoir la déclaration d’affectation du commerçant ne comportant aucune précision relative aux biens affectés alors que le Code de commerce commande aux organismes chargés de la tenue des registres de n’accepter le dépôt de la déclaration qu’après avoir vérifié qu’elle comporte un certain nombre de mentions dont un état descriptif des actifs affectés15. Le greffe est sans doute tenu d’un simple contrôle formel sur pièces qui ne lui impose pas de vérifier la réalité des éléments affectés et encore moins d’apprécier l’opportunité des affectations, mais un état descriptif vierge de toute mention aurait dû le conduire à refuser le dépôt ou au moins à attirer l’attention de l’entrepreneur et de son conseil sur l’inanité de la mesure de protection envisagée.

Une difficulté au regard de l’actualisation de la composition du patrimoine affecté doit également être relevée. La loi prévoit que le bilan ou les documents comptables simplifiés16 de l’EIRL doivent être déposés chaque année pour être annexés à la déclaration d’affectation et précise qu’« à compter de leur dépôt, ils valent actualisation de la composition du patrimoine affecté »17. Il résulte de cette règle qu’après le premier exercice comptable, la déclaration d’affectation n’a plus la même importance puisque les éléments affectés ressortent principalement des éléments du bilan de l’EIRL. Concrètement, l’entrepreneur, s’il était au régime fiscal réel, avait besoin, pour pouvoir déduire de son résultat imposable les amortissements de sa camionnette, de faire figurer le véhicule dans son bilan. En l’espèce, l’entrepreneur est tombé malade avant la fin de son premier exercice, il n’a pas eu le temps de faire déposer ses comptes par son expert-comptable avant de se trouver en cessation des paiements. Le dépôt de bilan au greffe du tribunal de commerce18 ne vaut pas respect de l’obligation déclarative des comptes de l’EIRL, mais explique sans doute la négligence de l’entrepreneur. Quoi qu’il en soit, il faut avoir à l’esprit qu’en matière d’EIRL, les manquements à l’obligation déclarative initiale ou complémentaire sur le patrimoine affecté sont en quelque sorte purgés par le dépôt des comptes à la fin du premier exercice19. La discussion sur la réalité des éléments affectés à l’activité commerciale n’a de sens que jusqu’au dépôt du premier bilan au registre du commerce ou si l’entrepreneur n’a pas besoin d’immobiliser des actifs dans ses comptes car il bénéficie du régime d’imposition des micro-entreprises sur une base forfaitaire calculée en fonction de son chiffre d’affaires.

Cette précision permet d’ailleurs de souligner que le régime d’EIRL n’est manifestement pas très adapté à la création d’entreprise et au démarrage d’activité. Il n’y a pas en matière d’EIRL de procédure de reprise des actes passés en phase d’amorçage comme cela existe pour les sociétés en formation. Il faut impérativement opérer une déclaration d’affectation complémentaire ou attendre la fin du premier exercice et le dépôt du premier bilan. Dans cette affaire, l’entrepreneur soulignait ainsi que son compte professionnel n’était pas encore ouvert et que le véhicule n’était pas encore immatriculé au moment de sa déclaration d’affectation initiale20.

Enfin, dernière remarque, cet arrêt ne résout pas complètement la question de l’affectation d’actifs à valeur symbolique pour les activités qui par essence nécessitent l’immobilisation de très peu d’éléments d’actifs susceptibles d’être considérés comme nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle. Le professionnel libéral ou l’artisan qui affecte seulement son ordinateur ou sa boîte à outils est-il en situation de se prévaloir de la séparation des patrimoines et de la limitation de responsabilité qu’elle assure ? L’arrêt n’apporte pas de lumières définitives sur cette question même s’il est possible de discerner en filigrane de l’arrêt une volonté de la Cour de cassation de ne pas faire preuve d’une excessive permissivité.

II – La réunion des patrimoines, sanction de la déclaration d’affectation lacunaire de l’EIRL

Le statut de l’EIRL permet un cloisonnement entre chaque patrimoine affecté à une activité professionnelle et le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. Le principe de l’unité de la procédure collective, corollaire de l’unité du patrimoine, a donc été aménagé pour permettre de tenir compte du fractionnement du patrimoine de l’EIRL. Le législateur commande ainsi d’appliquer les dispositions du livre VI du Code de commerce patrimoine par patrimoine21 autant pour apprécier des difficultés que pour les traiter. Un EIRL peut donc être l’objet d’autant de procédures collectives qu’il a de patrimoines affectés22 sachant qu’un même bien ne peut entrer dans la composition que d’un seul patrimoine affecté23 et que l’entrepreneur peut demander pour son patrimoine personnel le bénéfice d’une procédure de surendettement des particuliers24.

Cette séparation patrimoniale n’est pas sans limites, qu’il faut chercher autant dans les dispositions relatives au droit des entreprises en difficulté que dans les exigences propres au statut de l’EIRL. Il est par exemple possible de remettre en cause une affectation ou une modification d’affectation constituée en période suspecte25 ou d’engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif contre l’EIRL fautif26. Le statut de l’EIRL fixe également des exigences à l’égard de l’entrepreneur qui « est responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas de manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l’article L. 526-6 ou aux obligations prévues à l’article L. 526-13 »27. L’article L. 526-6, alinéa 2, définit la consistance du patrimoine affecté. L’article L. 526-13 pose l’exigence à la charge de l’EIRL d’obligations comptables et d’ouverture d’au moins un compte bancaire exclusivement dédié à l’activité. Cette « responsabilité » particulière prend la forme, en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’EIRL pour un patrimoine affecté, d’une action en réunion des patrimoines qui est prévue à l’article L. 621-2, alinéa 3, du Code de commerce. Le Code de commerce n’évoque pas en effet une extension de la procédure collective puisqu’il n’est pas question d’étendre la procédure à une personne juridique distincte, mais simplement de « réunir » plusieurs patrimoines d’une même personne physique.

L’action en réunion des patrimoines spécifique à l’EIRL dont il est question dans l’arrêt de la chambre commerciale du 7 février 2018 est soumise aux mêmes exigences procédurales que l’action en confusion des patrimoines et peut être demandée par l’administrateur, le mandataire judiciaire, le débiteur ou le ministère public28. Elle est possible dans trois cas : soit en cas de confusion d’un patrimoine de l’EIRL avec un patrimoine visé par la procédure ; soit en cas de « manquement grave » aux principes de composition du patrimoine d’affectation ou aux exigences comptables ou d’ouverture d’un compte bancaire dédié ; soit enfin en cas de « fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure ».

Dans cette affaire, le grief contre l’EIRL justifiant la réunion d’actif ne porte pas sur l’existence d’une confusion entre son patrimoine personnel et son patrimoine affecté ou sur une fraude, mais sur la qualification d’un manquement grave aux règles d’affectation. La Cour de cassation ne reprend pas à son compte le reproche du mandataire sur l’absence d’un compte bancaire dédié à l’activité. Le manquement qui autorise en l’espèce la réunion des patrimoines est donc uniquement lié à l’absence de désignation de biens nécessaires dans la déclaration d’affectation.

La loi exige en pareille hypothèse « un manquement grave ». La faute vénielle, la peccadille n’est sans doute pas de nature à justifier une remise en cause de la séparation des patrimoines. Il y a dans cette formulation légale un appel au discernement à l’attention des juges de nature à éviter un décloisonnement patrimonial systématique29. L’arrêt commenté, en qualifiant l’absence de tout élément d’actif dans la déclaration de manquement grave, montre clairement les limites de ce qui est raisonnablement admissible, et ce, même si les règles relatives à la composition du patrimoine affecté n’échappent pas a priori à la nécessité d’un manquement suffisamment significatif.

L’arrêt laisse en suspens un certain nombre de questions notamment sur l’articulation de la responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en réunion des patrimoines lorsque l’EIRL détermine de façon « trop étriquée » la liste des actifs au regard de l’activité projetée. Il est possible de considérer qu’une insuffisance d’affectation constitue une faute de gestion sanctionnable directement sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce30. D’aucuns pourraient considérer au contraire que l’action en réunion d’actif est un passage obligé dès lors notamment que l’article L. 621-2, alinéa 3, réprime précisément le manquement aux règles d’affectation et exige un manquement grave.

Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire d’un patrimoine affecté, les mandataires judiciaires, s’ils disposent du choix, souhaiteront sans doute appréhender des biens du patrimoine personnel de l’EIRL par le biais de l’action spécifique en réunion des patrimoines31, au demeurant plus ouverte que la classique action en confusion des patrimoines de deux personnes. Cela étant, hors procédure, un créancier professionnel doit pouvoir à notre avis appréhender des biens du patrimoine personnel chaque fois que l’EIRL opère un manquement aux règles d’affectation ou aux exigences particulières de son statut en s’appuyant directement sur les dispositions de l’article L. 526-12 du Code de commerce32. Cette possibilité ne manquera pas de susciter quelques belles difficultés33 et un grand désordre lorsque l’EIRL aura plusieurs patrimoines affectés dont certains seront in bonis tandis que d’autres seront en cessation des paiements puisque les dispositions du livre VI du Code de commerce sont applicables patrimoine par patrimoine.

En conclusion, la séparation des patrimoines de l’EIRL apparaît un peu comme la ligne Maginot du législateur pour protéger l’entrepreneur : une imposante construction en béton-armé qui mobilise toutes les bonnes volontés mais dont l’efficacité s’avère très réduite tant elle est facilement contournable quand surviennent les difficultés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sans être exhaustif, sur la problématique de l’EIRL en difficulté, v. not. : Pétel P., « L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL », JCP E 2011, 1071 ; Lucas F.-X., « L’EIRL en difficulté », LPA 28 avr. 2011, p. 39 ; Legrand V., « EIRL en difficulté », JCl. Procédures collectives, fasc. 3255 ; Lebel C., « L’EIRL en difficulté ou l’adaptation du livre VI du Code de commerce à l’ouverture d’une procédure à l’encontre du patrimoine d’affectation d’un débiteur personne physique », RLDA 2011/15, n° 56 ; Le Corre P.-M., « L’heure de vérité de l’EIRL : le passage sous la toise du droit des entreprises en difficulté », D. 2011, p. 91 ; Piedelievre S., « L’EIRL et le droit des procédures collectives », LPA 4 févr. 2011, p. 7 ; Pérochon F., « L’efficacité des mécanismes de prévention des risques : l’EIRL », Rev. proc. coll. 2010, dossier 5 ; Sénéchal M., « L’EIRL : point de vue d’un mandataire judiciaire », BJE janv. 2011, n° 30, p. 73 ; Monsèrié-Bon M.-H., « L’EIRL et le droit des entreprises en difficulté », BJE mars 2011, n° 2, p. 270 ; Dubuisson E., « L’EIRL face aux difficultés de l’entreprise : une exception va-t-elle confirmer la règle ? », JCP N 2011, 1002 ; Borga N. et Berthelot G., « L’EIRL en difficulté, entre respect et négation de l’affectation », BJE janv. 2011, n° 64, p. 155 ; Texier A.-S., « EIRL et procédures collectives », CDE 2011, dossier 13 ; Vallansan J., « La volonté d’affectation des droits et des biens par l’EIRL », CDE 2011, dossier 14 ; Pérochon F. et Reille F., « La neutralisation du statut de l’EIRL », CDE 2011, dossier 19 ; Vauvillé F., « La procédure collective de l’EIRL », Defrénois 30 janv. 2011, n° 137N1, p. 137 ; Saint-Alary-Houin C. et Mercier J.-L., « L’application du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL », Gaz. Pal. 19 mai 2011, n° I5586, p. 33 ; Roussel Galle P. (dir.), « L’EIRL et le droit des entreprises en difficulté : l’heure de vérité », Rev. proc. coll. 2011, dossier 15 et s. ; Saint-Alary-Houin C., « EIRL et procédures collectives », Dr. et patr., n° 202, avr. 2011, p. 63 ; Legeais D., « Le gage des créanciers dans l’EIRL », Defrénois 30 mars 2011, n° 560N1, p. 560 et, tout récemment, Stoffel J.-N., « L’EIRL confronté au droit des entreprises en difficulté : un rodage à long terme », in Cerati-Gauthier A. et Perruchot-Triboulet V. (dir.), Les procédures collectives complexes, Saint-Alary-Houin C. (préf.), 2017, Joly, p. 87.
  • 2.
    Les créations d’entreprise en 2017, Insee première n° 1685, paru le 30 janv. 2018, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3314444. En revanche, le nombre de micro-entrepreneurs parmi les entrepreneurs individuels fait l’objet d’un comptage précis.
  • 3.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481, PBI, rendu sur le rapport de J. Vallansan : LEDEN mars 2018, n° 111k6, p. 5, obs. Rubellin P. ; LEDC mars 2018, n° 111h0, p. 1, obs. Leblond N. ; D. 2018, p. 292, obs. Lienhard A. ; JCP G 2018, 279, note Pellier J.-D. ; LPA 16 mars 2018, n° 134g4, p. 10, note Legrand V.
  • 4.
    C. com., art. L. 526-6.
  • 5.
    Pétel P., « L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL », JCP E 2011, 1071 : « L’innovation en cause a sans doute des vertus d’ordre psychologique puisqu’elle est conçue pour encourager la libre entreprise, mais son apport réel au droit des structures de l’entreprise est très mince. On cherche toujours quels sont les avantages de ce statut par rapport aux techniques éprouvées du droit des sociétés. Pour dire les choses plus crûment, il s’agit d’une petite escroquerie intellectuelle dont notre droit, déjà si complexe et si mouvant, aurait pu faire l’économie » ; Pérochon F., Entreprises en difficulté, 2014, LGDJ, n° 325, p. 162 : « Le risque de confusion de patrimoines paraît bien plus élevé pour l’EIRL que pour tout autre débiteur, pour des raisons tant psychologiques que sociologiques, sous réserve de l’orientation plus ou moins sévère de la jurisprudence à venir. Pour y échapper, l’EIRL doit devenir totalement schizophrène ; il lui faut cloisonner rigoureusement ses activités et fonctionner comme s’il était deux personnes distinctes ce qui est difficile à faire avec constance si l’on ne dispose pas d’un service juridique et comptable de très haute qualité, ce qui sera rarement son cas ». Lucas F.-X., Manuel de droit de la faillite, 2018, PUF, n° 94, p. 102 : « Complexe et surtout peu efficace lorsque survient la procédure collective, il relève plus de la bizarrerie pour cabinet de curiosité de collectionneurs d’objets juridiques mal conçus et partant inutiles » et n° 125, p. 127 ; v. aussi Perruchot-Triboulet V., « Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée », RLDC 2010/69, n° 3758, p. 61.
  • 6.
    C. com., art. L. 680-1 et s.
  • 7.
    CA Angers, ch. A, 5 juill. 2016, n° 15/01353.
  • 8.
    C. civ., art. 2284 ; CPCE, art. L. 161-2.
  • 9.
    C. com., art. L. 526-12.
  • 10.
    L’ordonnance a été ratifiée par L. n° 2012-237, 22 mars 2012.
  • 11.
    C. com., art. L. 680-1.
  • 12.
    C. com., art. L. 526-7.
  • 13.
    C. com., art. L. 526-8.
  • 14.
    En ce sens, l’analyse de la position développée par les juges du fond par J. Vallansan dans son rapport sur l’arrêt.
  • 15.
    C. com., art. L. 526-8.
  • 16.
    C. com., art. R. 526-10-1 pour les EIRL soumis au régime de la micro-entreprise, un relevé actualisant la déclaration d’affectation selon un modèle-type.
  • 17.
    C. com., art. L. 526-14. Avant la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, le dépôt du bilan de l’EIRL valait également actualisation de la valeur du patrimoine affecté.
  • 18.
    C. com., art. R. 631-1.
  • 19.
    Voir aussi pour l’entrepreneur qui exerçait son activité antérieurement au dépôt de la déclaration qui peut présenter en qualité d’état descriptif le bilan de son dernier exercice à condition que celui-ci soit clos depuis moins de 4 mois à la date de dépôt de la déclaration (C. com., art. L. 526-8, al. 4).
  • 20.
    C’est d’ailleurs le même problème lorsque l’on commande à l’entrepreneur de déterminer le montant des revenus qu’il verse dans son patrimoine non affecté (C. com., art. L. 526-18). Quel entrepreneur sait en début d’exercice ce qu’il va gagner à la fin de l’année ?
  • 21.
    C. com., art. L. 680-1.
  • 22.
    Voire d’une procédure supplémentaire s’il développe une activité indépendante dans son patrimoine non affecté.
  • 23.
    C. com., art. L. 526-6.
  • 24.
    C. consom., art. L. 333-7. L’EIRL ne peut pas en revanche bénéficier de la procédure de rétablissement professionnel (C. com., art. L. 645-1, al. 2) au titre d’un patrimoine d’affectation.
  • 25.
    C. com., art. L. 632-1, 11°.
  • 26.
    C. com., art. L. 651-2, al. 2. La somme mise à sa charge s’impute alors sur son patrimoine non affecté.
  • 27.
    C. com., art. L. 526-12.
  • 28.
    Saintourens B., « EIRL : le risque de réunion des patrimoines », Rev. proc. coll. 2011, dossier 30.
  • 29.
    Stoffel J.-N., « L’EIRL confronté au droit des entreprises en difficulté : un rodage à long terme », préc., p. 96.
  • 30.
    Pérochon F., Entreprises en difficulté, 2014, LGDJ, n° 1699, p. 781.
  • 31.
    Le Corre P.-M. (D. 2011, p. 91) relève que l’action en réunion paraît préférable car elle permet de placer tous les biens de l’entrepreneur sous procédure collective et ainsi d’éviter qu’ils ne soient dissipés.
  • 32.
    En ce sens, Saintourens B., « EIRL : le risque de réunion des patrimoines », préc.
  • 33.
    Reille F., CDE 2011, dossier 19.
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